Après une remontée spectaculaire au deuxième trimestre 2020, l’incertitude et la spéculation s’installent dans des marchés financiers actuellement dopés par une poignée de titres du secteur de la technologie.
Des signes d’inquiétude commencent ainsi à poindre depuis quelques temps dans les marchés financiers, dont une volatilité accrue et l’incertitude quant à l’avenir. Alors que le dollar américain est à la baisse sur fond de deuxième vague de COVID-19, le prix record de l’or a fait couler beaucoup d’encre la semaine dernière. Les investisseurs se réfugient derrière le métal précieux pour se prémunir du risque de marché et des retombées économiques qu’entraineront les injections massives de liquidité par les banques centrales.
Fébrilité sur les marchés
Dans sa Revue économique hebdomadaire du vendredi 24 juillet 2020 qui porte sur les quatre premiers jours de la semaine, Sébastien McMahon a mentionné que l’indice S&P/TSX de la bourse canadienne avait connu son premier recul depuis environ un mois, soit de 0,64 %. En dollars canadien, l’indice S&P 500 de la bourse américaine avait reculé de 0,91 % et l’indice mondiale EAEO de 0,01 %, selon les données présentées par le gestionnaire principal des fonds diversifiés et économiste d’iA Groupe financier. Pour sa part, l’indice MSCI Emergent a crû de 0,90 % en dollars canadiens et durant la même période.
Dans la dernière Revue économique d’iA publié le 31 juillet, l’économiste rapporte que les marchés effectuent « un retour en terrain positif », a-t-il dit lors de sa présentation. « Cela a été une très bonne semaine pour le S&P/TSX, le S&P500 et les pays émergents (MSCI Emergent) », ajoute M. McMahon. Ces indices ont progressé respectivement de 1,91, de 1,03 % et de 2,12 %. Toujours en dollars canadiens, l’indice EAEO a toutefois battu en retraite de 0,68 %.
Le poids des 5
Reflet d’un marché phare dans le monde, l’indice boursier américain S&P 500 demeure concentré à près de 22 % par les FAANG (Facebook, Amazon, Apple, Netflix et Alphabet, la société derrière Google) a signalé le vice-président principal et économiste en chef d’iA, Clément Gignac. Cette tendance ravive le spectre de la bulle techno de 1999.
« À Wall Street, les cinq plus importants titres expliquent la totalité des rendements des 12 derniers mois », a-t-il dit dans sa présentation de la Revue du 31 juillet. Ces titres ont ainsi livré un rendement de 49,2 %. Lorsqu’on les retire, le S&P 500 a plutôt livré un rendement négatif de 0,1 % lors des 12 derniers mois, souligne M. Gignac. Il note que la pandémie crée des conditions qui avantagent ces entreprises, entre autres le télétravail ainsi que le recours accru aux outils numériques et au commerce électronique.
L’or demeure un refuge
Dans la Revue économique hebdomadaire d’iA du 24 juillet 2020, Sébastien McMahon soulignait déjà la qualité de valeur refuge de l’or, dont le prix avait augmenté de 4,25 % pour atteindre 1887,44 $ au terme d’une période de quatre jours se terminant le 23 juillet 2020.
Cette tendance s’est maintenue selon la Revue du 31 juillet 2020. Le prix de l’or a bondi à 1956,64 $, soit une hausse de près de 3 % depuis le début de la semaine, et de 29 % depuis le début de l’année. « Le prix de l’or est en hausse de presque 30 % depuis le début de l’année », a-t-il observé.
Malgré l’incertitude que provoque leurs mesures musclées, les États-Unis et plusieurs autres pays ont réussi à soutenir l’économie. « Les yeux sont maintenant tournés vers Washington, pour la prochaine ronde de stimulus économiques », ajoute M. McMahon. Il rappelle que la seconde vague de la COVID-19 se dessine aux États-Unis et dans l’Union européenne. Il qualifie la situation américaine de « particulièrement inquiétante », avec en tête les regains du virus en Floride, au Texas et en Californie. Signe plus encourageant, les cas confirmés déclinent dans l’état de New York.
