David Cummings

Le monde de l’assurance au Canada est frappé par la tendance à la numérisation des activités, non pas par envie de se moderniser, mais en raison des attentes des consommateurs, de l’évolution du marché du travail et du retard sur la concurrence des assureurs étrangers. 

David Cummings, directeur principal de Deloitte au Québec, était l’un des experts invités à la conférence InsurTech Québec, tenue au début d’avril. Il est le chef de l’équipe de l’ingénierie des systèmes et aussi directeur du secteur de l’assurance au bureau de Montréal. 

M. Cummings avait fait une présentation au même événement en 2019, là aussi sur l’arrivée des jeunes pousses dans les technologies de l’assurance. Trois ans plus tard, il constate que les changements ont été très prononcés depuis chez les assureurs.

La pandémie a évidemment eu de grands impacts sur plusieurs secteurs de l’assurance. L’assurance voyage a évidemment souffert de l’interruption du tourisme. En assurance automobile, la tarification a été ajustée pour considérer la réduction considérable du kilométrage parcouru par une large partie de la clientèle, en raison des mesures de confinement et du travail à domicile. 

Les régimes collectifs ont aussi été affectés. « La plateforme de télémédecine Ping An, en Chine, en un mois après le début de la pandémie, a vécu une augmentation de 900 % des demandes de consultation », dit-il. Cela a certainement bouleversé les activités quotidiennes et les opérations de l’entreprise. 

Il ajoute que de nombreux services paramédicaux ont été inaccessibles pendant plusieurs mois pour les adhérents des régimes collectifs. En 2021, on a noté une hausse des invalidités et de leur durée, de même que l’augmentation de la demande liée à la santé mentale. 

Même en assurance de dommages des biens et de la responsabilité civile, l’industrie a noté une amélioration de 291 % du bénéfice technique en 2021. Par contre, les assureurs qui protègent contre le risque cybernétique ont eu plus de difficulté à équilibrer les comptes avec l’augmentation du télétravail, souligne M. Cummings. 

Faible maturité numérique 

Les assureurs canadiens ne font pas très bonne figure en matière de maturité numérique, ajoute David Cummings. Tant en matière d’automatisation et de numérisation des processus que des services numériques ou de la distribution, le Canada traîne de la patte derrière les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Union européenne et la Chine. 

Les changements très importants qui ont été provoqués par la pandémie à la fin de l’hiver 2020 sont survenus alors que plusieurs assureurs canadiens étaient encore mal préparés à l’ère numérique. Les besoins des consommateurs ont changé de manière importante durant la même période et la main-d’œuvre des assureurs devait aussi se réorganiser en mode télétravail. 

« La transformation numérique, c’est plus que des sites web et des applications », indique David Cummings. Le virage numérique est « l’application des capacités numériques aux processus, aux produits et actifs d’une organisation. Cette transformation permet la création d’une expérience engageante, ainsi que l’optimisation des opérations internes, en plus de permettre à l’entreprise de tirer parti des nouvelles opportunités de croissance et de diversification », précise-t-il. 

Nécessité de l’évolution 

Trois forces motrices accentuent le besoin d’entreprendre la transformation numérique, selon lui.

Premièrement, les clients ont de nouvelles attentes et désirent désormais une offre innovante de produits et services, personnalisable et flexible. On a vu de nombreuses institutions financières être ensevelies par les demandes des clients, sans pouvoir y répondre. David Cummings raconte l’avoir vécu avec sa propre institution financière dont la succursale était fermée au début de la pandémie et où personne ne répondait au téléphone ni aux courriels. 

 « On n’avait pas accès aux êtres humains, et on n’avait pas les outils et les services pour répondre aux besoins des clients », dit-il. Cela fait pourtant plusieurs années que l’industrie sait qu’elle doit augmenter son accessibilité par différents canaux. 

Selon M. Cummings, les assureurs doivent urgemment répondre aux nouvelles attentes des clients et trouver une façon rentable de le faire s’ils veulent rester concurrentiels dans le marché. La sécurité, la rapidité de la résolution de problème, la personnalisation sont toujours nécessaires, il y a cinq ans comme aujourd’hui. 

Les systèmes de gestion des comptes clients (CRM) sont désormais la norme et les assureurs ont investi dans leurs centres d’appels et les agents conversationnels pour répondre aux demandes de leurs clients.

En assurance de personnes, on a un peu trop tardé à implanter des systèmes plus performants, souligne-t-il. La conversion des systèmes patrimoniaux vers des plateformes numériques a été faite plus rapidement par les assureurs de dommages et les régimes collectifs. 

Des services connexes comme la télémédecine sont désormais incontournables, alors que peu d’experts voyaient poindre cette tendance il y a seulement trois ans. « Plus personne ne veut voir son médecin juste pour renouveler ses ordonnances », note David Cummings. 

