Le gouvernement de l’Ontario donne suite à son intention de réglementer les réseaux de pharmacies privilégiées (RPP), qu’on appelle aussi plus largement « réseaux de fournisseurs privilégiés », liés aux régimes d’assurance-médicaments offerts par les employeurs. 

 Après une vaste consultation publique, il a annoncé, dans sa mise à jour économique de l’automne 2025, son intention de déposer un projet de loi visant à instaurer un modèle de fournisseur volontaire (Any Willing Provider – AWP), accompagné « d’un processus standardisé et transparent permettant aux patients de demander des exemptions aux RPP, lorsque cela est justifié ». 

Ce modèle permettrait à toute pharmacie acceptant les conditions financières d’un RPP existant d’intégrer ce réseau. Selon le gouvernement ontarien, cette approche vise à « accroître le choix des consommateurs et la concurrence dans le secteur pharmaceutique, tout en maintenant un accès rentable aux médicaments ».

Mark Kempf

« Le grand avantage, selon moi, sera le libre choix pour les patients », affirme Mark Kempf, conseiller en avantages sociaux et auteur établi à Paris, en Ontario. Il souligne que cela permettra aux patients de retourner consulter leur pharmacien habituel. 

À l’origine, les réseaux de pharmacies privilégiées visaient notamment à offrir un lien privilégié avec des pharmacies spécialisées, qui comprendraient mieux l’état de santé du patient, seraient en mesure de lui expliquer ses traitements, et favoriseraient ainsi une meilleure observance menant à de meilleurs résultats, explique M. Kempf. 

Cependant, les pharmacies affiliées à un tel réseau ne disposent pas toujours de cette expertise, ajoute-t-il. Il se souvient de cas où des employés ont vécu de très mauvaises expériences avec des pharmaciens inexpérimentés, qui ne possédaient pas les compétences requises et n’ont même pas pris la peine de passer en revue la médication avec eux — ce qui devrait pourtant être systématique.

Nigel Ottley

« Mon expérience, c’est que ces réseaux de fournisseurs privilégiés ne passent pas très bien auprès des Canadiens », affirme Nigel Ottley, associé directeur du Benefits Architect Group à Toronto. « Les gens tiennent à leur pharmacie de quartier, à leur relation avec leur pharmacien. » 

En les réglementant, « on veut mettre tous les pharmaciens sur un pied d’égalité », poursuit M. Ottley. Il explique que si un rabais est négocié avec une pharmacie, l’objectif est de permettre à une autre d’offrir les mêmes conditions. 

« Cet avantage risque toutefois de s’éroder à mesure que les autres chaînes réagiront », ajoute-t-il. 

Des défis pour les employeurs 

Alors que la réglementation des RPP devrait en théorie contrôler les coûts pour les consommateurs, l'employeur absorbe généralement le coût par le biais de la demande de remboursement, mentionne Nigel Ottley. Le consommateur pourrait être affecté si le régime prévoit un plafonnement des frais d'exécution d'ordonnance à, disons, 10$, et qu'une pharmacie particulière facture 15$, le consommateur étant alors tenu de payer la différence, explique-t-il.

Mark Kempf estime qu’il est impossible de prédire l’impact exact de la réglementation des réseaux des pharmacies privilégiées sur les coûts pour les consommateurs, sauf qu’en théorie, un tel réseau permettrait de réduire la majoration sur les médicaments d’environ 10 à 30 % dans le cadre du régime collectif. Si le régime couvre 100 % des frais, l’employé ne verra pas la différence. Mais si la couverture est de 80%, le 20% à la charge du patient pourrait représenter un montant élevé.

Roger Thorpe

Selon Roger Thorpe, président de Thorpe Benefits à Toronto, la réglementation des RPP pourrait représenter plusieurs inconvénients pour les employeurs. 

« Si l’objectif initial de ces réseaux était d’offrir à l’employé un système plus pratique, peut-être plus sécuritaire, mais surtout plus viable à long terme sur le plan financier, je ne suis pas certain que les employeurs en ressortiront gagnants. Je pense qu’ils perdront des leviers leur permettant d’assurer la viabilité de leur régime », déplore-t-il. 

Roger Thorpe espère que cette nouvelle réglementation favorisera la concurrence dans l’industrie pharmaceutique, mais il demeure sceptique. « Je ne suis pas convaincu que d’autres pharmacies auront toujours la capacité ou la volonté d’entrer en concurrence... pour créer la dynamique de concurrence et les baisses de prix que le gouvernement semble attendre », prévient-il. 

