Comment se prémunir contre le phénomène de consolidation qui menace actuellement le secteur? Comment se bâtir une relève durable? Comment répondre efficacement aux besoins toujours plus précis des clients? Et, bien sûr, comment regagner des parts de marché? Des courtiers ayant revu de fond en comble leur manière de mener des affaires ont partagé la recette de leur succès lors d’un panel tenu à la 41e édition du congrès du Regroupement des cabinets de courtage d’assurance du Québec (RCCAQ).ja_23_03_img11

En 1992, 68 % des consommateurs faisaient appel aux services d’un courtier pour souscrire une assurance automobile. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 42 %. Une baisse semblable a été observée en assurance habitation, où la part du courtage est passée de 71 % à 36 % en 20 ans. En 2013, seule consolation, le courtage n’avait perdu que 0,4 % de parts de marché vis-à-vis des assureurs directs, contre 1 % en moyenne annuellement.

Dans le contexte actuel, le gain de parts de marché passe avant tout par un service au plus près des besoins du client, des besoins qui sont sans cesse en train d’évoluer.

« On est des conseillers qui aident les gens à gérer et à protéger leur patrimoine, dit Catherine Mainguy, présidente du cabinet Mainguy Assurances et Services Financiers. Chez nous, quand on dit qu’on est centré sur le client, ça veut dire qu’on regarde ce qui se fait ailleurs. On regarde ce qui existe outside of the box. On regarde comment on peut aider les clients dans toutes les sphères de leurs besoins financiers. »

Même son de cloche du côté d’André Lussier, qui préside l’un des plus gros cabinets de courtage du Québec, Lussier Cabinet d’assurances et services financiers. « Que l’on soit petit ou gros, fondamentalement, c’est la même chose. C’est le client qui est au cœur de l’entreprise. Les gens savent qu’ils peuvent avoir des réponses très rapidement. Il faut donc s’adapter en conséquence et être rapide, d’où des impératifs de formation et d’évolution de notre profession. »

Une fois ce constat dressé et ces impératifs identifiés, il est nécessaire de trouver les outils pour réinventer la profession, malgré un phénomène de consolidation qui tend à concentrer l’activité dans les mains des cabinets les plus puissants. Il faut la réinventer, aussi, malgré l’appétit des assureurs directs qui grignotent peu à peu des parts de marché et qui n’hésitent pas à acheter des petits cabinets de courtage, réduisant d’autant plus la part du courtage dans l’industrie, ont affirmé les intervenants participant au panel.

Une modernisation nécessaire


Pour le président sortant du RCCAQ, Jean Bilodeau, les courtiers doivent réinventer leur profession en adoptant de nouveaux outils. « Nous sommes inquiets que la tendance actuelle de fusion et de vente de portefeuilles aux directs s’accroisse davantage et qu’elle affaiblisse le marché. Nous travaillons donc d’arrachepied pour garder la clientèle des courtiers dans le secteur du courtage en proposant d’autres solutions de transfert de propriété », dit-il.

 

Savoir se tourner vers la relève, faire appel aux banques qui peuvent accorder des prêts aux courtiers, s’adresser aux assureurs par courtage qui peuvent aussi fournir des solutions de financement ou, encore, bénéficier des déductions pour gains en capital lors d’un transfert d’entreprise, sont quelques-unes des solutions aujourd’hui étudiées par le RCCAQ pour permettre à la profession de trouver un nouveau souffle.

« En Europe, les assureurs directs ont déjà atteint leur point critique. Ici, ce n’est pas encore le cas, souligne André Lussier. Il nous faut donc nous distinguer des assureurs directs. Je crois qu’on peut faire la différence si on connait bien nos produits. »

Pour le président de Lussier Cabinet d’assurances et services financiers, l’avenir des cabinets de courtage passe peut-être aussi par une ouverture à de nouveaux marchés. « On a laissé les assureurs directs nous envahir. Pourquoi ne ferait-on pas la même chose en allant vers d’autres secteurs comme le courtage hypothécaire, par exemple? Ça prend bien sûr des changements législatifs, mais pourquoi pas? »

Patrick Bouchard préside Bouchard & Associés Solutions d’assurances, une petite structure qui totalisait, il y a peu, 1,2 million de dollars (M$) de primes. Grâce au recrutement d’un jeune de 21 ans, il a réussi à donner un nouvel élan à son cabinet, notamment avec le lancement d’un nouveau site Web.