Évolution du marché 

La deuxième force motrice est l’évolution des joueurs sur le marché. Celle-ci a permis l’émergence de nouveaux modèles d’affaires et de plateformes qui menacent les assureurs traditionnels. 

L’exemple de l’expansion de l’intérêt pour la télémédecine est un indicateur de la nécessité d’augmenter les investissements en innovation technologique, poursuit David Cummings. Les canaux de distribution ne sont pas à l’abri de ce bouleversement. 

De nouveaux joueurs viennent bouleverser le marché, par exemple les géants du numérique ou d’autres joueurs non traditionnels, comme les fabricants automobiles par exemple. Il y a aussi des agrégateurs, de jeunes pousses et des assureurs établis qui mènent des offensives qui menacent directement les modèles d’affaires classiques. 

En février, Amazon Health a été créée par ce géant du commerce numérique pour offrir des avantages sociaux, des régimes collectifs, des soins de santé individuels, distribuer des médicaments, et ce, partout aux États-Unis.

Amazon collabore aussi avec des assureurs domestiques dans plusieurs pays pour distribuer l’assurance automobile. En 2021, par l’entremise du fonds CapitalG, Google a investi dans Applied, la plateforme de gestion de courtage. 

Du côté des insurtechs, les investissements réalisés en 2021 ont atteint un niveau record. David Cummings fait remarquer que ces nouveaux fonds sont limités à un nombre de joueurs de plus en plus réduit. Ce sont les jeunes pousses déjà établies qui voient leur expansion être facilitée par ces investissements.

Selon lui, les barrières à l’entrée étant moindres qu’avant, certaines d’entre elles pourraient bientôt occuper une part de marché plus qu’intéressante au détriment des assureurs traditionnels.

Ces derniers ne sont pas inactifs non plus. M. Cummings souligne que 71 % des agences et des cabinets utilisent désormais des logiciels d’infonuagique et 30 % exploitent des systèmes d’analyse de données. 

Le marché du travail 

La troisième force motrice est l’évolution du marché du travail. Les assureurs et les intermédiaires doivent adopter des stratégies flexibles de retour au bureau, doter leur personnel des outils nécessaires pour le travail à distance et intégrer de nouvelles méthodes de recrutement et de rétention des talents dans un marché du travail extrêmement serré. 

En Amérique du Nord, les employeurs ont vu leur accès au bassin habituel d’immigrants venus chercher du travail être grandement réduit par la pandémie de COVID-19. De plus, le nombre de finissants dans les établissements d’enseignement a diminué, parce que les étudiants prennent plus de temps à obtenir leur diplôme. Enfin, la main-d’œuvre chez les assureurs a aussi été touchée directement par le virus. De nombreux employés ont eu à gérer la maladie ou la mortalité dans leur famille. 

Attirer et retenir le talent devient un défi quotidien. Le télétravail n’a pas que des aspects positifs, comme on le voit dans les réclamations faites en matière de santé mentale et le nombre d’invalidités. « Ça n’est pas facile d’intégrer de nouveaux employés dans la culture de l’entreprise quand ils sont forcés de travailler à distance et sans jamais voir leurs collègues en personne », dit-il.

On voit d’ailleurs une tendance à la hausse des employés qui démissionnent de leur travail en raison de ce contexte particulier. « Quelque 20 % des solutions numériques lancées par les assureurs mondiaux en 2020 étaient centrées sur la sécurité et les besoins de leurs employés », note David Cummings. 

Les réassureurs conseillent désormais les grandes entreprises et les pressent d’investir en santé et mieux-être de leur personnel. « Il y a eu des augmentations de salaire, mais on voit maintenant que ce n’est pas ça qui fait la différence », dit-il.

Outre les avantages sociaux offerts en amont, M. Cummings suggère d’autres moyens comme faire participer les employés à des activités caritatives et l’organisation de loisirs « pour garder l’équipe en forme et le moral élevé ». 

Les nouveaux risques 

Les changements récents ont causé d’autres soucis aux assureurs, car des risques connaissent une forte augmentation. En cybersécurité, on a observé en 2021 une augmentation de 29 % des cyberattaques et de 93 % des rançongiciels.

Malgré la baisse de la demande de réclamations a été observée depuis le début de la pandémie, le nombre d’enquêtes pour fraudes demeure comparable à ce qu’il était en 2019. Les secteurs de l’assurance habitation et de l’assurance maladie et accident sont touchés par ce phénomène, constate l’expert de Deloitte.

Le nombre de fraudes reliées à l’assurance automobile est même en augmentation. Avec la baisse du trafic routier, il y a moins de témoins potentiels lors des accidents. De plus, la tentation de la fausse déclaration semble être en augmentation avec la possibilité de faire la réclamation en ligne. 

En conséquence, les assureurs doivent augmenter leur résilience opérationnelle, en se dotant de plans numériques bien conçus et sécuritaires, conclut David Cummings.