C’est à tout juste 36 ans qu’Alvina Nadeem, ingénieure et consultante en gestion de changement, est diagnostiquée d’une forme agressive du cancer de l’ovaire. La jeune femme subit une chirurgie, avec une ablation de l’utérus, des ovaires et des trompes, qui provoque une ménopause immédiate. Elle entame ensuite une chimiothérapie, qui dure six mois avant que la bonne nouvelle ne tombe enfin : les signes de la maladie ont disparu.
Pourtant, son chemin vers le rétablissement physique, cognitif et émotionnel est loin d’être terminé. Celle qui est patiente-partenaire à la Coalition Priorité Cancer au Québec partage son histoire, dans l’espoir de contribuer à améliorer la qualité des soins et des services offerts aux patients. « Les compagnies d’assurance peuvent être bien plus qu’un filet de sécurité financier, affirme-t-elle au Portail de l'assurance. Il y a une place pour être un partenaire actif dans le processus de rétablissement et de reconstruction de la vie des personnes touchées par le cancer. »
Assurer un suivi post-traitement
Contrairement aux idées reçues, « le retour à une vie normale ne vient pas avec la fin des traitements », souligne Alvina Nadeem. Comment imaginer qu’un skieur avec une fracture ouverte du tibia retourne sur les pistes juste après sa chirurgie, sans rééducation? La jeune femme a l’impression d’avoir pris 100 ans. « Je me sentais vraiment déconnectée de mon propre corps, dit-elle, j’avais l’impression de conduire une auto accidentée ».
De plus, la survivante se sent désemparée de ne plus être en contact avec son équipe de soins ; elle éprouve de la difficulté à gérer le manque soudain de support. Avec la fin de la chimiothérapie, elle a aussi l’impression que plus rien ne la protège, et que le cancer pourrait réapparaître. « C’est dans cette phase-là qu’on s’assoit avec nos pensées, et que nos peurs tournent en boucle dans notre tête », confie-t-elle.
Fournir un soutien proactif
Si le repos s’avère essentiel pour permettre à la patiente de reconstituer son énergie, il ne suffit pas. « Après quelques semaines, je me suis dit que j’aimerais me remettre en forme », témoigne la mère de deux petits garçons, alors âgés de quatre et six ans. Elle veut pouvoir jouer et bouger avec eux, mais une courte marche fait grimper ses pulsations cardiaques au plafond.
« Après la phase de repos vient celle de la récupération, poursuit-elle. Il faut être proactif pour rebâtir sa santé physique et mentale. » Alvina Nadeem aurait eu besoin que son assureur s’informe de l’avancée de son rétablissement, et lui recommande les spécialistes adaptés dans son cas. « Si je n’étais pas allée chercher des ressources moi-même, rien ne se serait passé », indique-t-elle, déplorant un manque de transparence sur les services disponibles.
Constituer une équipe autour du patient
« Je devais créer une équipe autour de moi, mais j’avais besoin que quelqu’un me guide », se rappelle la survivante. Son expérience de patiente-partenaire lui permet de connaître les questions à poser. Elle a également la chance d’avoir une médecin de famille, et de disposer de certains moyens financiers. « La chance ne devrait pas être un facteur déterminant dans un retour à l’emploi réussi », mentionne-t-elle cependant.
Son médecin lui recommande d’abord de travailler avec un kinésiologue. Ce spécialiste évalue sa condition physique et conçoit un programme d’exercices personnalisé pour la remettre en forme de façon sécuritaire. La jeune femme doit toutefois en assumer le coût, faute de couverture par son assurance. De plus, des consultations avec un physiothérapeute s’avèrent nécessaires après l’apparition de raideurs et de douleurs.
Alvina Nadeem est aussi suivie par un psychothérapeute, qui l’aide à surmonter son anxiété et à renforcer sa résilience face aux séquelles du cancer. Finalement, son médecin lui prescrit, à sa demande, une ergothérapie en santé mentale pour préparer son retour à l’emploi. Ce spécialiste évalue ses tâches professionnelles, ses capacités fonctionnelles et son milieu de travail, avant de recommander les adaptations nécessaires à un retour durable.
Mieux accompagner le retour au travail
Un an après la chimiothérapie, la consultante reprend le chemin du travail, en suivant un plan de retour progressif. Même avec un employeur flexible, certains moments lui sont difficiles. Par exemple, elle s’étonne de ne plus avoir accès à son ergothérapeute en santé mentale, une fois revenue à temps plein. C’est pourtant lorsqu’elle récupère sa charge de travail complète que le besoin d’aménagements se fait le plus sentir, rapporte Alvina Nadeem.
L’employeur a l’obligation légale de fournir des efforts réels et raisonnables pour adapter le milieu de travail. Toutefois, selon la survivante, si des défis surgissent lors de la réintégration, « le fardeau retombe sur le patient ». Celui-ci se trouve confronté au choix d’éduquer lui-même son employeur, au risque de détériorer leur relation, ou de ne pas faire valoir ses droits, au risque de s’exposer à un épuisement professionnel, observe-t-elle.
Collaborer avec tous les acteurs impliqués
Alvina Nadeem en est convaincue : trouver des solutions pour s’assurer que la personne touchée par le cancer puisse retourner au travail de façon sécuritaire et durable est dans l’intérêt de tous. Le patient veut être capable de reprendre sa vie et de s’épanouir, souligne-t-elle, l’employeur cherche à ce que son employé puisse être le plus productif possible, et l’assureur aspire à ce que son assuré soit capable de retourner au travail pour limiter les coûts.
Pour y parvenir, la consultante en transformation est persuadée de la nécessité de « cocréer ensemble et de transformer, en misant sur la collaboration ». Et si les assureurs travaillaient en partenariat avec les patients pour concevoir des offres vraiment adaptées aux défis de la maladie? S’ils jouaient le rôle d’éducateurs auprès des employeurs, et d’acteurs engagés auprès des patients tout au long du processus de rétablissement?
La conversation a déjà commencé. Des compagnies d’assurance ont notamment participé au Symposium Cancer & Travail, organisé par la Coalition Priorité Cancer au mois de mai dernier. L’objectif : aborder l’urgence de bien soutenir les personnes atteintes de cancer sur le marché du travail. Surtout qu’une grande proportion de la population touchée par le cancer est en âge de travailler. « Au Canada, près de 40 % des personnes ayant reçu un diagnostic de cancer sont âgées de 20 à 64 ans », souligne la Société canadienne du cancer (SCC).
Cancer et travail, une initiative rassembleuse
Cancerettravail.ca est un site internet bilingue et gratuit, fondé par Christine Maheu, chercheuse et professeure agrégée à l’Université McGill, et Maureen Parkinson, conseillère en réadaptation de la British Columbia Cancer Agency. Il propose une mine de ressources, basées sur des données probantes, sur le retour au travail des survivants du cancer, leur maintien à l’emploi et la gestion des défis une fois en poste.
Le site inclut des sections personnalisées, destinées aux survivants, aux professionnels de la santé et aux employeurs. Les assureurs font eux aussi partie de la démarche, comme le montre le partenariat récent avec Desjardins Assurances. Selon Christine Maheu, celui-ci vise notamment à développer des guides de meilleures pratiques, pour outiller les employeurs dans le soutien réel et soutenu aux employés touchés par le cancer.