Le gouvernement du Québec continue à financer un large écosystème d’organisations qui appuient les promoteurs aux différentes étapes de la vie de leur entreprise.

Or, le nombre d’entrepreneurs ne cesse de diminuer, comme le démontre notre dossier sur l’entrepreneuriat, publié dans l’édition de janvier-février du Journal de l’assurance. Est-ce que l’aide de l’État sert à quelque chose ?

Au ministère de l’Économie et de l’Innovation (MEI), Alexandre Vézina est responsable de la Direction du soutien à l’entrepreneuriat et aux créneaux d’excellence. Cette direction est responsable de la mise en œuvre du Plan d’action gouvernemental sur l’entrepreneuriat (PAGE).

Le PAGE couvre la période 2017-2022 et il est doté d’une enveloppe de 345,7 M$ répartie sur cinq ans. Cela n’inclut pas les sommes qui sont octroyées aux MRC qui ont repris une partie des mandats liés au développement économique auparavant dévolus aux centres locaux de développement et aux conférences régionales des élus, structures abolies par le gouvernement Couillard en 2015.

Il importe désormais de mieux accompagner les entrepreneurs pour qu’ils accomplissent leur projet, poursuit Alexandre Vézina. « On veut mieux les outiller, les accompagner, les former, indique-t-il. Le PAGE ne mise pas sur les outils financiers, mais sur l’accompagnement », dit-il.

Le taux d’intention à l’entrepreneuriat a connu une nette progression, mais le passage à l’action n’est pas très élevé, reconnait-il. « Les gens ne sentent pas qu’ils sont assez appuyés. C’est un peu un saut dans le vide, de passer du statut d’employé à celui d’entrepreneur », note M. Vézina.

« On veut toucher l’ensemble de la vie de l’entrepreneur, le démarrage, la croissance, et le transfert. C’est ce type de mesures qu’on a voulu mettre en place », dit-il.

L’équipe de M. Vézina assure le suivi du plan d’action, qui sera réévalué après cinq ans, avec une mise à jour des indicateurs sur une base annuelle. Par exemple, pour la mesure 10 touchant le transfert, le PAGE vise à sensibiliser 25 000 entrepreneurs en cinq ans, tout en accompagnant 12 000 cédants et repreneurs.

Des pissenlits

Le potentiel des entrepreneurs émerge de lui-même, peu importe les conditions, croit le professeur Étienne St-Jean. L’intervention de l’État en matière de soutien à l’entrepreneuriat doit être mieux ciblée, selon lui.

 « Un de mes collègues compare les entrepreneurs à des pissenlits. Peu importe le soutien, ils vont démarrer leur projet quand même. Des pissenlits, ça pousse partout, tu auras beau lutter contre eux, ils vont se lancer quand même. Même dans les économies du bloc soviétique autrefois, on trouvait des entrepreneurs cachés qui faisaient des affaires », indique M. St-Jean.

Titulaire de la Chaire de recherche sur la carrière entrepreneuriale à l’Université du Québec à Trois-Rivières, M. St-Jean est membre régulier de l’Institut de recherche sur les PME (INRPME). Il est aussi membre de l’équipe canadienne du Global Entrepreneurship Monitor (GEM) comme responsable du Québec. « Il existe des traits de personnalité, des gens ont naturellement ce qu’il faut pour être entrepreneur. Ils le deviendront, qu’ils aient du soutien de l’État ou pas », poursuit-il.

Pour lui, le nombre d’entrepreneurs est un facteur relatif. « Qu’on en ait 150 000 ou 200 000, si [les entreprises] fusionnent ou si elles sont acquises et que les nouvelles entreprises qui en émergent grossissent, ce n’est pas une mauvaise nouvelle ».

Il donne l’exemple de la microbrasserie Le Trou du diable, considérée comme le fleuron de la bière en Mauricie, qui a été récemment achetée par Molson-Coors. « Les opérations sont maintenues. Les emplois sont toujours là. Les affaires sont encore en croissance. Cela représente un entrepreneur en moins. On ne peut considérer ça comme une perte. »

Selon M. St-Jean, le réel enjeu des PME du Québec est la pénurie de main-d’œuvre découlant du vieillissement démographique.

Des critiques

Le rapport du GEM constate aussi qu’il n’y a pas toujours de lien de causalité entre l’ampleur des sommes investies et les résultats obtenus, poursuit le professeur St-Jean. « Il y a plein d’éléments qui influencent le désir des gens de devenir des entrepreneurs. Les mesures d’aide ne sont qu’un facteur », dit-il.

Le GEM suit les entrepreneurs établis, et leur nombre demeure très stable. Selon M. St-Jean, il se démarre un plus grand nombre de projets, mais la majorité ne fait que vivoter. Les promoteurs gardent souvent leur emploi pour subvenir à leurs besoins personnels. « À un certain moment, ils décident de fermer l’entreprise en se rendant compte que leur projet n’est pas viable », dit-il.

« Les investissements faits dans les entreprises, à l’échelon local, où en est-on cinq ans plus tard ? Est-ce qu’il y a eu des entreprises en croissance ? Les entreprises ont-elles fermé ? On ne se pose pas ces questions. Ce n’est pas évalué de manière rigoureuse. S’il y a des rapports là-dessus, je ne les ai pas vus », dit-il.