Spéculation et boursicoteurs
Quant au vice-président principal et chef des placements d’Empire vie, Ian Hardacre, les marchés montrent des signes de spéculation. Il rappelle que les marchés boursiers mondiaux ont effectué un incroyable retour au deuxième trimestre. « Le marché boursier canadien a enregistré son meilleur trimestre depuis 2009, les actions européennes ont connu leur meilleur trimestre en cinq ans et l’indice S&P 500 a affiché sa plus forte progression trimestrielle en pourcentage depuis 1998 », écrit-il dans le bulletin Les observations du chef des placements.
Ces hauts faits ne le rassurent pas pour autant. « Bien que la reprise ait revivifié les actions affaiblies du secteur de l’énergie et des détaillants de l’industrie du vêtement, en passant par les principales entreprises de technologie, des signes inquiétants d’une folie spéculative propulsée par les investisseurs particuliers ont commencé à se manifester dans certaines zones du marché », observe M. Hardacre.
Il remarque des hausses record d’ouvertures de comptes et de volume d’opérations chez les sociétés de courtage en ligne aux États‑Unis. Ces firmes s’adressent principalement aux petits investisseurs, dont plusieurs misent selon lui sur les fortes fluctuations des actions, le tout créant des « niveaux de spéculation jamais vus depuis la bulle technologique ». M. Hardacre ajoute que l’excès spéculatif dans les échanges d’options aux États-Unis a bondi à ses plus hauts niveaux depuis au moins vingt ans. Il énumère plusieurs autres facteurs.
Selon lui, ce contexte commande des solutions complètes comprenant une gestion active axée sur la valeur et la qualité, une diversification adéquate et une stratégie de répartition de l’actif efficace. Ian Hardacre croit que ces stratégies représentent de meilleures options pour les investisseurs particuliers que la chasse aux actions les plus recherchées.
Dans le bulletin Connaissances mondiales publié le 29 juillet 2020, plusieurs gestionnaires de Gestion de placements Manuvie se questionnent sur le comportement des investisseurs. « Alors que l'économie mondiale se remet de son repli rapide et spectaculaire survenu plus tôt cette année, nous croyons que la volatilité des marchés se poursuivra et accélérera les tendances macroéconomiques déjà à l'œuvre, y compris une recherche de rendement de plus en plus désespérée », a déclaré Christopher Conkey, chef, Marchés publics, Gestion de placements Manuvie. « Bien que nous demeurions optimistes quant à l'avenir, les risques complexes continuent d'influer sur les comportements de placement », ajoute-t-il.
Pas de retour total avant décembre 2021
Pour leur part, des spécialistes de l’équipe stratégique des marchés de capitaux de Gestion de placements Manuvie disent ne pas anticiper une pleine reprise économique avant la fin de l’an prochain. Publication sœur du Portail de l’assurance, Insurance Portal a obtenu copie de ce bulletin selon lequel la reprise économique se fera graduellement pendant 18 mois, jusqu’à un recouvrement complet du S&P 500, vers la période du quatrième trimestre 2021 et du premier trimestre 2022.
L’équipe s’appuie sur des décennies de cycles et de crises économiques dans la description de ce que ses membres appellent la « Grande pause de 2020 ». Mais ils disent n’avoir jamais rencontré un tel environnement. « La COVID-19 a projeté toutes les dynamiques de marché dans les airs », a lancé le directeur de cette équipe et stratège en chef des investissements de Gestion de placements Manuvie, Philip Petursson.
Les membres de l’équipe disent avoir été surpris de la vigueur de la reprise des marchés boursiers et obligataires. Ils aiment les marchés qui montent mais ajoutent : « Nous aimons savoir qu’ils le font pour les bonnes raisons. » Ce qui ne leur est pas apparu clairement, alors que plusieurs compagnies naviguent entre les écueils du confinement et des consommateurs interdits de magasiner.
Faveur aux placements mondiaux et privés
L’équipe stratégique des marchés de capitaux voient des signes qui pointent vers une poursuite des fortes baisses de rendement au cours des deuxième et troisième trimestres de 2020, avant que ceux-ci ne cèdent la place au début d'une reprise des bénéfices au quatrième trimestre de 2020. « Dans cet environnement unique, nous pensons que l'incertitude est trop grande au cours des 12 prochains mois pour créer des attentes raisonnables », écrivent les membres de l’équipe. « L'incertitude à court terme est causée par la COVID-19, le regain des tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis et les élections américaines », ajoutent-ils.
