Après une autre année record en 2024, le marché du transfert des risques des régimes de retraite à prestations déterminées a ralenti en première moitié de 2025.

Selon un article de Sun Life, publié le 28 juillet 2025 et intitulé Volatilité et régimes PD : passer à l’action en période d’incertitude, le volume des transactions de rentes collectives destinées aux promoteurs de régimes de retraite à prestations déterminées a atteint 1,5 milliard de dollars (G$) au 30 juin 2025, comparativement à 3,7 G$ par rapport à la même période de 2024, soit une baisse de près de 60 %. 

Ces transactions de rentes collectives permettent aux promoteurs de régimes à prestations déterminées de transférer aux assureurs des risques qui pèsent sur leur caisse de retraite, tels que ceux de taux d’intérêt, de crédit, des marchés financiers et de longévité des retraités.

Dans son article, Sun Life attribue le recul du marché des rentes collectives en première moitié d’année à des facteurs qui monopolisent l’attention des acheteurs. « Les six premiers mois de 2025 ont été des montagnes russes : incertitudes tarifaires, conflits géopolitiques et volatilité des marchés. Il n’est donc pas étonnant que les transferts des risques de retraite soient passés au second plan des préoccupations des promoteurs de régime », peut-on y lire. 

 On ne s’attend pas à une année record cette année.
– Mathieu Tessier

Cette baisse marquée du volume de transaction pourrait mettre fin à une série de records rarement interrompue depuis une dizaine d’années. Le rythme avait ralenti abruptement durant la pandémie de COVID-19 en 2020, pour ensuite repartir de plus belle (voir le graphique → Évolution des ventes de rentes collectives destinées au transfert du risque des régimes de retraite à prestations déterminées au Canada).

Dans un rapport intitulé Aperçu du marché canadien du transfert des risques liés aux régimes de retraite en 2024, Sun Life rappelle que les transactions sur le marché canadien du transfert des risques liés aux régimes de retraite ont dépassé les 11 G$ en 2024, soit une augmentation de plus de 40 % par rapport à 2023.

Mathieu Tessier

« On ne s’attend pas à une année record cette année », a dit d’entrée de jeu Mathieu Tessier, vice-président, relations avec la clientèle et innovation, solutions prestations déterminées, de Sun Life, en entrevue avec le Portail de l’assurance. Il s’attend plutôt à une année dont le volume de transactions pourrait davantage se situer dans un corridor de huit à 10 G$.

M. Tessier dit comprendre que le climat actuel puisse pousser plusieurs régimes à hésiter. « Pour un promoteur de régime très impliqué dans la résolution des problèmes de ses affaires principales, faire des transactions de réduction des risques pour son régime de retraite peut devenir secondaire », ajoute-t-il. 

La tendance demeure lourde 

 Les promoteurs n’ont pas décidé de ne plus acheter des rentes. La tendance lourde est toujours là
– Marco Dickner

Marco Dickner

Selon nos sources, ce ralentissement des transactions dans le marché des rentes collectives n’entamera toutefois pas la tendance à la hausse de façon durable. « Il n’y a pas anguille sous roche », lance pour sa part Marco Dickner, chef, gestion des risques de retraite, Canada, du consultant WTW, en entrevue avec le Portail de l’assurance.

Les promoteurs n’ont pas décidé de ne plus acheter des rentes. La tendance lourde d’acheter des rentes est toujours là, tant aux États-Unis qu’au Canada », croit-il. 

« Cette tendance lourde a pesé pour quelque 130 à 140 transactions en 2024, rappelle M. Dickner. Cette année, on s’attend à ce qu’il y ait à peu près le même nombre de transactions. L’an passé, on avait peut-être plus de transactions jumbos (mégatransactions), ce que nous avons moins cette année », explique-t-il au sujet du recul enregistré au 30 juin.

Selon l’article de WTW intitulé Le pouls du marché des rentes collectives et des risques – Revue annuelle de 2024, le volume élevé de transactions enregistré en 2024 est entre autres attribuable à la prédominance des mégatransactions. L’article les définit comme des transactions dont le volume dépasse les 500 millions de dollars (M$). 

Il cite entre autres celle d’IBM Canada Limitée qui a conclu en octobre 2024 une transaction de rentes avec rachat des engagements (buy-out en anglais). D’une valeur de 1,5 G$, elle vise 6 000 participants et bénéficiaires d’un régime. Les rentes ont été souscrites auprès de Compagnie de rentes Blumont (auparavant Compagnie de Rentes Brookfield) et de RBC Assurances.

Au terme d’une transaction de rachat, l’assureur devient administrateur du régime et responsable d’en verser les rentes aux participants, en plus d’en assurer les risques. 

Dans le cas de la transaction avec IBM, Blumont et RBC Assurances assurent respectivement 75 % et 25 % des versements de rente. RBC Assurances agit en tant qu’administrateur principal du régime et en verse les rentes aux participants depuis le 1er mai 2025.

Benoît Labrosse

Dans l’article de WTW, les auteurs – M. Dickner et Benoît Labrosse, qui est stratège en gestion des risques de retraite pour le Canada chez WTW – disent s’attendre à ce que la capacité des assureurs continue de croître pour répondre à la demande. « En fait, de nombreux réassureurs souhaitent participer au marché canadien, ce qui augmenterait l’offre au besoin », écrivent-ils.

Ils estiment que le marché serait maintenant en mesure d’absorber jusqu’à 4 G$ milliards de dollars en transactions en une seule journée. 

