Des dirigeants d’institutions financières réunis par la firme-conseil KPMG le confirment, elles doivent innover pour demeurer pertinentes. Passer de la parole aux gestes requiert toutefois de nombreux essais et erreurs, disent-ils.
Lors d’un panel tenu le 10 mai à Québec, Simon Rivard, vice-président numérique et innovation chez Aviva Canada, a dit que l’effort des assureurs doit être mis à servir les consommateurs en temps réel. « J’ai quitté l’industrie durant sept ans, et quand j’y suis revenu, je n’ai pas eu l’impression que ça avait beaucoup bougé. » L’industrie est prise avec de vieux systèmes qui retardent ce progrès vers la transaction en temps réel, dit-il.
La veille du panel, Assurances Economical venait de lancer sa nouvelle plateforme de vente Web Sonnet. « Ils sont les premiers à offrir de l’assurance habitation avec le paiement en ligne, au Canada. » D’ici cinq ans, tous les assureurs devront augmenter leurs efforts vers les technologies axées vers le client, insiste M. Rivard. Son souhait est d’arriver à plus d’instantanéité dans l’industrie.
Pour Henri Dolino, vice-président stratégie et markéting chez Desjardins Groupe d’assurances générales (DGAG), il est contre nature de lancer des produits incomplets ou imparfaits. Ce qui aide en assurance de dommages, c’est le degré très élevé de compétitivité du secteur et la pression provenant des membres et des clients, qui voient bien ce qui se passe chez les concurrents, dit-il.
« Les attentes évoluent très vite, notamment à cause de la présence d’entreprises comme Apple, par exemple », ajoute M. Dolino. Il y a un certain sentiment d’urgence qui s’installe, alimenté par le besoin d’être performant en innovation et la nécessité d’atteindre une certaine taille critique qui permet à l’assureur de dicter la tendance du marché, au lieu de la subir.
La deuxième génération de l’engin de télématique Ajusto fonctionnera uniquement grâce au téléphone, sans avoir besoin de brancher un système de télémétrie. L’assureur ayant pris le risque de développer le produit à une échelle locale, explique-t-il, il est désormais en mesure de collaborer avec un fournisseur plus gros pour développer l’application pour le téléphone intelligent.
Chez Aviva, le mot d’ordre est « fail fast », c’est-à-dire la capacité d’apprendre rapidement des erreurs et de corriger le tir. Pour une société publique à capital ouvert, les attentes des actionnaires sont toujours présentes. La prise de risque varie d’un marché à l’autre. « Ça dépend de ce qu’on a à perdre. On travaille sur une percée à Hong Kong, où nous sommes un tout petit joueur. Si on échoue, ça ne sera pas bien grave, car nous avons peu à perdre. On ne pourrait essayer la même chose à Londres », précise M. Rivard.
Quand on veut bousculer le marché avec un nouveau produit, il faut toujours le faire en pensant d’abord aux consommateurs, sans se préoccuper de l’impact que cela aura sur la concurrence, ajoute M. Rivard. L’assureur peut choisir de soutenir une société en démarrage, comme l’a fait Aviva Canada avec DMZ, un incubateur d’entreprises lancé par des chercheurs de l’Université Ryerson à Toronto.
Les trois projets retenus ne porteront pas nécessairement la marque d’Aviva, mais c’est une autre façon de gérer le risque. L’innovation ne porte pas toujours sur les produits livrés au marché : elle peut aussi servir à simplifier les processus d’affaires et les activités à l’interne. « Ce n’est pas toujours visible, mais il faut mesurer l’efficacité et adapter nos efforts à la situation », note M. Rivard.
Innover, une difficulté pour une grande organisation
Mario Albert, PDG de Finance Montréal, la grappe québécoise de l’industrie financière, souligne qu’il n’est pas toujours facile pour les grandes organisations dotées de systèmes lourds et rigides de susciter l’innovation. Il cite l’exemple d’une banque chinoise qui prépare son implantation au Canada, et toute son activité se passera en ligne, sans recourir à des succursales. Il constate l’utilité de la grappe financière pour regrouper les efforts en matière d’innovation. Toutes les places financières qui fonctionnent bien ont su développer ce partenariat entre concurrents, souligne-t-il en citant l’exemple de Toronto.
