Même si l’Organisation mondiale de la santé reconnaît l’obésité comme une maladie chronique depuis près de 30 ans, le gouvernement du Québec refuse toujours de le faire en 2025 et de rendre accessible un médicament pour la combattre.

Dans sa réponse récente à une pétition citoyenne, le ministre québécois de la Santé, Christian Dubé, s’est notamment appuyé sur la position canadienne pour refuser cette demande. 

« Aucune province, ni le gouvernement fédéral ne reconnaissent l’obésité comme une maladie chronique. De plus, aucune juridiction canadienne n’assure la couverture de médicaments dans le contexte du traitement de l’obésité », justifie-t-il. 

Un expert mondial de Québec approuve 

C’est un choix avec lequel se dit parfaitement d’accord l’un des grands experts mondiaux de l’obésité, le Québécois Jean-Pierre Després. Il a fait « des obésités » sa thèse de doctorat en kinésiologie il y a 40 ans.

Il fut l’un des premiers au monde à suggérer au début des années 90 que l’obésité devrait être mesurée non pas par l’indice de masse corporelle (IMC) comme on le fait communément, mais par la mesure du tour de taille et le niveau de graisse qui s’accumule dans la cavité abdominale. 

« L’IMC est un mauvais indicateur, explique-t-il. C’est correct pour signaler qu’une population a grossi, mais pour mesurer les individus un à un, ça ne marche pas. Il y a des gens qui ont un excès de poids et qui jouissent d’une bonne santé.»

Distinguer l’obésité générale de l’obésité clinique 

Jean-Pierre Després a fait partie des 58 experts internationaux réunis dans une Commission par la publication médicale britannique The Lancet afin d’apporter une réponse à ce débat : l’obésité doit-elle être considérée comme une maladie ou non ? 

En entrevue au Portail de l’assurance, il a indiqué que les membres de la commission ont déchiré leur chemise sur cette question. La moitié prétendait que c’était une maladie, l’autre moitié soutenait qu’elle n’en était pas toujours une. 

Après 18 mois d’échanges, ils en sont arrivés à un consensus. Leur point de vue a été rendu public il y a quelques semaines : l’obésité au sens large n’est pas une maladie. En revanche, l’obésité clinique en est une et ils en ont défini les critères par 18 dysfonctionnements de systèmes et d’organes. Et, selon eux, les gens qui souffrent d’obésité clinique devraient avoir un accès adéquat aux traitements disponibles, comme pour ceux qui souffrent d’une maladie chronique et potentiellement mortelle. 

Il comprend le gouvernement du Québec 

Même s’il a constaté une explosion de l’obésité depuis 40 ans, Jean-Pierre Després comprend pourquoi le ministre Dubé vient de refuser de la reconnaître comme une maladie chronique. 

D’abord, dit-il, le diagnostic était trop flou avant les conclusions de la commission. Ensuite, de façon simpliste, par beaucoup de médecins, l’obésité est encore définie par un IMC égal ou supérieur à 30.

« Comme 25 % de la population québécoise est obèse, on mettrait le quart des gens sur l’Ozempic. C’est du gros n’importe quoi, s’exclame-t-il. Ce serait non seulement trop lourd, mais injustifié, car vous ne savez pas si la personne obèse est malade ou pas. Lors de mes conférences, j’apprends aux femmes que non seulement la graisse des cuisses et des fesses n’est pas dangereuse pour leur santé, mais ça les protège contre le diabète et les maladies cardiovasculaires. » 

Le médicament pour la perte de poids au bon patient 

Les conclusions de la commission dont il a fait partie marquent une avancée majeure. Il reviendra maintenant aux milieux de la santé locaux d’assimiler que seule l’obésité clinique doit être vue comme une maladie. Mais avant que ce ne soit fait, la confusion risque de persister.

« Je comprends les médecins qui soignent des patients obèses qui souffrent veulent que ce soit reconnu comme une maladie, mais il y a des gens chez qui ce n’est pas le cas. On a un discours qui est trop centré sur le poids et le remboursement de produits pour en perdre. C’est trop simple comme discours », indique M. Després.

À propos des médicaments comme l’Ozempic, le Wegovy et d’autres qui apparaîtront bientôt sur le marché, il parle d’un concours pour trouver la molécule qui fera perdre plus de poids que l’autre. Il n’est pas contre ces médicaments, que le régime public au Québec ne rembourse toujours pas. Il parle même de percées scientifiques spectaculaires. Mais ils doivent être prescrits aux bonnes personnes, pas à tous les gens qui sont en surpoids.

« Mais si vous êtes malade, que vous avez des atteintes à des organes qui nuisent à votre forme, on a enfin des molécules qui sont beaucoup plus efficaces, qui vont diminuer les complications du diabète et améliorer la fonction rénale », se réjouit-il.

« Pour ces patients, ces médicaments devraient être remboursés. Les analyses pharmaco-économiques vont montrer que même s’ils sont coûteux, le retour sur la dépense sera là. »

Mais pour obtenir un avis d’obésité clinique, ajoute-t-il, ça prend un diagnostic médical et il y a beaucoup d’éducation à faire dans les rangs des professionnels de la santé pour bien le faire.

Le ministre Christian Dubé a indiqué que l’Institut national d'excellence en santé et en services sociaux demeure à l’affût de nouvelles données sur les bénéfices de la pharmacothérapie pour le traitement de l’obésité, et plus particulièrement en ce qui a trait à l’amélioration de la santé globale au-delà de la simple perte de poids. 

Que pourraient faire les assureurs 

Jean-Pierre Després croit que les assureurs pourraient jouer un rôle dans le bon diagnostic de l’obésité clinique. 

« Si j’étais assureur sollicité pour rembourser les nouvelles molécules, j’exigerais en contrepartie que la science du mode de vie accompagne ces patients. Va-t-on rembourser ce médicament à vie ? On ne connaît pas leur impact sur des décennies d’utilisation. Il y aurait une offre holistique que les compagnies d’assurance pourraient développer. Oui, on aurait un plan de remboursement, mais basé sur la science de la prise en charge et par le mode de vie », précise M. Després.