Au Canada, ISS Market Intelligence évalue à 1,275 billion de dollars le transfert de richesse qui surviendra entre 2023 et 2032, dans son rapport Household Balance Sheet Update and Rebased Forecast 2024. Un billion de dollars représente mille milliards de dollars (1 000 G$).
Ces 1 275 G$ ont déjà commencé à changer de mains. Selon ISS Market Intelligence, ce transfert se composera à 41 % de biens immobiliers, soit 524 G$. Le reste en actifs financiers.
Il y aura une concentration de ces richesses entre les mains d’un nombre relativement restreint de familles – Carlos Cardone
« Les transferts de richesse sont orientés vers les plus riches. Il y aura une concentration de ces richesses entre les mains d’un nombre relativement restreint de familles », a fait remarquer au Portail de l’assurance Carlos Cardone, chef de la direction d’ISS Market Intelligence au Canada (anciennement Investor Economics), au moment de lui révéler les données du rapport.
La fiducie sera un important tremplin dans ce transfert de richesse vers la relève. Pourtant, peu de gens en connaissent les détails, même ceux qui en ont une, observe Andrée Couture, vice-présidente pour le Québec, conseils en ventes avancées, de l’agent général PPI (division PPI Conseils). « Les clients sont entourés de plusieurs conseillers qui mettent la fiducie en place (comptables, fiscalistes, avocats). Par contre, on se rend compte très souvent que les clients ne comprennent pas la structure qu’ils ont en place », a lancé Mme Couture.
Mme Couture a tenu ces propos lors d’un panel auquel elle a participé en compagnie de son collègue Jean-Pierre Berger, vice-président, conseils services de planification, de PPI. Intitulé Fiducies et gains en capital : les gens d’affaires comptent sur vous comme chef d’orchestre. Ce panel s’est déroulé lors du Congrès de l’assurance de personnes 2024, événement organisé par Les éditions du Journal de l’assurance inc. à Montréal le 13 novembre.
Pas besoin de tout savoir
Vous n’avez pas à tout savoir. Vous êtes le chef d’orchestre : vous devez comprendre les objectifs successoraux du client – Andrée Couture
Andrée Couture estime que les conseillers ne doivent pas hésiter à recommander la fiducie* à un client… ou de leur expliquer celle qu’ils ont. « Vous n’avez pas à tout savoir. Vous êtes le chef d’orchestre : vous devez comprendre les objectifs successoraux du client, et comment son entreprise est structurée », insiste-t-elle.
Mme Couture croit que l’analyse des besoins financiers naîtra d’une simple question au client : « Quels seront les impacts d’une fiducie sur sa planification successorale ? »
« La clé est dans l’acte de fiducie », estime-t-elle. « L’acte doit être rédigé de manière à accomplir l’objectif de la personne, même après son décès. On peut créer la fiducie par testament (à son décès) ou de son vivant », explique Andrée Couture.
Mme Couture ajoute que la fiducie a l’effet de « transférer le patrimoine de votre client à une autre entité ». Le client doit ainsi comprendre que les biens transférés ne lui appartiendront plus. Des fiduciaires les administreront au profit des bénéficiaires de la fiducie.
La personne qui constitue une fiducie peut en affecter les biens à une fin particulière. Elle peut aussi les répartir différemment d’un bénéficiaire à l’autre : par exemple attribuant les revenus de la fiducie à l’un et son capital à l’autre, illustre la vice-présidente pour le Québec, conseils en ventes avancées, de PPI.
Elle énumère les trois conditions qui créent une fiducie, et les trois parties qu’elle fait entrer en relation :
Éléments constitutifs d’une fiducie
- Transfert du bien du patrimoine d’une personne à un patrimoine d’affectation
- Affectation des biens à une fin particulière
- Acceptation par un fiduciaire
Parties à une fiducie
- Constituant
- Fiduciaire (généralement trois, dont au moins un n’est pas bénéficiaire)
- Bénéficiaire
Andrée Couture et Jean-Pierre Berger ont axé leur propos sur la fiducie régie par le Code civil du Québec. Les règles des fiducies peuvent différer ailleurs au Canada.
Pourquoi créer une fiducie ?