Étienne St-Jean voue un grand intérêt à l’accompagnement et à la formation des entrepreneurs. Il mène d’ailleurs une étude intitulée : « Soutenir ou laisser-faire ? » sur l’effet de l’accompagnement et de la formation des entrepreneurs, notamment la formation offerte via le réseau Entrepreneuriat Québec qui offre le programme Lancement d’une entreprise. « C’est sans doute le programme qui réunit le plus d’entrepreneurs au Québec, près de 4 000, voire un peu plus », explique-t-il.

Le modèle moyen n’existe pas

De nombreux auteurs s’interrogent sur la pertinence de l’intervention de l’État, ajoute Étienne St-Jean. Investir dans le capital humain n’est certainement pas inutile, mais on ne doit pas le faire en espérant débusquer « la licorne qui fera baver d’envie les investisseurs », note-t-il.

« Les fleurons de l’économie ont pu bénéficier de l’appui des investisseurs institutionnels pour favoriser leur croissance. Ce ne sont certainement pas les mesures de soutien au démarrage qui ont créé ces histoires à succès », estime Étienne St-Jean.

Sa collègue Claudia Pelletier, à l’INRPME, est une spécialiste du secteur des technologies de l’information, et elle se montre très critique à l’égard de la Stratégie numérique mise en place par le précédent gouvernement. La stratégie proposée vise à mettre à niveau toutes les PME, mais il y a une telle diversité de PME avec une grande variété de besoins que « cette stratégie ne fait pas de sens. Selon elle, le gouvernement passe complètement à côté. Ils font un mauvais diagnostic parce qu’ils ont en tête un modèle type de PME qui n’existe à peu près pas », rapporte M. St-Jean.

C’est le même reproche qu’il ressent en regardant le PAGE. « J’ai aussi l’impression que l’entrepreneur type n’existe pas. Ceux qu’on veut avoir, que nous avons en tête et qu’on veut multiplier, il n’y en a pas tant que cela. On a plein d’entrepreneurs qui sont bien autre chose que ce modèle », dit-il.

« L’entrepreneur moyen, ce n’est pas celui qu’on décrit dans le PAGE, insiste-t-il. L’entrepreneur moyen, c’est presque toujours une PME, souvent un entrepreneur hybride, souvent un travailleur autonome, où il n’a qu’un ou deux employés, il n’a pas d’ambition de croissance. » Dans plusieurs cas, son chiffre d’affaires dépend surtout du dynamisme d’une autre entreprise dont il est sous-traitant.

Des FLS partout au Québec

Si l’intérêt envers l’entrepreneuriat a beaucoup progressé en une décennie, le passage à l’action ne se passe pas aussi bien, reconnait Éric Desaulniers, directeur général des Fonds locaux de solidarité (FLS) au Fonds de solidarité FTQ.

« Il faut continuer à travailler sur la culture entrepreneuriale. Depuis une dizaine d’années, il y a eu plus d’efforts, même s’il y en avait avant, et ça porte des fruits, car le désir d’entreprendre a progressé », dit-il.

L’une des mesures du PAGE concerne la création de 35 nouveaux FLS dans les MRC ou territoires où il n’en existait pas. L’annonce avait été faite en juillet 2017. Depuis, l’équipe de M. Desaulniers a créé huit nouveaux fonds locaux.

Pour créer son FLS, la MRC doit investir 150 000 $. Le gouvernement a octroyé 3,5 M$ pour aider les 35 MRC à mettre les deux tiers de cette mise de fonds. Les MRC ont déjà des fonds locaux d’investissement qui servent aussi d’outil de développement économique. Parmi les nouveaux FLS, les plus récents ont été créés en Gaspésie (MRC de la Côte-de-Gaspé), en Abitibi-Témiscamingue (MRC de la Vallée-de-l’Or) et dans Lanaudière (MRC des Moulins).

Le bilan des investissements réalisés en 2018 n’est pas encore connu. En 2017, les FLS ont ainsi financé 370 projets pour des montants autorisés de 10,2 M$. On parle d’un montant moyen par dossier de 27 460 $. La valeur totale des projets est de 24,4 M$.

En moyenne, la durée d’investissement du FLS est de cinq ans. Parfois, pour les dossiers plus gros, la durée de l’investissement peut être de dix ans, mais c’est plus rare. La direction des FLS n’intervient pas auprès des entreprises. Tous les dossiers sont analysés par la MRC ou l’OBNL compétent.

M. Desaulniers a travaillé dans un centre local de développement dès 1998. « Les gens commençaient à peine à faire de l’investissement. On ne connaissait pas ça. On faisait du capital-actions à 50 000 $ et on attendait de se faire payer cinq ans plus tard, sans aucun rendement », relate-t-il. « En 2018, on n’est plus là du tout », poursuit-il.

Tous les trimestres, la MRC envoie la liste des investissements, avec l’évaluation du risque, lequel est réévalué au moins une fois par année. On n’attend pas un rendement annuel de 20 % de la part du FLS, mais il en faut un pour pallier les pertes subies par les fermetures ou les échecs, précise M. Desaulniers. 


25 000 entreprises en moins au Québec

Le Journal de l’assurance révélait dans son édition de janvier-février que le Québec a perdu 25 000 entrepreneurs. Quelles sont les solutions pour contrer cette tendance ? Découvrez-les en relisant notre dossier dans notre édition imprimée !

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