L'équipe affirme qu'elle favorise les actions mondiales par rapport aux actions canadiennes, car les prix du pétrole peuvent peser sur l'indice composé S&P/TSX. Elle croit que les prix du pétrole vont probablement augmenter, mais pas nécessairement suffisamment pour soutenir une reprise similaire du rendement des indices canadiens.
Des occasions pourraient aussi se profiler hors de marchés financiers traditionnels. « Bien que les marchés privés n'aient pas été à l'abri des répercussions économiques de la pandémie mondiale, nous voyons toujours des occasions nuancées de réduire le risque et d'améliorer le rendement d'une variété d'actifs des marchés privés », a déclaré pour sa part Stephen Blewitt, chef, Marchés privés, Gestion de placements Manuvie, dans le bulletin Connaissances mondiales.
Il préconise cette classes d’actif parce qu’elle peut procurer aux investisseurs des occasions de se diversifier, d’obtenir des rendements en espèces fiables, une protection contre l'inflation et de faibles corrélations avec les marchés financiers traditionnels.
Qualité et valeur contre incertitude
Au 30 juin, les flux nets de capitaux investis dans les fonds négociés en bourse (FNB) au Canada atteignaient 22,4 milliards de dollars, un record pour les six premiers mois de l’année, révèle le rapport Revue et perspectives de milieu d’exercice du marché des FNB de BMO Gestion mondiale d’actifs. Parmi les tendances dans les ventes de FNB, le gestionnaire remarque que le facteur qualité a surperformé. Le rapport parle de en outre de rotation des facteurs.
« Le facteur de qualité a inscrit un rendement supérieur, car la crise du marché a mis en évidence la résilience des sociétés de grande qualité peu endettées, dont les flux de trésorerie sont stables et dont le rendement des capitaux propres est élevé », écrit BMO Gestion d’actifs. Il définit ces sociétés comme des chefs de file du marché au bilan solide et dont le modèle d’affaires et les avantages concurrentiels sont durables.
Pour sa part tombé en disgrâce depuis longtemps, le facteur de valeur a commencé à regagner du terrain à la fin du deuxième trimestre de 2020, note le gestionnaire. Cela peut indiquer selon lui un retour éventuel. « Au Canada, les sociétés de valeur se trouvent principalement dans les secteurs des services financiers et de l’énergie, qui ne se sont pas redressés aussi rapidement et aussi fortement que d’autres secteurs », ajoute-t-il.
Des caisses de retraite incertaines
Alors que les régimes de retraite canadiens à prestations déterminées ont enregistré le meilleur trimestre de leur histoire en raison d’une forte reprise sur les marchés boursiers mondiaux et de solides gains dans les titres à revenu fixe, RBC Services aux investisseurs et de trésorerie demeure inquiet quant à l’avenir. Bonne nouvelle, le rendement médian des régimes qui composent son indice affiche 9,6 %. Selon les données de l’univers de retraite de RBC, l’indice avait connu son dernier sommet majeur au premier trimestre de 2019, avec un rendement de 7,2 %.
Or, les mesures exceptionnelles prises pour soutenir l’économie auront leur contrepartie à long terme, selon David Linds, premier directeur général et chef, administration d'actifs pour le Canada de RBC Services aux investisseurs et de trésorerie. Il rappelle d’ailleurs que les mesures prises par la Banque du Canada et le gouvernement fédéral au cours des derniers mois pour soutenir l'économie et le système financier sont sans précédent : « de telles mesures n'ont même pas été prises à la suite du krach boursier de 1929, et les marchés ont été prompts à réagir », a-t-il fait remarquer.
« Dans ce contexte où nous sommes nombreux à être à la maison, les conditions demeurent favorables à une poignée de titres, le marché étant dominé par les sociétés qui continuent de croître et les valeurs refuges, comme les métaux précieux. Les répercussions à long terme sur l'économie de la COVID-19 sont incertaines », rappelle M. Linds.
PAR ALAIN THÉRIAULT, avec la collaboration de KATE McCAFFERY