Jean-Pierre Berger a abordé de son côté trois types de fiducie qu’il voit le plus souvent dans le portefeuille des clients.
La fiducie testamentaire se crée au moment du décès de son constituant. Elle permet d’attribuer les biens aux bénéficiaires selon les volontés du défunt. Par exemple, cette fiducie assurera que tant le conjoint d’un deuxième mariage que les enfants d’une première union touchent leur part du patrimoine.
La fiducie familiale existe dès la signature de l’acte par le constituant. M. Berger invite à prêter attention aux règles d’attribution : si le constituant se dessaisit de la propriété d’un bien au profit d’un bénéficiaire, il continuera de payer de l’impôt sur le revenu que produit ce bien. Ce sera par exemple le cas d’un transfert sans contrepartie (don) ou d’un prêt sans intérêt.
La fiducie de protection d’actifs permet à la personne de transférer la propriété de ses biens sans déclencher de gain en capital, explique Jean-Pierre Berger. Le constituant est seul fiduciaire et bénéficiaire de cette fiducie. Les impôts sur les actifs ainsi transférés seront payables au décès. Le constituant sera toutefois imposé de son vivant sur les revenus que produisent les biens en fiducie.
« Il y a des limites à la protection qu’offre la fiducie de protection d’actifs », nuance Jean-Pierre Berger. Si un emprunteur transfère le montant de son prêt dans une telle fiducie et que son créancier l’apprend, celui-ci aura un an pour demander que le transfert soit annulé.
« En cas de faillite, les transactions peuvent être révisées jusqu’à un an auparavant, et jusqu’à cinq ans dans le cas d’une transaction entre deux personnes avec lien de dépendance », ajoute M. Berger.
Attention à la règle des 21 ans
Vice-président, conseils services de planification, de PPI, Jean-Pierre Berger souligne que la fiducie familiale est soumise à une mesure appelée dans le jargon des fiscalistes la « règle des 21 ans » (voir l’article 104, paragraphe 4, de la Loi de l’impôt sur le revenu du gouvernement fédéral).
En vertu de cette règle, le constituant de la fiducie sera présumé avoir disposé de tous ses biens en fiducie au 21e anniversaire de sa constitution. Cette présomption s’appliquera à toutes les périodes de 21 ans par la suite.
Transférer les biens aux bénéficiaires n’est pas toujours la meilleure option - Jean-Pierre Berger
Avant le 21e anniversaire de la fiducie, le constituant pourrait entre autres choisir de laisser se réaliser les gains latents des biens ou d’en transférer la propriété aux bénéficiaires de la fiducie. « Transférer les biens aux bénéficiaires n’est pas toujours la meilleure option », croit M. Berger. Surtout lorsqu’ils sont des enfants mineurs ou qu’ils n’ont pas la maturité pour administrer ces biens.
Souvent propriétaire d’une entreprise, le constituant d’une fiducie familiale aura fait un gel successoral. Des actions privilégiées de sa compagnie lui sont émises à une valeur cristallisée. Il pourra en reportera le gain imposable, ultimement jusqu’à son décès. La valeur future de l’entreprise continuera de croître dans la fiducie pendant 21 ans, sous forme d’actions ordinaires. L’entrepreneur doit décider d’ici là s’il disposera des actions ordinaires ou les donnera à ses bénéficiaires.
Presque tous reprennent les actions
M. Berger observe que 95 % de ses clients choisissent d’en disposer. « Donner toutes les actions aux enfants à ce moment n’a pas de sens, car ils deviendraient plus riches que leurs parents. Ils leur en donnent juste assez pour qu’ils puissent aller chercher leur déduction pour gain en capital », souligne-t-il.
Le Budget fédéral 2024 a fait passer de 1 016 836 $ à 1 250 000 $ la déduction maximale pour gain en capital des particuliers qui auront disposé d’actions admissibles de petites entreprises après le 24 juin 2024. Il s’agit d’un montant cumulatif à vie. Ce montant sera indexé à partir de 2026.
Le taux d’inclusion des gains en capital dans le revenu imposable annuellement est passé de 50 % à 66,7 % le 25 juin 2024, lorsqu’ils excèdent 250 000 $.
Cet article est un Complément au magazine de l'édition de novembre 2024 du Journal de l'assurance.