« Si, au final, c’est l’employeur qui paie la facture, il devrait pouvoir mettre en place les contrôles nécessaires pour maintenir la viabilité de son régime d’assurance-médicaments. Ces régimes coûtent de plus en plus cher et la tendance est à la hausse constante. Je ne crois pas que cette solution corresponde aux défis qu’ils doivent relever », affirme-t-il. 

De plus, « on n’observe pas vraiment de réduction des frais de majoration ou des frais de préparation. Au contraire, on assiste plutôt à une augmentation dans ces domaines », note M. Thorpe. 

Il croit que les employeurs devront éventuellement refiler une partie de cette hausse aux employés, ce qui pourrait inciter ces derniers à comparer les offres, surtout s'ils doivent payer un pourcentage de cette demande de remboursement ou les frais d'exécution eux-mêmes.

Chris Gory

« J'apprécie les résaux de pharmacies privilégiées, car ils permettent de garder les coûts raisonnables, en particulier pour les médicaments onéreux », explique Chris Gory, directeur d'Orchard Benefits à Toronto. « Je vois leur intérêt. À l'inverse, je comprends également le point de vue des petites pharmacies et leur souhait de participer au programme AWP [, soit le modèle de fournisseur volontaire] », ajoute-t-il.

De nombreux nouveaux médicaments font leur apparition sur le marché, et ceux-ci sont très coûteux, en particulier pour les petits employeurs, qui ont besoin d'être protégés. « Il faut leur faire payer le moins possible pour les médicaments, et c'est ce que permettent les RPP », explique M. Gory. 

Les assureurs également concernés 

Selon M. Thorpe, la réglementation des RPP en Ontario pourrait avoir un impact important sur les assureurs. 

Si les contrôles liés à la distribution des médicaments spécialisés sont éliminés à cause de la nouvelle réglementation, cela se traduira par des coûts supplémentaires qui viendront alourdir les ratios de mise en commun ou d’assurance excédentaire des assureurs, prévoit-il. 

Il ajoute que les assureurs conçoivent généralement leurs systèmes pour offrir des solutions aux conseillers ou aux courtiers, qui les présentent ensuite à leurs clients. Le retrait de ces options compliquera la gestion des coûts au sein du portefeuille d’assurance de l’assureur et rendra plus difficile le travail des conseillers qui tentent d’aider leurs clients à respecter leur budget d’avantages sociaux. 

Nigel Ottley rappelle que « le but premier des résaux de pharmacies privilégiées est d’obtenir un meilleur prix pour les médicaments qui dépassent les 10 000$. Si ce levier est perdu, je pense que les assureurs se retireront du processus et laisseront le choix aux consommateurs. » 

Le Québec interdit les RPP 

L’Ontario semble faire figure de pionnière au Canada en matière de réglementation des RPP, qui existent aussi dans d’autres provinces.

Le Québec fait toutefois figure d’exception. Sa réglementation interdit les RPP, ce qui entraîne des coûts plus élevés. Cependant, la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), qui administre le régime public, impose des limites aux déboursés, explique Chris Gory. 

« On n’a pas ça en Ontario. Si on perd les résaux de pharmacies privilégiées (RPP), nos coûts en médicaments vont grimper. Les employeurs vont devoir en assumer une plus grande part, puisqu’on ne bénéficie pas des mécanismes de plafonnement de la RAMQ », précise-t-il. 

M. Gory note qu’il reste encore beaucoup à définir pour que l’Ontario puisse mettre en œuvre le modèle de fournisseur volontaire pour encadrer les RPP. Il faudra notamment établir ce qui constitue un médicament spécialisé, afin de standardiser les coûts que les petites pharmacies devront égaler pour participer au programme.

Une fois cela en place, de nombreuses possibilités pourraient émerger, prévoit-il. Certaines personnes, par exemple, ne veulent pas se rendre dans une grande chaîne pour obtenir leurs médicaments pour la perte de poids, illustre M. Gory. « Les gens ont besoin de choix, de diversité, d’options. Peut-être que d’autres pharmacies distribuent aussi ces médicaments », fait-il valoir. 

« Il reste encore beaucoup de travail, mais [la réglementation des RPP] pourrait être une excellente initiative », avance-t-il.