Les dépenses en médicaments d’ordonnance au pays ont connu une croissance annuelle moyenne de 5,3 % au niveau des pharmacies communautaires et de 7,1 dans les hôpitaux durant une période de 20 ans et s’élevaient à 32,7 milliards en 2020. Cette hausse devrait se poursuivre au rythme de 4,2 % à 4,6 % par année de 2021 à 2023, un niveau quasi insoutenable. Les agents biologiques ont joué un grand rôle dans l’explosion de ces coûts, a établi une équipe de chercheurs canadiens dont faisait partie le professeur et pharmacoéconomiste Jason Robert Guertin, de l’Université Laval.
Cette recherche a été initiée par le pharmacien et professeur à l’Université de Toronto, Minou Tadrous. Il travaillait sur un projet qui examine les dépenses en médicaments aux États-Unis et faisait des projections pour le futur. Il a voulu reproduire le même exercice au Canada.
Baisse des coûts des médicaments en pharmacie
Mais les prix des médicaments d’ordonnance ne se sont pas tous accrus durant la même période. La proportion des dépenses des principaux médicaments vendus en pharmacie a diminué de près de 5 % entre 2001 et 2020. Jason Robert Guertin explique notamment ce recul par la fin des brevets qui a permis la multiplication et une hausse des ventes de génériques, les coalitions d’achats nationaux qui ont permis d’obtenir de meilleurs prix et des négociations plus agressives avec les fabricants ou les distributeurs pour diminuer le coût des médicaments.
En 2001, les dépenses des 25 premiers médicaments les plus vendus en pharmacie s’élevaient à 3,7 milliards de dollars, et en 2020, elles atteignaient 8,5 milliards de dollars. En 2001, ces 25 médicaments les plus populaires représentaient 35,4 % des achats totaux des consultations externes en pharmacies, mais leur poids monétaire avait diminué à 30,5 % en 2020.
Les chercheurs ont constaté qu’en 2001, l’atorvastatine, une statine prescrite pour combattre le mauvais cholestérol, avait été le médicament le plus coûteux prescrit en consultation externe au Canada. Coût de la facture : 467 millions de dollars. Il était suivi par l’oméprazole, un inhibiteur de la pompe à protons, 408 millions, et l’amlodipine, un antihypertenseur, 207,9 millions. Total : un peu plus de 1 milliard.
La proportion des dépenses pour d’autres catégories, comme les médicaments antiacides, les antidépresseurs et les inhibiteurs calciques, précise l’étude, est restée relativement stable. De 2005 à 2015, les opioïdes sont apparus dans les 25 premiers médicaments, mais n’y figuraient plus en 2020.
2,7 milliards pour trois agents biologiques
Malgré une baisse au niveau des pharmacies communautaires, les coûts des médicaments ont toutefois explosé au pays durant les deux dernières décennies : pourquoi ? Principalement à cause de l’arrivée de nouveaux médicaments en oncologie et d’agents biologiques, qui sont très dispendieux. En 2020, les trois premiers rangs des médicaments les plus coûteux au Canada étaient occupés dans l’ordre par trois anticorps monoclonaux : l’infliximab (1,2 milliard de dollars), l’adalimumab (970,1 millions) et l’ustekinumab (527 millions). Pour ces seuls médicaments, la facture a approché les 2,7 milliards de dollars. Ce sont trois agents biologiques.
La croissance des coûts liés à ces médicaments de pointe a été extrêmement rapide. En 2005, mentionne l’étude canadienne, les dépenses en produits biologiques pour les troubles auto-immuns et pour les maladies oculaires étaient en proportion des dépenses totales en soins ambulatoires, 10 fois supérieures à celles de 2001. La proportion des dépenses totales des pharmacies pour les agents biologiques a augmenté de plus de 2 200 % entre 2001 et 2020.
Comment contrôler les coûts
Jason Robert Guertin estime que la croissance de dépenses des médicaments d’ordonnance à un rythme qui a dépassé 5 % depuis 20 ans soulève de l’inquiétude à propos de la viabilité de notre système de santé. « On ne peut sans cesse investir en dépenses de médicaments et accaparer trop d’argent au point de ne plus être viable », a -t-il commenté dans une entrevue accordée au Journal de l’assurance.
Or, rien ne laisse présager une baisse dans le futur. Les nouveaux médicaments développés sont souvent coûteux. Il peut aussi émerger à tout moment de nouvelles maladies telles que la COVID et la COVID longue qui viennent alourdir la demande en soins de santé. Il y a également l’inflation ou encore l’effet possible de crises internationales comme en Ukraine. Sous la pression du NPD, le Canada pourrait finir par mettre sur pied un régime national public de médicaments dont on ignore ses répercussions sur les coûts, rappelle-t-il.
Des pistes pour contrôler la hausse
Ce que l’on peut faire de mieux, croit Jason Robert Guertin, serait de tenter de contrôler la hausse des coûts. Comment y parvenir ? L’étude énumère quelques pistes de solutions : la substitution obligatoire par des médicaments biosimilaires, l’intensification des achats de groupes nationaux, la tarification alternative au coût le plus bas, l’identification des médicaments les plus coûteux. Les chercheurs notent toutefois que les stratégies telles que les prestations restreintes, la coassurance, les franchises et les plafonds annuels ou à vie sont développées, mais peu utilisées au pays.
Autre outil de contrôle : la concurrence. Le pharmacoéconomiste québécois cite le cas de Neupogen® (filgrastim), un agent biologique, aux États-Unis. Depuis son introduction chez nos voisins du sud, de nombreux concurrents offrant des rabais substantiels par rapport au médicament référence ont été introduits, ce qui a entraîné une perte importante de la part de marché de Neupogen.
« Cela suggère que l’adoption de médicaments biosimilaires pourrait servir à réduire les dépenses totales pour d’autres agents biologiques, tant en milieu hospitalier qu’en milieu ambulatoire », écrivent les auteurs. Des experts estiment qu’une politique de substitution non médicale obligatoire pour l’infliximab et l’étanercept seulement au Canada aurait permis de réaliser des économies de près de 240 millions de dollars en 2019.