Si les choses ont bien changé depuis son arrivée dans l’industrie au début des années 1980, Sylvie Paquette croit que l’innovation anticipée sera encore plus spectaculaire et bouleversera profondément l’assurance.
L’ex numéro un du Mouvement Desjardins en assurance de dommages et administratrice pressentie d’Intact Corporation financière a pris part au panel de fermeture de la Journée de l’assurance de dommages 2017. Elle souligne que la technologie ne fait pas qu’influencer les façons de faire des assureurs. Elle influence aussi les biens à couvrir et les besoins de la clientèle.
« Les milléniaux ne sentent plus le même besoin d’être propriétaire de leurs biens. Ils sont très satisfaits d’en louer l’utilisation au besoin », poursuit-elle.
En cette ère numérique, la vitesse accélérée des échanges a donné « le pouvoir aux consommateurs », un changement majeur dont on ne parle pas assez, dit-elle. Bien gérer les risques est toujours une condition clé, mais les recettes du passé ne garantissent plus les succès futurs, ajoute-t-elle.
Le changement imposé par les consommateurs prime
Les changements technologiques influencent l’industrie, mais c’est d’abord le changement imposé par les consommateurs qui prime, ajoute Marc St-Pierre, président et copropriétaire du cabinet de courtage Lepelco, mais aussi actionnaire principal de ClicAssure.com. « Leurs besoins changent. Ils nous l’expriment. On n’a aucun produit à leur offrir. »
À une certaine époque, ce sont les fournisseurs qui imposaient leurs produits et services aux consommateurs, comme l’ont fait les banques à une certaine époque pour encourager leurs clients à déposer leur chèque de paie au guichet automatique. Ce temps-là est révolu et les rôles ont été renversés, dit M. St-Pierre. Il inclut les relations entre employeurs et salariés dans cet état de fait. « Notre défi est de rester connectés, d’écouter ce que veut notre clientèle et convaincre les fournisseurs d’adapter leurs produits. Ce n’est pas une mince tâche », dit-il.
Culture de l’innovation
Charles Dugas, vice-président adjoint chez Aviva Canada, a relaté que lorsqu’il a fondé ApsTAT Technologies en 2001 avec Nicolas Chapados, les deux hommes voulaient vendre des algorithmes d’apprentissage et des réseaux de neurones artificiels aux assureurs. « Ça a été pénible pendant plusieurs années. »
En 2003, il était allé une première fois chez Aviva à Scarborough, et il y est retourné quelques années plus tard. Il a fini par baisser les bras. Il travaille néanmoins chez Aviva depuis 2011. « Maintenant, j’implante les idées que j’essayais de leur vendre. »
L’industrie de l’assurance montre une certaine résistance au changement, confirme Sylvie Paquette. « Nous ne sommes pas reconnus pour être une industrie innovante, une industrie ouverte orientée vers les clients. Des efforts sont faits et des entreprises bougent plus vite que d’autres. On est à la base une industrie très prudente, on gère des risques », dit-elle.
Cette culture change lentement. Selon elle, les joueurs gagnants « seront ceux qui auront le client en tête en premier, la culture de l’innovation, l’agilité, la culture de l’apprentissage plus rapide ».
Après des siècles à gérer le risque en fonction des sinistres survenus dans le passé, Jean-François Béliveau, vice-président principal au Québec de Northbridge Assurance, soutient que l’industrie doit améliorer ses capacités prédictives. Les efforts menés en assurance des entreprises, où le travail de souscription est souvent plus complexe, ont permis à l’industrie de s’améliorer, mais pas encore assez rapidement. « On a fait des progrès, mais ça a pris beaucoup de temps et d’efforts », dit-il.
Innover à partir d’une page blanche
Bernard Deschamps, PDG du Groupe Ultima, reconnait l’importance de la culture de l’innovation. « C’est beaucoup plus facile d’innover quand tu pars d’une page blanche. » Les intervenants du réseau de distribution ont peur de perdre leurs acquis, ajoute-t-il. « La technologie nous force à passer à l’autre étape. » Il cite en exemple l’utilisation de la blockchain pour sécuriser les transactions, ce qui bouleversera l’ensemble de l’industrie financière.
Marc St-Pierre rappelle qu’au début des années 2000, tous les assureurs ont investi de lourdes sommes pour moderniser leurs systèmes. « Ces changements n’ont pas été faits pour les clients, mais pour l’entreprise elle-même. » Il estime anormal que l’assureur qui couvre un risque commercial n’arrive pas encore à offrir des garanties pour d’autres besoins personnels de l’entrepreneur, parce que ces systèmes ne se parlent pas.
