Peut-on arriver à automatiser l’explication des contrats d’assurance ? Pas pour l’instant, mais David Beauchemin y travaille, même s’il sait que la route est encore longue.
M. Beauchemin, expert en intelligence artificielle et vice-président aux opérations de Baseline, est aussi actuaire de formation. Il a obtenu une maîtrise en informatique et poursuit ses études au doctorat dans le même secteur, toujours à l’Université Laval. Il préside également le conseil d’administration de Baseline.
Son projet d’études doctorales en apprentissage automatique (« machine learning ») consiste à utiliser le traitement automatique du langage naturel afin d’aider les consommateurs à mieux comprendre le contenu parfois aride des clauses du contrat d’assurance.
Ce sont les changements apportés par la loi 141 et qui sont entrés en vigueur en 2019 qui l’ont incité à travailler sur le processus de souscription en ligne. L’offre d’assurance par Internet et sans l’aide d’un représentant certifié est désormais possible.
Est-ce qu’on explique vraiment les clauses au client ? Est-il bien protégé ? Est-ce que l’information est pertinente et est-elle fournie au moment opportun dans la transaction ? Voilà autant de questions qu’il soulève.
En mode numérique, l’accent est mis sur les protections accordées, mais les clauses plus obscures ne sont pas toujours bien expliquées, ajoute M. Beauchemin. L’Autorité des marchés financiers publie régulièrement son indice de littératie financière qui montre que les consommateurs sont généralement peu ferrés en matière d’assurance.
Information nécessaire
Quand le consommateur achète une police sans l’aide d’un représentant, le seul contact qu’il aura avec un représentant de l’assureur sera à l’étape de la réclamation après sinistre. « Si la demande est refusée, en raison d’une exclusion qui avait échappé au client, on est sur la mauvaise pente et la perte de confiance est prévisible », dit-il.
M. Beauchemin juge important d’expliquer le contrat au consommateur, même si la transaction se passe sans l’aide d’un intermédiaire. La police de base en assurance auto fait une vingtaine de pages, mais elle couvre assez peu de choses. Il faut y ajouter de nombreux avenants. À la fin, le contrat moyen totalise 35 000 mots, soit 5 000 mots de plus que toute la Loi sur l’assurance automobile.
Il donne l’exemple de la pluralité d’assurances, dont la mention à l’article 2496 du Code civil du Québec est tout sauf limpide. L’agent qui interagit avec le consommateur peut expliquer simplement au client que si deux assureurs couvrent le même dommage, il ne recevra pas deux fois l’indemnité prévue.
En mode numérique, peut-on prévoir une réponse aux questions les plus fréquentes que se posent les clients ? En assurance vie et en assurance collective, les contrats sont encore plus complexes, souligne M. Beauchemin.
Occasion ratée
Si le client doit attendre au moment de la réclamation pour comprendre la nature de ses protections, il y a peut-être là une occasion manquée pour l’assureur, selon David Beauchemin.
Pour l’avoir déjà exercé, David Beauchemin sait que le travail de l’agent d’assurance n’est pas facile. Son intuition peut l’aider à saisir le moment où il lui faut s’assurer que le client a compris l’objet du contrat. Développer le sens de l’intuition d’une machine est un défi qui est, pour l’instant, insurmontable.
En mode numérique, le client veut souscrire au moment qui lui convient. Les assureurs ne peuvent mobiliser du personnel 24 heures par jour pour répondre aux questions des clients potentiels.
Le site de l’Autorité des marchés financiers fournit beaucoup d’information et d’autres sites Internet sont aussi fort utiles, mais l’information n’est pas offerte de manière synchrone aux besoins du consommateur. L’apprentissage automatique permettrait de fournir l’information au moment opportun.
Quelques plateformes de soumission fournissent des explications sur les couvertures prévues dans les contrats, mais les essais ne sont pas encore très concluants, selon M. Beauchemin. « Si vous avez un vélo de plusieurs milliers de dollars, c’est plate de découvrir après le vol qu’il n’est pas couvert par votre police de base en habitation », dit-il.
Il pense qu’il serait même possible de personnaliser le volume d’explication en fonction du niveau de connaissances du consommateur.
L’automatisation a ses limites et son coût de développement demeure prohibitif. La modélisation aiderait à simplifier les termes communs en assurance pour les traduire en langage courant. À son avis, l’agent conversationnel (chatbot) qui explique cette terminologie serait déjà un bon départ.
On pourrait aussi viser à générer un résumé du contrat qui tient en une ou deux pages au moment où le client accepte la soumission. C’est ce à quoi David Beauchemin s’attaque dans son projet de doctorat, mené avec la collaboration de Beneva et qu’il espère conclure en 2024.
Il travaille à créer un premier jeu de données à partir de contrats en français et en anglais. Il mène aussi une approche de génération automatique de résumé non supervisée, de même qu’une approche de simplification de texte automatique. Le contrat d’assurance serait ainsi l’objet d’un résumé, et la machine arriverait à reformuler le langage pour le rendre accessible, avec une capacité d’explication supplémentaire si le client le réclame.
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