En entrevue, Marco Dickner a ajouté que quatre mégatransactions avaient eu lieu en 2024. « C’est un peu aléatoire », a-t-il dit en mentionnant qu’il est préférable d’analyser le marché sous la lentille d’une moyenne mobile de trois ans. 

De son côté, Sun Life mentionne dans son article une transaction de rentes d’une valeur de 923 M$ réalisé par Ford Canada en 2024. Trois assureurs y ont participé : RBC Assurances, Sun Life et Desjardins Assurances ont souscrit des rentes collectives avec rachat des engagements pour les membres d’un régime de retraite de Ford Canada. WTW a agi comme conseiller dans cette transaction. 

Mathieu Tessier rappelle que cette transaction a été rendue publique en 2024, mais réalisée en 2023. « Ces mégatransactions mettent des mois, si ce n’est des trimestres, à se mettre en place. Des circonstances peuvent faire en sorte qu’elles sont repoussées d’un côté ou de l’autre de la date butoir du 31 décembre, en faisant une année tranquille ou resplendissante », explique-t-il.

Le rapport de Sun Life révèle qu’il y a eu trois transactions de plus de 800 M$ en 2024. Elles ont représenté 34 % du volume total de 11 G$.

Solution primordiale et à bon prix 

Philippe Rickli

Consultant dans le marché, Normandin Beaudry constate régulièrement l’effet de recul dans ses discussions avec les clients, a confié en entrevue avec le Portail de l’assurance son conseiller principal, retraite et épargne, Philippe Rickli. « Sur le coup, ça fait sur sursauter parce qu’on avait une ligne de croissance presque continue sauf durant la pandémie en 2020 et un petit ralentissement en 2023 », reconnaît M. Rickli.

M. Rickli rapporte que des clients ont été perturbés par la volatilité des marchés boursiers en début d’année. Vendre une partie de leur portefeuille en actions pour financer l’achat de rentes collectives fait partie des choix qui s’offrent aux promoteurs de régime. « Au premier trimestre de 2025, des clients ont décidé de ne pas vendre leur portefeuille d’action, après avoir essuyé de grosses pertes. »

Il explique que les promoteurs voudront récupérer ces pertes et ensuite apparier les actions à des obligations pour équilibrer le risque. Ils iront ensuite vers le marché d’achat de rente. 

 La rente assurée est un outil de gestion de risque primordial pour les régimes de retraite.
– Philippe Rickli

Philippe Rickli note qu’à court terme, certains clients du secteur public, par exemple le domaine municipal au Québec, pourraient être tentés par une transaction de rente. « Dans un contexte de tarifs douaniers, ce sont des régimes de retraite qui sont parfois moins touchés par cette réalité économique qui force les autres à se concentrer sur la gestion des opérations. Ils peuvent trouver le temps de regarder ces transactions-là », pense-t-il.

Dans l’ensemble, la rente collective reste selon lui un produit financier intéressant. « La rente assurée est un outil de gestion de risque primordial pour les régimes de retraite. Elle reste un très bon outil accessible à bon prix », ajoute-t-il en ajoutant que leur rendement actuel approche les 5 %.

À ce sujet, l’article de Sun Life sur le ralentissement de 2025 montre cet atout. Il affiche une comparaison au 31 mars 2025 selon laquelle le rendement des rentes s’établit à 4,59 %, comparativement à un rendement des portefeuilles d’obligations de 3,41 % une fois déduits des frais estimés à 1 %.

Le rendement des obligations a été établi selon une combinaison de l’Indice des obligations de toutes les sociétés FTSE Canada et de l’Indice des obligations de société à long terme FTSE Canada, pour obtenir la même durée que celle du groupe utilisé pour déterminer le taux de rente approximatif des rentes, selon l’Institut canadien des actuaires (ICA). 

Bonnes conditions de marché en 2025 

Mathieu Tessier dit avoir entendu que des promoteurs en période de délai iront de l’avant comme prévu en 2025. « La file d’attente est moins longue. Il y a de l’espace pour certains promoteurs agiles, prêts et bien provisionnés pour passer à l’action. Nous, assureurs et consultants, avons un certain appétit pour le risque et de la bande passante pour régler les problèmes », mentionne-t-il.

C’est aussi l’avis de Philippe Rickli. « Les taux d’intérêt ont beaucoup augmenté depuis la pandémie de COVID-19. La situation financière des régimes s’est améliorée depuis 2021-2022 », rappelle-t-il. Ce qui a permis aux régimes de se repositionner avantageusement en obligations. 

« Le régime peut faire des appariements de durée et obtenir des comportements similaires entre l’actif et le passif, puis on vient déjà faire un bout de chemin dans l’immunisation de la solidité financière du régime. On se place dans un horizon à plus long terme qui permet de vendre des actions pour acheter un portefeuille d’obligations qui servira à son tour à payer une prime à l’assureur pour sécuriser la caisse de retraite », illustre M. Rickli. 

Un marché concentré  

Trois conseillers ont accaparé 81% du marché des rentes collectives destinées au transfert de risque de régimes en 2024, selon les données du rapport de Sun Life. 

Le conseiller WTW conserve la tête du marché, avec une part de 49 % des primes de rentes collectives vendues en 2024. Suivent Aon, avec une part de 18 %, et Mercer, avec une part de 14 %.

Parmi les autres joueurs figurent Telus Santé, avec une part de 9 %, et Normandin Beaudry, avec une part de 3 %. Les 7 % de parts qui restent se répartissent entre quelques autres joueurs.