Quand un conseiller est poursuivi, il est souvent incapable de se défendre. Pourquoi? À cause de mauvaises procédures de travail qui ne laissent aucune preuve des interactions avec ses clients.
Harold Geller, avocat de la firme Doucet McBride LLP, à Ottawa, dit que les conseillers aux prises avec une poursuite ont généralement mal tenu leurs dossiers.
Il travaille présentement sur le cas d’un conseiller qui a vendu, sur une période de 15 ans, une soixantaine de polices sujettes à de constants remplacements. Il n’y a toutefois pas de notes pour expliquer les besoins du client, son assurabilité ou son besoin d’assurance. M. Geller dit qu’il est pratiquement impossible de défendre un tel cas. Sans documentation claire, il n’y a aucun moyen de savoir quels gestes le conseiller a posés. M. Geller anticipe que ce cas se règlera en fonction des versions de chacune des parties.
M. Geller rappelle que le conseiller doit conserver la trace de tous les échanges avec le client, que ce soit un courriel ou un message vocal. S’il ne peut la conserver, il doit tenir un registre de toutes les occasions auxquelles il a parlé au client et la raison de cette communication.
Il ajoute qu’une poursuite ne servira pas à établir qui a tort ou qui a raison, car les avocats travaillent avec les preuves écrites qu’ils ont sous la main, ainsi qu’avec des témoignages. Ils doivent ensuite défendre leur client du mieux qu’ils le peuvent.
« S’il y a beaucoup de vides dans le dossier qu’a monté le conseiller pour son client, il sera difficile de le défendre. Dans le cas contraire, le plaignant aura souvent tendance à retirer sa plainte », dit M. Geller.
Jim Bullock, un conseiller ayant une longue expérience en assurance vie et qui agit aussi à titre de consultant dans des poursuites impliquant des professionnels de l’industrie, recommande aux conseillers de rester prudents dans leur pratique.
Il dit que les conseillers doivent accepter que si quelque chose va de travers et que le client perd de l’argent, il risque d’être poursuivi. « Le conseiller doit donc se préparer à s’expliquer et à démontrer qu’il a bien fait son travail, au meilleur de ses connaissances », dit-il.
À titre d’exemple, M. Bullock prend un cas de divulgation des risques liés à un produit. La preuve que le conseiller a fait cette divulgation est un important moyen de défense, dans le cas où un client qui a perdu de l’argent décide de le poursuivre.
« Le papier est la preuve. Un accord verbal n’a aucun poids, même si le conseiller a fait ce qu’il a dit qu’il ferait. Ce qui importe, c’est la preuve qui vient avec : le papier. C’est pourquoi il est important de rédiger une lettre résumant la transaction », dit-il.
M. Bullock donne un exemple tiré de sa pratique. Il y a plusieurs années, quand les taux d’intérêt étaient très élevés et que le cout d’assurance était assez bas, il recommandait à ses clients une prime garantie temporaire T100. Il en vendait d’ailleurs beaucoup. Un jour, le fils d’un ami l’a appelé pour acheter une vie entière avec participation. Au bout de six à sept ans, un dividende était supposé couvrir les primes de la police.
Il a dit à ce client qu’il n’était pas un fan de ce type de police. Il lui a plutôt recommandé de tirer profit des hauts taux d’intérêt et d’acheter une police garantie. Le client a refusé cette recommandation et a opté pour la vie entière avec participation.
Quand M. Bullock a expédié la police au client, il l’a accompagnée d’une lettre réitérant les chiffres du produit garanti. Il lui mentionnait aussi qu’il croyait qu’il s’agissait d’une meilleure option que la vie entière avec participation. Il concluait en soulignant qu’il recommandait le produit garanti et qu’il en avait acheté un pour lui-même.
Quinze ans plus tard, M. Bullock a été contacté par un avocat en lien avec une poursuite concernant cette fameuse police avec participation. Les taux d’intérêt avaient baissé et la compagnie avait dû se raviser à trois reprises concernant son dividende. Ce n’était plus 8 ans qu’il faudrait pour couvrir les primes, mais 11 ans. Puis, la compagnie se ravisa une seconde fois en disant qu’il faudrait finalement 18 ans. Au bout du compte, le dividende n’a jamais couvert les primes de la police.
M. Bullock faxa à l’avocat une copie de la lettre qu’il avait envoyée à ce client. L’avocat le rappela et lui dit qu’il n’était plus poursuivi. « Comme au Monopoly, j’avais une carte "Sortez de prison". Tout simplement parce que je l’avais créée moi-même », dit-il.
Pensait-il se protéger en rédigeant cette lettre, 15 ans plus tôt? « Non, admet-il. J’essayais simplement de convaincre le client de faire le bon achat. C’est toutefois à ce moment que j’ai eu ma leçon », dit-il.
M. Geller ajoute un conseil simple : pour se protéger, le conseiller doit faire son travail. Il devrait y avoir suffisamment de documentation dans le dossier du client pour permettre, lorsque le conseiller se retire, à un collègue de comprendre ce qui a été fait. « Si le dossier ne peut supporter une telle analyse, le conseiller ne répond pas aux normes professionnelles et passera un mauvais moment à se défendre », dit-il.
Il recommande au conseiller qui désire s’améliorer sur ce point d’investir dans un système de gestion d’agence, de prendre des cours sur le sujet ou encore, d’embaucher un consultant qui l’aidera dans ce domaine.