Chez Aviva, la capacité d’adaptation à l’évolution du marché est un moteur important pour valoriser la marque, et l’innovation contribue très certainement à appuyer la valeur du titre sur les marchés, dit Simon Rivard. « Chacune de nos filiales a un plan de match très détaillé en matière d’innovation, et on doit suivre la tendance du marché. Plusieurs fois par semaine, nous publions une nouvelle sur l’innovation au sein du groupe », dit-il.
En fonction de la nature coopérative de Desjardins, très axé sur les bénéfices aux clients et aux membres, on utilise peu l’innovation comme outil de promotion de Desjardins à l’externe, ajoute Henri Dolino. Même pour Ajusto, au lieu de vanter son caractère novateur, l’assureur a plutôt fait la promotion du bénéfice pour les clients. « On s’affiche moins là-dessus. Curieusement, on nous rapporte que des concurrents disent offrir un produit du type Ajusto. » Le volet services financiers du Mouvement est certes plus axé vers la promotion de l’innovation que le volet assurance, ajoute M. Dolino.
Besoin de réseautage
Simon Rivard estime que selon les enjeux, la collaboration entre concurrents sera la bienvenue, comme on le voit avec Guidewire, dont on essaie d’implanter la technologie en assurance de dommages sur le marché canadien. Quelque 19 organisations s’y intéressent, et il faut une plateforme plus standardisée dans l’industrie pour favoriser les échanges avec les intermédiaires.
« On cherche de l’efficacité, et dans ce cas-là, l’aspect innovation existe déjà. La vraie finalité est de mieux servir le consommateur », explique-t-il. Il rappelle que l’assureur Aviva n’a pas l’exclusivité des services chez DMZ, et d’autres institutions financières font aussi partie des clients de cet incubateur établi à l’université Ryerson. Il n’est pas exclu qu’Aviva fasse un gros investissement au Canada, poursuit-il.
Le dossier des inondations montre à lui seul l’indiscipline dans l’industrie et l’impossibilité pour les clients de s’y retrouver entre les couvertures offertes, déplore Henri Dolino. Les concurrents doivent collaborer, en cette ère de consolidation, s’ils veulent éviter de se faire dépasser par les nouveaux joueurs de l’industrie numérique.
Le Forum FinTech, qui se déroule les 20 et 21 septembre 2016 à Montréal, met en valeur les technologies appliquées à la finance et les talents qui les conçoivent, rappelle Mario Albert. Finance Montréal tente de créer ce réseau axé sur l’investissement dans les technologies financières. « On comprend que le concurrent qui trouve une idée géniale préfère la garder pour lui. Mais en s’entraidant pour développer le talent dans les universités, par exemple en “machine learning”, la collaboration peut aider l’ensemble de l’industrie », dit-il.
L’ensemble des pressions vécues par l’industrie, à cause du climat, des technologies, des nouveaux joueurs numériques, doivent inciter l’assureur à centrer son activité sur les clients, insiste M. Dolino. Mais mieux comprendre les clients ne suffit pas à garantir la pertinence de l’entreprise dans le marché, ajoute-t-il. L’instantanéité est un atout, mais il ajouterait la simplicité comme condition essentielle au progrès, tant dans les approches commerciales que les processus d’affaires.
Mieux segmenter
Avec Ajusto, Desjardins peut mieux segmenter ses clientèles et tarifer le risque, et l’avenir dira si l’outil est efficace en la matière. Mais le système crée surtout une nouvelle relation avec les clients, car en leur offrant la technologie, l’assureur les aide à modifier leur comportement. En simplifiant le processus de tarification, on ajoute de la valeur pour le client, poursuit Henri Dolino. Les constructeurs modifient les véhicules pour les rendre plus sécuritaires, alors les assureurs devront continuer d’innover.
Simon Rivard croit que le traitement plus efficace des réclamations aide l’assureur à détecter plus rapidement les risques de fraude. La rapidité du traitement sert tout le monde, et l’on peut rapidement virer les fonds pour payer les indemnités et rembourser les fournisseurs. « On veut ramener le client dans le même état où il était avant de subir une perte, et ce, le plus rapidement possible. » C’est ainsi qu’Aviva distribue des cartes de crédit à ses clients de Fort McMurray, le temps qu’ils puissent rentrer chez eux, au lieu de leur imposer des semaines de délais à traiter les réclamations. « Mieux utiliser les données, ça permet de modéliser tout le processus, pas seulement la souscription, mais aussi les réclamations », conclut-il