Étienne Plante Dubé

Chaque entreprise doit définir sa stratégie d’utilisation de l’intelligence artificielle. Si l’assureur veut en tirer profit, il doit trouver l’équilibre entre les succès rapides, les chantiers stratégiques et les efforts en R&D, indique Étienne Plante-Dubé, de Beneva

M. Dubé, directeur principal, analytique avancée et intelligence artificielle (AAIA) de Beneva, était l’un des experts invités dans le cadre d’InsurTech Québec, au début avril. Il occupe cette fonction depuis janvier 2021, après avoir travaillé dans des fonctions similaires chez Desjardins

Avec ses 5 000 employés et 6 milliards de dollars (G$) de primes brutes, Beneva a été créée en 2020 par la fusion de La Capitale et de SSQ Assurance. La mise en place d’une pratique AAIA au sein de cette nouvelle organisation a été l’occasion de quelques apprentissages depuis la fusion complétée en juillet 2020, souligne M. Dubé.

La mission des agents de l’assureur est d’accompagner les quelque 3,5 millions de membres clients et de leur fournir la tranquillité d’esprit dont ils ont besoin. 

« On ne veut pas copier ce que font les autres assureurs. On veut trouver comment, à travers notre mission, on arrive à générer des idées utiles », dit-il. On ne vise donc pas à remplacer les employés par des robots, mais à les outiller pour qu’ils servent toujours mieux les clients. 

Cette valorisation responsable doit se faire dans le respect de la réglementation, de l’acceptabilité sociale et des valeurs mutualistes, précise Étienne Plante-Dubé. 

La stratégie 

Les forces étaient un peu éparpillées dans les deux organisations et la création de la nouvelle mutuelle a été l’occasion d’établir une offre de service claire en pratique AAIA. Huit divisions sont associées à cette direction : intelligence d’affaires, opérations, centre d’excellence en optimisation des processus, gouvernance de données, ingénierie de données et analytique, centre d’excellence en innovation, actuariat et conformité. 

Par la suite, on clarifie les rôles et les responsabilités afin de miser sur la collaboration des intervenants dans chaque projet en AAIA. Chacun doit contribuer à toutes les étapes du processus de validation du cas d’utilisation (« business case »), insiste M. Dubé.

L’organisation doit connaître ses forces et les utiliser au maximum afin de relever les défis qui la confrontent. M. Dubé aime bien l’approche SWOT basée sur l’analyse des forces (« strenghts »), des faiblesses (« weaknesses »), des occasions (« opportunities ») et des menaces (« threats »). Chez Beneva, ces capacités importantes en assurance collective et en assurance de dommages sont certainement parmi les forces à exploiter. 

L’intégration des deux assureurs au sein d’une même structure permet aussi de moderniser les équipements en récupérant le matériel le plus mature dans chacune des deux mutuelles. Par exemple, le service à la clientèle en assurance collective était très bien coté au sein de La Capitale et cette efficacité est transmise à l’ensemble du groupe. 

Même si la nouvelle direction en AAIA est récente, des projets avaient déjà été menés de bout en bout et avaient montré leur robustesse. L’assureur a pu ainsi bâtir son système d’infonuagique et a développé d’autres outils pour « gagner en vélocité », indique-t-il. 

Parmi ses faiblesses, Beneva demeure « un joueur régional de taille moyenne, ce qui nous impose le devoir d’être plus efficace et créatif malgré des moyens plus limités », dit-il. L’optimisation est requise si l’assureur veut concurrencer des joueurs plus gros tant en assurance de personnes qu’en assurance de dommages sur le marché canadien. 

Beneva vise l’intégration de tous les systèmes d’assurance dans ses trois lignes d’affaires en trois ans, ce qui n’est pas un mince défi, reconnaît M. Dubé. Même si le cœur des activités des technologies de l’information (TI) est consacré à réaliser cette intégration, l’équipe de M. Dubé s’occupe de développer de nouveaux outils qui s’implantent rapidement et qui maximisent l’efficacité opérationnelle. 

Les ressources 

Son principal défi est de rassembler une équipe performante, poursuit-il. L’analyse de données est au cœur de l’expertise recherchée, qui réunit les compétences en informatique, en mathématiques et dans le domaine d’affaires de l’assureur.

« J’ai rarement vu une seule et même personne versée dans les trois domaines, alors cela nécessite de rassembler des gens qui sont spécialistes en leur domaine, de leur faire confiance et de les laisser travailler », dit-il. 

Le conseiller en analytique joue un rôle clé dans cette équipe, car c’est lui qui doit traduire les besoins de l’assureur et les harmoniser avec les capacités informatiques et mathématiques. 

Au fil de sa carrière, Étienne Plante-Dubé rapporte avoir constaté la nécessité de la diversité dans la composition d’une équipe, tant au point de vue du genre que de la culture ou de l’expertise. « On ne doit pas diversifier pour des raisons de relations publiques ou pour les politiques de discrimination positive, mais tout simplement parce que l’on améliore la performance de l’équipe et on trouve de meilleures solutions », précise-t-il. 