Ces dernières années, l’industrie est passée en mode consolidation par les fusions et acquisitions. Pour passer à la prochaine étape, « il faut écouter les clients », insiste M. St-Pierre. Les assureurs et les courtiers établis ont déjà des clients, ce qui n’est pas le cas d’une entreprise en démarrage. En assurance, on devrait s’inspirer de l’exemple de Teo Taxi, qui a amélioré l’expérience du client dans le taxi en utilisant la technologie, suggère-t-il.
Place pour les PME ?
Dans cet univers où les géants de l’Internet imposent leur plateforme, y a-t-il encore de la place pour les PME ? Charles Dugas souligne que les PME n’ont pas toujours les moyens de développer leur propre système. Elles sont toutefois plus flexibles et capables de s’adapter plus rapidement qu’une grande entreprise. Il faut choisir les bons fournisseurs, insiste-t-il. En matière de virage numérique, les assureurs ont dix ans de retard, mais ils peuvent s’inspirer de ce qui a été fait dans d’autres secteurs, ajoute M. Dugas.
Lors de son passage chez Desjardins, Sylvie Paquette a pu voir l’influence des entrepreneurs au sein d’un grand groupe, d’abord avec Western Financial, puis avec State Farm et son réseau d’agents exclusifs. L’entrepreneur est à l’écoute du client et est capable de s’adapter, tandis que le groupe peut fournir les moyens qui aident à implanter des systèmes plus sophistiqués. « Le modèle idéal dans l’avenir doit inclure les deux », dit-elle.
Marc St-Pierre renchérit en donnant l’exemple de Multi-Prêts dans le courtage hypothécaire, devenu un très joueur dans le marché en quelques années. La firme a su établir des partenariats avec des concurrents qui sont devenus des fournisseurs. Le réseau de courtage a fourni la connaissance physique du marché. Le virage numérique a permis de l’établir comme un grand joueur dans ce segment.
Le débat sur l’indépendance du courtier indiffère Marc St-Pierre, qui précise que sa position est toute personnelle, et non celle de son groupe. Il estime que la limite du 20 % des actions détenues par un assureur dans un cabinet n’a aucune importance, pourvu que le courtier continue à diversifier et équilibrer son volume d’affaires. « Que ça soit à 20 %, ou à 100 %, sincèrement, je m’en contrefous », dit-il.
Sylvie Paquette insiste sur la nécessité de réinventer les modèles. Peu importe le mode de distribution, le modèle doit être établi en fonction des besoins des clients, lesquels ne font pas toujours la différence entre les divers statuts des intermédiaires. « L’important est d’être transparent. Si tu ne magasines pas la prime au renouvèlement, le client doit le savoir », dit-elle.
Revenir à la base
Jean-François Béliveau insiste sur la nécessité de revenir à la fonction première de l’industrie. « On ne fait pas de la technologie, des métadonnées. Notre métier, c’est l’assurance, c’est ce que le consommateur achète, une protection contre un risque. La nature du produit n’est pas modifiée par son mode de distribution. La pizza ne sera pas meilleure, une fois livrée chez vous, parce que vous l’avez commandée en ligne. »
Les nouveaux entrepreneurs sont connectés en tout temps et les plateformes pour interagir avec eux doivent suivre cette évolution. La transaction se conclut sur la base de la transparence, la clarté de l’information transmise et la qualité de la relation entre le client et le représentant, insiste M. Béliveau.
« Il faut juste être là, sur la plateforme choisie par le consommateur, c’est lui qui décide, renchérit Bernard Deschamps. C’est ça le secret. C’est pour cela qu’ils vont ailleurs. Ce n’est pas parce qu’on ne règle pas les sinistres et les réclamations. S’ils vont chez Lemonade, c’est parce que c’est plus rapide et plus simple. Non pas parce que c’est un meilleur assureur, on n’en sait rien encore. » Toujours à propos de Lemonade, Charles Dugas note que l’on ne sait pas si c’est un véritable assureur ou un agent général. « Ils se présentent comme un assureur, mais derrière, il y a des réassureurs qui prennent part au risque. Ils gèrent la police, c’est vrai. Mais est-ce que c’est la définition d’un assureur ? C’est en démarrage. »
Le questionnement sera le même pour les fabricants de véhicules autonomes, estime Sylvie Paquette. Certains accepteront de prendre le risque, d’autres voudront le partager ou le faire couvrir entièrement par des assureurs.
Charles Dugas souligne que l’industrie n’a jamais fait de grands efforts pour aider les clients à gérer leur risque, outre le fait d’offrir des rabais ou d’imposer des surcharges. Il pense qu’il sera désormais plus facile pour les assureurs de le faire, en utilisant la technologie comme un outil d’aide à la décision. « Il faut arrêter d’être timide, il faut contacter les clients et leur suggérer des moyens », dit-il.