L’écosystème de l’aide au démarrage d’entreprises est vigoureux dans la région de Québec et les nouvelles entreprises du secteur des fintechs peuvent songer à s’y installer en profitant de la forte présence des assureurs dans l’économie régionale. Les activités de réseautage comme celle organisée par l’Autorité des marchés financiers, le 14 février dernier à Québec, permettent aux entrepreneurs de rencontrer les institutions financières et d’accélérer la transition vers l’ère numérique.
Responsable du développement de la communauté et des partenariats chez Fintech Cadence à Montréal, Pascal Van Wynendaele note que l’Autorité appuie le travail de son organisme qu’il présente comme un « connecteur de communautés » pour l’ensemble de l’industrie des technologies financières du Canada. Son organisme collabore avec l’industrie financière pour l’aider à mieux se brancher sur les capacités en innovation.
Les nouvelles entreprises (startups) ont aussi besoin de travailler à trouver des solutions pour régler de vrais problèmes auxquels l’industrie est confrontée, poursuit-il. Pour y arriver, elles doivent aussi comprendre l’univers particulier qui encadre les activités des services financiers. « On accompagne les gens pour éviter qu’ils travaillent durant deux ans sur un projet pour le voir être refusé par l’Autorité », dit-il.
Soulignant l’importance du secteur de l’assurance pour l’économie de la région de Québec-Lévis, M. Van Wynendaele constate que les startups se concentrent principalement sur deux activités : le paiement des transactions et les technologies associées à l’assurance.
« Les startups n’ont pas de temps à perdre. Les entrepreneurs veulent être bons dès le début et ils veulent que leur produit corresponde aux besoins du marché », dit-il en insistant sur la nécessité de ne pas attendre avant de consulter les experts de l’Autorité.
« Nous voulons intervenir en amont du développement », confirme Mélissa Perreault, coordonnatrice experte en règlementation à l’Autorité et modératrice de la discussion. Le régulateur a organisé cette rencontre afin de préciser son fonctionnement à l’égard de l’encadrement des activités des fintechs. « On n’est pas là juste pour refuser les projets. On veut justement s’assurer que les initiatives sont en ligne avec le cadre règlementaire », dit-elle.
Une idée à partir d’un besoin
« Je suis installée à Québec depuis mon arrivée au Canada. J’aime la ville, où l’on trouve un écosystème entrepreneurial très vivant. On profite ici d’un bon support au démarrage », souligne Rim Charkani, cofondatrice et PDG de Walo, une fintech de Québec dont la mission est d’assurer la santé financière des plus jeunes générations par une application pratique en éducation financière. Mme Charkani est l’une des entrepreneurs ayant participé au programme d’incubateur de Fintech Cadence, lequel est ouvert à tous au Canada, précise-t-elle.
Quand elle était jeune, son rapport à la consommation et au crédit était malsain, reconnait-elle. « On ne nous apprend pas à gérer notre argent, et on ne nous dit pas assez l’importance de commencer à épargner quand on est jeune », dit-elle.
À son arrivée ici, Mme Charkani a vite constaté que l’accès au crédit était très facile en Amérique du Nord. Cela crée de mauvaises habitudes de consommation et mène les jeunes à cumuler de mauvaises dettes et à payer trop de frais d’intérêts sur les biens qu’ils achètent. Elle a voulu développer une solution pratique pour implanter quelques mécanismes de prévention en matière de finances personnelles.
À propos des partenariats possibles entre la startup et un assureur, ils peuvent être de quatre types, indique Mme Charkani. Le premier est la participation à la création d’une plateforme de distribution afin d’améliorer l’expérience client. Le deuxième type de partenariat est celui où l’assureur devient lui-même le client d’une plateforme, comme La Capitale Assurance et services financiers le fait avec Breathe Life ou Dialogue. « Plusieurs fintechs sont dans le B2B et veulent devenir la boite d’innovation d’une grande institution financière », dit-elle.
Autre formule : l’assureur devient l'investisseur privilégié d’une entreprise en démarrage, à la fois pour améliorer son accès aux innovations et suivre les tendances dans le développement des nouvelles technologies d’affaires.
Enfin, le dernier type que l’on voit plus dans le secteur des services directs à la clientèle (B2C) est celui où la startup arrive à créer une plateforme ayant le potentiel de concurrencer les joueurs existants. Ces derniers ont alors tout intérêt à participer au développement de l’outil en mode coopératif, explique-t-elle.
Le premier contact
À cet égard, Pascal Van Wynendaele souligne que de nombreuses institutions financières font appel aux services de Fintech Cadence en amont du processus d’innovation. « Ils voient que le développement d’un nouvel outil coutera cher si c’est fait en interne, ils ont un bogue à régler et ils veulent une solution », dit-il.
Parfois, l’entreprise n’existe pas encore, mais lors d’évènements de réseautage avec les jeunes entrepreneurs, on leur lance le défi de trouver le produit qui aidera l’assureur à résoudre son problème.
« On a souvent vu le groupe qui a gagné le concours démarrer une nouvelle entreprise en étant ainsi supervisé par l’institution financière. Et souvent, le produit développé peut être répliqué et utilisé dans d’autres entreprises », précise M. Wynendaele.
