De plus en plus coincés au pays, les trois grands assureurs vie canadiens déploieront davantage d’efforts afin de trouver à l’étranger de nouvelles sources de revenus.Voilà la tendance qui marquera l’industrie canadienne de l’assurance vie au cours des prochaines années, selon les agences d’évaluation Standard & Poor’s et A.M. Best.

Les trois grands assureurs vie canadiens Financière Manuvie, Financière Sun Life et Great-West se sentent de plus en plus à l’étroit dans un marché qu’ils contrôlent déjà à près de 70%.

Puisqu’ils disposent désormais d’une marge de manœuvre encore plus réduite que par le passé pour croître au pays, ces assureurs n’ont d’autre choix que de se rabattre sur les marchés étrangers, estiment les deux agences. Et ils le feront de façon plus résolue, prévoient les analystes.

La sortie faite par le chef de la direction de Sun Life, Donald A. Stewart, lors de l’assemblée annuelle, le 10 mai dernier, confirme d’ailleurs les visées internationales des assureurs canadiens, renchérit pour sa part Stephen Irwin, vice-président assurance vie, chez A.M. Best.

À cette occasion, le numéro un de Sun Life a souligné l’importance que revêtent ses activités internationales. Il a affirmé que les entreprises canadiennes gagneront à emprunter la voie de la concurrence internationale si elles souhaitent prospérer. M. Stewart a notamment insisté sur l’importance de développer plus avant les relations commerciales du Canada avec la Chine et l’Inde. (Voir notre texte en page 50)

Sun Life a d’ailleurs étendu plus avant son réseau de distribution aux États-Unis à la suite d’une entente conclue avec M Financial Group le 28 février dernier. Il s’agit d’un important distributeur de produits financiers qui compte plus de 110 cabinets dans 35 états américains. Ils desservent une clientèle fortunée, dont des entreprises du groupe Fortune 1000.

Visées internationales

Bien qu’ils soient déjà très présents aux États-Unis, en Europe et en Asie, ces trois joueurs accentueront néanmoins davantage leur présence dans ces marchés, à la recherche de nouvelles sources de revenus de croissance, prévoit aussi Richard McMillan, analyste financier principal chez A.M. Best.

« Même si Manuvie est actif à Hong Kong depuis les 150 dernières années, ainsi qu’aux États-Unis depuis un siècle, cet assureur va concentrer davantage ses efforts pour croître à l’international, puisque le marché canadien est arrivé à maturité », dit-il. Il en va de même pour les deux autres grands joueurs, ajoute M. McMillan.

Les possibilités de croissance sont très importantes, notamment, sur le continent asiatique car le nombre de personnes qui disposent désormais d’un revenu disponible ne cesse d’augmenter, poursuit M. McMillan d’A.M. Best. Ces assureurs distribuent davantage de produits de protection en Asie qu’ils ne le font dans les marchés matures d’Amérique du Nord ou d’Europe. Il s’y vend davantage de produits de retraite, tandis que les produits de protection représentent l’expertise première de ces assureurs, avance-t-il.

Neil Parkinson, directeur national des pratiques de l’industrie de l’assurance à la firme comptable d’envergure internationale KPMG, abonde dans le même sens. Il affirme que s’il est vrai que certains des plus importants assureurs canadiens sont présents en Chine depuis plus d’un siècle, la situation a changé au cours des 150 dernières années. « Peu de personnes pouvaient alors se permettre d’acheter des produits d’assurance. Le même raisonnement s’applique à l’Inde », note M. Parkinson.

Ces deux pays comptent plus d’un milliard d’habitants chacun. De ce fait, M. Parkinson ajoute que le nombre de personnes qui ont désormais les moyens de s’en procurer croît sur une base mensuelle.

Donald Chu, directeur de la notation des institutions chez Standard & Poor’s, croit également que les trois grands assureurs tableront davantage sur le marché international au cours des prochaines années. « Présentement, le marché canadien a été pleinement consolidé. Les trois grands continueront à se tourner vers l’Europe et les États-Unis à la recherche de nouvelles acquisitions », affirme-t-il.

