Jadis un champ de bataille, le marché des agents généraux ne peut plus se concurrencer sur la base du plus offrant. Ainsi, la surenchère des bonis offerts aux conseillers se raréfie.
PDG de l’agent général Qualified Financial Services (QFS), Kevin Cott dit ne pas être en accord avec ceux qui attribuent la faible rentabilité d’agents généraux au phénomène des surcommissions. Il estime qu’il s’agit là de conclusions propres à de petits agents généraux régionaux. Il croit que de tels joueurs devront éventuellement fermer leurs portes ou feront partie de ses prochaines acquisitions, a-t-il affirmé en entrevue au Journal de l’assurance.
Pour M. Cott, le manque de rentabilité a plusieurs causes plus importantes. Le versement de surcommissions n’en fait pas partie. « Ce sont plutôt des agents qui ont un faible volume de primes, une faible marge et des dépenses élevées. »
Selon lui, un agent général peut très bien payer des commissions élevées tout en demeurant rentable. « Si vous cherchez à vous rendre attrayant aux yeux des conseillers d’une autre façon que par les surcommissions, que vous leur apportez de la valeur en termes de services et de soutient, vous pouvez vous permettre d’offrir plus de bonis tout en demeurant rentable. »
PDG du consolidateur BridgeForce Financial Group et président de l’association d’agents généraux CAILBA, Michael Williams ne croit pas que le rôle de l’agent général se réduise à payer la plus haute des surcommissions. « Nous sommes une organisation à valeur ajoutée. Tout se résume aux liens que nous tissons avec les conseillers. Établir une solide relation avec eux en les aidant à faire croitre leur entreprise est très important pour nous. C’est ainsi que nous concurrençons nos rivaux. N’importe quel agent général qui concurrence à coup de surcommissions joue une partie perdante. »
Transferts couteux
Vice-président directeur général de Groupe Cloutier, et membre du conseil d’administration de CAILBA, Michel Kirouac abonde en ce sens. « Si vous gagnez un conseiller sur la paie, vous le perdrez sur la paie, a-t-il lancé. La facture sera alors salée.
Il y a un cout à accueillir un nouveau conseiller, et un cout à le perdre. Accueillir un nouveau conseiller demande des dépenses initiales importantes, dit M. Kirouac. Parmi eux, les frais de transfert de ses affaires d’un agent général à un autre.
« En assurance de personnes, l’agent général qui acquiert les affaires du conseiller doit investir pour acheter le volume et les renouvellements des mains de l’autre agent général. En fonds communs, le transfert en bloc n’est plus possible. Il faut transférer client par client. Si votre système d’arrière-guichet n’est pas le même que celui de l’agent général d’origine, vous devrez transférer les données d’un système à l’autre. Vous devrez former les adjointes du conseiller au nouveau système », a-t-il énuméré.
Les assureurs ont resserré les règles du jeu depuis la guerre des bonis des années 1990. Au Québec, le réseau des agents généraux a longtemps prôné le « chacun pour soi », dit Yan Charbonneau, PDG de Groupe AFL et trésorier de CAILBA. « Les assureurs en ont eu assez. Ils ont instauré un prix de transfert. Lorsque qu’un conseiller change d’agent général, celui qui l’accueille doit payer à l’autre cinq fois les surcommissions de l’en vigueur », dit M. Charbonneau.
Groupe AFL tâche ainsi de recruter des conseillers qui resteront à bord. « La guerre du 5 % de surcommissions de plus que le voisin est morte. Je ne joue pas à ce jeu qui tue les marges bénéficiaires, a ajouté le PDG d’AFL. Le petit MGA avec un ou deux contrats directs et qui donne 95 % de sa bonification plutôt que 90 % n’envoie pas un bon message au marché. Maintenant, les agents généraux québécois se parlent davantage »
Pourquoi payer plus ?
Pourtant, certains petits cabinets continuent de risquer leur marge pour payer plus. « Il y a toujours eu un problème. Plus il y a de joueurs, plus ils essaient d’avoir une part de la tarte, certains de façon cavalière. Il y a encore de la surenchère et cela se voit surtout chez les petits agents généraux qui cherchent à conserver leurs parts de marché », dit le président de Groupe Financier Horizons au Québec, James McMahon.
« C’est sûr qu’il y a toujours un peu de négociations entre les conseillers et les agents généraux. Les conseillers comprennent que nous sommes devenus des organisations qui offrent plusieurs services et que nous avons besoin de conserver une marge bénéficiaire pour pouvoir les leur offrir. Les agents généraux qui embarquent dans la surenchère ne pourront pas la soutenir à long terme », dit M. McMahon.
Offrir plus doit répondre à des critères de rentabilité. Lorsque Kevin Cott dit qu’il peut offrir plus en demeurant rentable, il fait référence à ce que les agents généraux qualifient de grille de rémunération.
Plusieurs agents généraux travaillent avec de telles grilles. James McMahon explique qu’un conseiller se trouvera à un bout ou l’autre de la fourchette de rémunération de cette grille selon le volume d’affaires qu’il apporte à l’agent général ou le niveau de service qu’il requiert. « Par exemple, un agent général associé qui achemine à un autre agent général toutes ses affaires en provenance d’un assureur avec lequel il n’a pas de contrat de distribution directe touchera un boni plus élevé », précise-t-il.
Même chose pour un conseiller entouré d’une équipe et qui assume lui-même tous les services. « Si nous n’avons qu’à acheminer ses propositions aux assureurs, nous travaillons moins », ajoute-t-il.
Éviter les ententes exclusives
Michel Kirouac est conscient que des conseillers cherchent à obtenir plus et poussent la rémunération à la hausse. Mais pour lui, pas question d’offrir plus à un qu’à l’autre.
« Nous évitons de conclure des ententes exclusives ou spécifiques à un représentant, sans penser aux représentants qui sont de la même catégorie que lui en vertu de notre grille. Comment pourrais-je justifier de donner plus à un nouveau qui produit 200 000 $ qu’à un ancien qui produit le même volume que lui », fait valoir M. Kirouac.
Certains agents généraux, et pas seulement des petits offriront parfois une bonification qui peut paraitre déraisonnable, convient M. Kirouac. Mais celle-ci peut s’expliquer par différentes raisons.
« J’ai vu de gros agents généraux pancanadiens offrir des bonis très élevés à des conseillers qu’ils veulent avoir, qui ne demandent pas beaucoup de ressources et qui sont bien équipés. Ce sont des courtiers qui permettront à l’agent général d’aller chercher un volume de primes additionnelles sans soucis, sans affecter sa marge de rentabilité », explique-t-il.
Pour sa part, Groupe Cloutier tâche de maintenir l’équilibre entre le soutien, les outils aux conseillers et sa rémunération. « Il est très rare que nous perdions un conseiller sur la paie, peut-être un par an au maximum, sur nos 1 500. La surenchère ne nous affecte pas », dit M. Kirouac. Il a ajouté que son organisation préfère obtenir sa croissance de volume en aidant ses conseillers à augmenter leurs revenus de façon importante.