Le domaine de l’AAIA est encore très majoritairement masculin, et le directeur s’emploie à changer la tendance en montrant des modèles féminins et en les encourageant à s’impliquer dans leur communauté. 

Il faut aussi viser la neurodiversité, soit la variété des profils neurologiques chez les humains. « Comme actuaire de formation, j’aurais plutôt tendance à chercher des personnes neurotypiques que neurodiverses. Mais on sait qu’en mathématiques et en analyse des données, on trouve de nombreuses personnes qui ont des troubles du spectre de l’autisme ou de déficit de l’attention. Ces gens peuvent être extrêmement performants et heureux si on sait bien les accompagner », souligne-t-il. 

La mobilisation 

Chaque entreprise doit développer sa propre recette en AAIA. Chez Beneva, chaque grand domaine d’affaires comptait déjà des équipes bien établies et fonctionnelles. Il a fallu les rassembler autour d’une même table afin de fournir une vue d’ensemble des besoins et des initiatives, de prioriser et coordonner les activités, de promouvoir les réalisations et de développer un réseau d’ambassadeurs. 

On veut développer la communauté de pratique qui encourage les collègues à créer des liens d’entraide et briser les silos. On arrive ainsi à générer de nouvelles applications, selon M. Dubé. 

Le mandat et le client 

La nécessité du partage des objectifs est au cœur de la réussite des projets en AAIA, insiste Étienne Plante-Dubé. La rédaction d’une fiche mandat et le lien avec récit utilisateur permet d’orienter les efforts de l’équipe.

La fiche mandat comprend un titre, son requérant, son responsable, son contexte et son objectif, les produits livrables attendus, son niveau de priorité, ses hypothèses, sa portée et ses contributeurs.

Comme exemple de récit d’utilisateur, il cite le cas d’Esther, une cliente qui vient d’avoir un nouvel enfant et qui veut l’ajouter comme personne à charge dans son contrat d’assurance collective. En consultant son espace client Beneva pour faire cet ajout, une bannière personnalisée l’informe de l’existence d’un outil d’aide à l’évaluation de son besoin d’assurance vie pour assurer sa tranquillité d’esprit. En quelques mots simples, Esther confirme les renseignements à un agent conversationnel qui la met en contact avec un conseiller en sécurité financière lorsqu’elle manifeste son intérêt à en savoir davantage. 

Les retombées 

On ne peut pas juste travailler sur des projets qui donneront des résultats dans trois ans, comme c’est le cas pour le projet de David Beauchemin auquel Beneva collabore. La livraison de résultats rapides contribue à maximiser les retombées, ce qui aide à mobiliser l’équipe en bâtissant sur les succès.

Il faut donc maintenir un équilibre entre les succès rapides, les chantiers stratégiques et les efforts en recherche et développement (R&D). Encore là, chaque entreprise trouve son propre équilibre là-dedans selon son degré de maturité, explique M. Dubé. 

Les spécialistes de l’AAIA ont pu développer de très bons systèmes de traitement du langage naturel ou de l’analyse d’image, mais 80 % des projets sont toujours basés sur des données structurées, rappelle Étienne Plante-Dubé.

On doit donc commencer par des modèles simples qui servent à valider des intuitions à l’interne. Selon lui, il y a encore beaucoup à faire pour mieux utiliser et structurer les données avant de penser à concevoir des algorithmes très complexes.

Les équipes en détection de la fraude sont ensevelies sous les alertes, alors on peut par exemple se consacrer à les outiller pour mieux filtrer ce volume. « Filtrer des fichiers Excel, ça a l’air plate, mais c’est très utile sur le plan de l’intégration des affaires », cite-t-il en exemple.

Selon lui, les spécialistes de l’AAIA ont tout intérêt à parler aux gens des opérations et à les entendre raconter leurs problèmes s’ils veulent trouver des solutions qui améliorent la performance de l’entreprise. 

Les jeunes pousses 

Beneva suggère aux assureurs de collaborer avec de jeunes pousses qui produisent des applications fort utiles dans les relations entre l’assureur et ses clients.

« Intégrer 3 000 agents dans la plateforme Guidewire, c’est beaucoup d’efforts et de développement TI. Mais intégrer une startup dans une petite équipe, ça se fait en quelques semaines, on obtient de l’adhésion et on en tire de la valeur grâce aux itérations avec nos équipes à l’interne », dit-il. 

Il cite l’exemple du service du recouvrement qui tente de débusquer les dossiers où l’assureur peut obtenir le remboursement d’une partie des dommages assurés auprès d’un tiers. « Ça prend plusieurs itérations entre les experts et nos concepteurs pour concevoir la bonne application », dit-il. L’amélioration de l’algorithme est rendue possible grâce à cet échange avec les spécialistes du recouvrement. 

Étienne Plante-Dubé recommande aussi de favoriser les applications en mode ouvert (« open source ») et de recourir aux différentes plateformes d’hébergement de l’infonuagique.