« En ce moment, ces trois joueurs ont l’embarras du choix en terme d’acquisitions potentielles, en incluant la région d’Asie pacifique », ajoute-t-il.

M. Chu estime néanmoins que les assureurs mettront la pédale douce en matière d’acquisitions car les trois joueurs viennent tout juste de sortir d’une période justement consacrée à l’intégration de leurs nouvelles acquisitions.

La démutualisation des grands assureurs vie au tournant des années 1990 a provoqué le déferlement d’une vague de consolidation dans cette industrie. Dans la foulée, quelques grands assureurs ont mis la main sur nombre de joueurs de taille plus modeste.

C’est ainsi que Sun Life s’est emparé de Clarica, que Great-West a avalé Canada-Vie et que Manuvie s’est emparé de l’américaine John Hancock Financial Services ainsi que de sa filiale canadienne La Maritime.

Neil Parkinson, de KPMG, croit que les trois grands assureurs sont en mode acquisition. L’acquisition d’assureurs étrangers, notamment ceux issus d’économies émergentes, représente toutefois un potentiel de croissance encore plus intéressant que n’importe quel achat fait localement par des assureurs canadiens, explique-t-il. Par contre, mettre la main sur un assureur actif dans un pays en développement représente aussi un risque plus élevé pour les compagnies canadiennes, prévient M. Parkinson.

« Lorsque vous achetez dans un pays émergent, vous prenez les risques qui accompagnent les changements de juridiction, les changements de gouvernements et les changements légaux. L’économie de ces pays pourrait connaître des difficultés en ce qui a trait aux commodités et de taux de change. Les risques sont moindres lorsque l’achat est effectué dans le marché d’origine, mais dans un marché mature il y a peu de place pour le potentiel de gain que représentent les pays émergents », dit-il.

Les barrières

Selon KPMG, le retour marqué à la rentabilité des assureurs actifs sur la scène internationale au cours des dernières années, les a conduit à se pencher sur les possibilités de croissance.

Dans tous les marchés arrivés à maturité, comme le marché canadien, on se questionne sur les avenues de croissance à l’extérieur. De ce fait, les fusions et les acquisitions risquent de jouer un rôle de plus en plus important, malgré le fait que la croissance organique et les partenariats d’affaires (joint venture), demeurent les voies de développement prioritaires.

L’industrie mondiale de l’assurance, tant en vie qu’en dommages, se dirige tout droit d’ailleurs vers une phase de consolidation au cours des prochaines années, indiquent les résultats d’un sondage effectué par KPMG et rendu public le 19 mai dernier.

De ce fait, 70% des répondants s’attendent à ce qu’une vague de consolidation déferle sur les marchés mondiaux d’assurance vie et d’assurance de dommages d’ici les trois prochaines années. Aussi, 85% des répondants sont d’avis que le marché international de l’assurance offre de « bonnes » et de « très bonnes possibilités » de croissance d’ici les trois prochaines années.

Les répondants asiatiques sont généralement « extrêmement confiants » quantt aux possibilités de croissance à l’intérieur de leur propre marché.

Les plus importants assureurs envisagent de continuer à faire des acquisitions. Ainsi, 81% des assureurs qui génèrent 500 millions (M$) de volumes de primes directes souscrites cherchent activement à mettre la main sur des concurrents, à condition que la bonne occasion se présente. Cette proportion est de 61% pour les assureurs de taille plus modeste.

Quelque 35% des compagnies plus importantes ont procédé à des acquisitions aux cours des trois dernières années contre 23% pour des assureurs de moindre envergure.

Les stratégies d’acquisitions au cours des trois dernières années ont été motivées en grande partie par la recherche de profits et de croissance de la part des assureurs.

Quarante pour cent des répondants affirment prévoir injecter jusqu’à 500 $M US en acquisitions au cours des trois prochaines années. Près de 6%, majoritairement des joueurs européens, affirment être prêts à y injecter jusqu’à trois milliards de dollars.

L’étude a été menée auprès de 200 compagnies d’assurance sur la planète, dont le Canada. Tous les répondants siègent aux conseils d’administration de l’entreprise, et 42% d’entre eux occupent un poste clé dans l’organisation à titre de président et chef de l’exploitation.