Le réseau de distribution indépendant est en danger devant la montée des banques et leur force de vente salariée, estime Raymond Dostie. Pour survivre, le réseau devra se renouveler. Ses conseillers devront réaliser leur valeur, a-t-il insisté dans une entrevue accordée au Journal de l’assurance.
Le 31 décembre, Raymond Dostie a officiellement passé les rênes de Pro Vie assurances à son associé de la première heure, Christian Laroche. Après avoir quitté l’agent général qu’il a fondé en 1998, M. Dostie aurait pu simplement s’accorder une retraite bien méritée. C’est mal le connaitre. Il a voulu transmettre un message d’espoir et de renouvèlement au réseau de courtage pour « faire une différence ».
Un message auquel il croit suffisamment pour poursuivre ses activités comme conseiller au sein de son propre cabinet, Gestion Raymond Dostie. Il entend d’ailleurs développer, en partenariat avec Pro Vie assurances, des produits d’assurance pour un marché que M. Dostie estime mal desservi : celui des 50 ans et plus.
Un réseau grisonnant
Le réseau a besoin de sang neuf. Il vieillit, dit M. Dostie. « Nous l’observons dans les évènements et les formations offertes dans l’industrie : il y a des têtes grises. » Les agents généraux devront investir dans la jeunesse et faciliter la relève des plus vieux, prévient-il.
Les banques ont leurs employés salariés, souvent sortis tout droit de l’université. Les réseaux de carrière comme ceux de l’Industrielle Alliance, de London Life et de Financière Sun Life ont la haute main sur le recrutement. La plupart de ces réseaux offrent à leurs conseillers un programme pour financer l’achat de la clientèle des vétérans.
« Si nous ne faisons rien dans les prochaines années, les grandes institutions combleront le vide. Il ne restera alors que les banques et les agences de carrière des compagnies d’assurance. Ces institutions vendront principalement leurs produits, et tous les conseillers seront salariés. »
M Dostie insiste sur le fait qu’il ne dénigre pas ces réseaux de distribution. Pour les consommateurs, ajoute-t-il, ces réseaux n’offrent cependant pas la variété de produits et de services qu’on trouve dans les réseaux indépendants.
Financer la relève n’est toutefois pas à la portée de toutes les bourses, reconnait le fondateur de Pro Vie assurances. « Nous aurions voulu mettre sur pied une division dédiée au recrutement et à la formation des nouveaux conseillers, mais nous ne l’avons pas fait. Cela nous aurait couté un million de dollars (M$) », a confié M. Dostie.
Pourtant, les agents généraux devront trouver une formule à leur mesure. M. Dostie suggère d’embaucher les recrues, de leur offrir un salaire temporaire puis de leur donner un portefeuille de clients lorsqu’ils sont suffisamment formés. « Les envoyer dès le début sur le terrain pour travailler à la commission est trop dur. » Cette solution fonctionne chez ceux qui l’appliquent et elle pourrait sauver le réseau indépendant, dit-il.
Le financement temporaire est la clé, croit-il. « Quand les recrues ont quelque chose sous les pieds, ça les encourage à continuer. » Le choix de produits propres au courtage est aussi une difficulté à prévoir. « Cela prend de deux à cinq ans pour bien former des recrues dans le réseau indépendant. Elles ne doivent pas commencer avec trop de produits », soutient-il.
Les agents généraux pourront-ils se payer un tel système? Raymond Dostie leur lance le défi : se serrer les coudes pour recruter. Il croit qu’en partenariat avec des assureurs, les agents généraux pourraient créer un programme de recrutement et de soutien pour former les nouveaux conseillers indépendants. Les cabinets qui veulent ces conseillers pourraient les « acheter », car ils seraient des courtiers déjà prêts. « Tu en veux un? Tu paies pour l’avoir, car il coute cher à former! » Avant que le nouveau conseiller travaille à plein régime, il coute 150 000 $ à former et à lancer, estime M. Dostie.
Bien choisir dès le départ
Pour contenir les couts, il conseille de choisir le bon individu au départ, un principe qu’il appuie sur sa propre expérience de vice-président à la Mutuelle d’Omaha et chez l’acquéreur de celle-ci, RBC Assurances. « Au bout de six mois, je sais habituellement si j’ai la bonne personne : elle a son permis, elle a commencé à vendre, accompagnée de quelqu’un, et elle connait les produits. La recrue doit vendre dès la première semaine, sinon elle n’est pas à sa place. Le nouveau doit être bon vendeur et bien formé, agir avec éthique. Ce doit être quelqu’un qui est capable de s’exprimer et de croire en ce qu’il fait. »
L’éthique et l’intégrité se situent également au cœur de l’industrie, souligne par ailleurs M. Dostie. « C’est pourquoi nous avons récemment lancé une clé USB sur la conformité, rappelle-t-il. Si l’Autorité des marchés financiers avait donné suite au mémoire du regroupement des agents généraux du Québec, cela aurait aidé, ajoute-t-il.
L’Autorité aurait ainsi pavé la voie à un statut légal de l’agent général au sein de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF). Chaque conseiller aurait conservé son indépendance, mais aurait relevé d’un cabinet mandataire, explique M. Dostie. Cet agent général aurait endossé la responsabilité du conseiller, mais aurait aussi eu le pouvoir de contraindre les fautifs.
Bien traiter le client
« J’ai dit à l’Autorité qu’elle avait manqué le bateau, car les gens les plus proches du consommateur sont les conseillers et les agents généraux. Le statut de cabinet mandataire aurait permis en premier lieu de mieux s’assurer que les clients soient traités adéquatement. Si l’agent général avait le pouvoir de contraindre les conseillers fautifs à améliorer leur pratique et, en cas de refus, à les obliger à quitter l’industrie, les consommateurs seraient mieux protégés. »
Il ne s’attend pas à ce que la révision de la Loi sur la distribution de produits et services financiers fasse une place à la proposition des agents généraux québécois. M. Dostie pense que les compagnies d’assurance ne souhaitent pas la création d’un nouveau maillon dans la chaine règlementaire, car elles signent leurs contrats de distribution directement avec le conseiller. De leur côté, les organismes de règlementation ont davantage confiance en une compagnie d’assurance qu’en un agent général, précise M. Dostie.
Pour l’heure, un conseiller qui, par exemple, imite des signatures et ne se corrige pas n’aura qu’à quitter l’agent général qui le rabroue pour un autre avec qui il poursuivra ses activités comme si de rien n’était, croit M. Dostie, car les agents généraux ne partagent pas automatiquement entre eux l’information concernant les conseillers fautifs, déplore-t-il.