« Un an plus tard, le cabinet totalisait déjà 1,8 M$, preuve qu’un nouveau site Web peut servir à attirer de nouveaux clients, se réjouit-il. De plus, aujourd’hui, grâce à l’arrivée d’une nouvelle ressource, je peux m’impliquer, je peux faire mon métier : l’assurance. C’est ça ma force. »

Investir davantage dans le markéting


Caroline Harrison, directrice du développement des affaires du Groupe Lepelco, pense que la profession est en train de payer les accords passés entre les assureurs directs et les concessionnaires. Elle propose donc aux courtiers de se faire des alliés, car ils se battent contre des acteurs qui ont déjà passé des alliances. « On ne se vend pas assez, on ne fait pas assez de promotion. Les directs sont les seuls à parler d’eux, ils sont les seuls à annoncer », ajoute-t-elle.

 

André Lussier partage l’avis de Mme Harrison. « Je pense que ce serait le rôle du RCCAQ de promouvoir la profession pour combattre les investissements markéting des directs, affirme-t-il. Cependant, il faut lui donner les moyens financiers car, individuellement, c’est impossible de lutter. Il faut se défendre collectivement.»

Pour Patrick Bouchard, augmenter les moyens du RCCAQ passe par une augmentation significative du nombre de membres. « Il faut augmenter notre membership [effectif]. C’est notre mission de faire que des cabinets non membres le deviennent. Cette question nous concerne tous », dit celui qui assumera la présidence du conseil d’administration du Regroupement l’an prochain.

Un autre défi se présente aux courtiers en assurance : conserver leur clientèle notamment en assurant la relève, et en réussissant le passage du témoin d’une génération à l’autre.

« L’enjeu pour les entreprises familiales, c’est leur capacité à laisser la place à la nouvelle génération; et, pour la nouvelle génération, sa capacité à écouter et à respecter l’expérience de l’ancienne génération », dit Catherine Mainguy.

« La capacité de la deuxième génération est plus limitée. Moi, par exemple, je termine le travail. La transaction que je viens de faire avec DPMM, je la laisse aux générations futures, précise André Lussier. Il faut donc des actionnaires qui sont en accord avec leur époque. C’est ça qui fait la différence et qui fait que des entreprises durent. »

La transmission, c’est aussi faire face à l’évolution du rôle de chacun dans l’entreprise. Pour Caroline Harisson, « l’ancienne génération travaillait avant tout pour un patron. Aujourd’hui, c’est très différent. Le monde de l’entreprise est devenu plus «pro-employés». Moi, j’ai besoin de toute ma gang autour de moi. C’est une nouvelle culture du patron. »

Elle affirme aussi que c’est la jeunesse de son équipe qui a fait la différence. « Nous sommes une équipe très jeune. Ce qui m’a sauvée, c’est la passion, c’est le fait que les choses du client nous tiennent à cœur. »

Enfin, le gain de parts de marché passe avant tout par une série de petits ajustements, propres à chaque structure désireuse de se perfectionner. « Notre prochain projet, c’est l’expérience client, confie André Lussier. On va étudier tous les aspects de notre relation avec le client – expérience visuelle, sonore, olfactive, etc. – grâce au soutien d’une entreprise spécialisée. »

Pour Caroline Harrison, il s’agira avant tout de se centrer sur deux enjeux : « celui de la proactivité et celui des ressources humaines, en maintenant [une] équipe motivée, concernée relativement au grand roulement qui existe dans la profession. » De son côté, Patrick Bouchard pense que le prochain défi sera de continuer à « vendre de la valeur ajoutée » et à « vendre la personnalité de [son] équipe » même s’il l’avoue, son plus gros défi, aujourd’hui, «  c’est de trouver de la main-d’œuvre qualifiée, mais pas à n’importe quel prix! »