Il reconnait que le principal défi des jeunes entrepreneurs est celui de la crédibilité. Pour obtenir le financement d’une institution financière, la startup doit prouver qu’elle a un bon produit et un client prêt à l’acheter. Mais pour trouver ce client, il faut parfois beaucoup ramer, indique Pascal Van Wynendaele.
Les assureurs ne voient pas les fintechs comme des concurrents potentiels, ajoute-t-il. Les menaces viennent des grands joueurs de l’économie numérique, comme Amazon, Facebook et Rakuten, qui ont des données et veulent les exploiter.
« Open banking »
Lors d’un forum fintech tenu récemment en France, Rim Charkani a constaté qu’il existe déjà dans ce pays une dizaine d’applications similaires à celle développée par Walo. Selon elle, les changements règlementaires découlant de l’open banking a créé une vague d’innovation dans l’Union européenne (UE).
La PSD2, ou la deuxième version de la Directive sur les services de paiement, est entrée en vigueur le 14 septembre 2019. « Les institutions financières européennes sont désormais beaucoup plus ouvertes à parler d’innovation », dit-elle, comparativement à ce qu’il se passe au Canada où l’on est encore sur le mode attentiste.
Selon Pascal Van Wynendaele, la collaboration entre l’Autorité et les autres régulateurs pourrait aider le Québec à devenir une tête de pont pour les services bancaires ouverts en Amérique du Nord. « Si ça arrive, cela créera énormément d’effervescence chez les startups », dit-il.
L’autre moteur d’innovation est la « finance verte » associée à la demande grandissante des consommateurs pour des outils et des instruments financiers qui ne sont pas associés aux industries énergivores qui contribuent aux changements climatiques.
Au sein de l’UE, la quatrième version du Règlement général sur la protection des données (GDPR) adopté en avril 2016 est en vigueur dans tous les États membres depuis mai 2018. « Un tel cadre n’existe pas ici », indique Rim Charkani.
Les grands joueurs du monde numérique en profitent donc pour faire des captures d’écran (« screen scraping ») des requêtes faites par les consommateurs et s’en servent pour alimenter leurs banques de données. « C’est un peu comme à l’époque du Far West », dit-elle.
Selon Mme Charkani, en encadrant mieux les données bancaires ici comme on le fait en Europe, on pourrait mieux sécuriser les données. « Cela redonne le contrôle au consommateur sur ses données personnelles, et c’est lui qui détermine à qui il les confie », dit-elle.
L’ouverture des données et leur protection sont les deux faces de la même médaille, poursuit Rim Charkani. L'application de Walo étant destinée aux moins de 18 ans, elle s’est préoccupée dès le début de ses travaux de la protection des renseignements personnels des mineurs. « Bâtir la confiance, ça commence par la protection des données », dit-elle.
La fuite de données dont Desjardins a été victime, et qui a été rendue publique au printemps 2019, contribue à rendre plus prudentes toutes les institutions financières en matière de protection des renseignements personnels, confirme Éric Marcoux, vice-président de La Capitale assurance. « Nous sommes responsables des données que nous recueillons (...). Cela n’est pas amusant, mais il fallait que ça arrive pour que l’on apprenne et en tire des leçons », dit-il.
À la fin janvier, le ministère fédéral des Finances a publié les principes du futur cadre canadien sur le système bancaire ouvert, précise Oumar Diallo, directeur fintech et innovation à l’Autorité. Le gouvernement fédéral promet de publier un livre blanc d’ici deux ans sur le sujet.
Approche multidisciplinaire
Hamid Nach est cofondateur de la conférence FintechQC, dont la troisième édition se tiendra à Lévis les 17 et 18 juin prochain. Le professeur en gestion des technologies d’affaires au campus de Lévis de l’UQAR explique que les chercheurs ont voulu créer un forum où ils pouvaient s’exprimer sur les nouvelles tendances dans le marché des fintechs.
« C’est une industrie multidisciplinaire, à la jonction du marketing, de la gestion des ressources humaines, où l’on fusionne des gens de tous les horizons », dit-il.
S’il constate que l’écosystème des fintechs est encore relativement petit dans la région de Québec-Lévis, les deux premières éditions de FintechQC ont tout de même attiré plus de 200 participants. Pour la troisième édition, des professeurs de l’Angleterre, de l’Irlande et de l’Australie seront présents, de même que des représentants de l’industrie en provenance de tout le Canada.
« Les startups doivent trouver des solutions à de vrais problèmes, en réduisant et en éliminant les frictions dans le processus transactionnel », estime le professeur Nach. Trouver le premier client demeure un défi. Le recours aux incubateurs et aux accélérateurs en innovation permet de connecter les startups aux clients potentiels. En ce sens, le professeur souligne l’approche adoptée par Éric Marcoux à La Capitale pour encourager l’innovation.
Le professeur déplore l’image colportée par les médias sur les craintes associées à la robotisation des activités humaines. Faire mieux, c’est l’essentiel du développement du secteur de l’IA, par exemple en détection de la fraude ou en prévention de sinistres. « L’IA, c’est l’analyse des données pour régler des problèmes plus rapidement », dit-il.
À l'automne 2020, l’UQAR lancera un nouveau projet de recherche d’une durée de deux ans, axé sur l’éducation à l’égard de l’utilisation de l'IA. Le campus de Lévis a obtenu une importante subvention à cet effet.