Un cabinet de courtage inactif en assurance des dommages n’a pas réussi à convaincre le tribunal que le départ de l’un de ses fondateurs lui causait un tort si important qu’il méritait une compensation. Le devoir de loyauté allégué par le demandeur n’a pas été retenu par la Cour supérieure

Le jugement dans cette affaire a été rendu dans le district judiciaire de Terrebonne le 29 décembre 2023 par le juge Charles Bienvenu. Le défendeur étant toujours inscrit comme courtier et ayant été blanchi par le tribunal, nous utilisons ses initiales (SM) pour l’identifier. 

Le cabinet établi à Saint-Jérôme a été fondé en juillet 2016 par deux personnes. La première, MAM, est entrepreneur dans la vente de véhicules d’occasion. De son côté, SM exerce en tant que courtier en assurance de dommages.

Aucune convention n’est signée entre eux. MAM prévoit se charger de la comptabilité et de la publicité, tandis que SM doit développer le réseau d’affaires. Le premier investit 30 000 $ dans le démarrage et pour aider le courtier, qui a des moyens limités. MAM comprend qu’ils trouveront un arrangement lorsque le cabinet sera profitable. 

Les tensions 

Dès le mois de février 2017, en allant au commerce de son associé afin de récupérer son relevé T4 pour sa déclaration de revenus 2016, le courtier réalise leur divergence de vues concernant sa rémunération. SM croyait recevoir un salaire tandis que MAM lui explique qu’il s’agissait plutôt d’une avance à son coactionnaire. 

Avec le temps, les mésententes se poursuivent. Le courtier continue néanmoins de travailler à temps complet pour lancer le cabinet, tandis que MAM n’y consacre que quelques heures par semaine.

En mai 2017, SM annonce son départ et, par la suite, les communications entre les associés ne se feront que par l’entremise de leurs avocats. 

En juillet, le courtier offre à son associé de lui racheter ses parts dans le cabinet. MAM refuse parce qu’il souhaite poursuivre l’aventure, mais il ne peut le faire sans un permis de l’Autorité des marchés financiers.

Une autre représentante inscrite est approchée, sans succès. Le 22 août 2017, SM démissionne de son poste d’administrateur du cabinet. Dès septembre 2017, les activités du cabinet sont suspendues. Le permis de l’entreprise comme agence d’assurances prend fin le 6 décembre 2017. 

À partir d’octobre 2017, SM poursuit sa pratique de courtage dans un autre cabinet de la région des Laurentides, où il est d’ailleurs toujours inscrit, selon le registre de l’Autorité consulté par le Portail de l’assurance

La poursuite 

Selon ses allégations, MAM constate ensuite que SM utilise la liste des clients du cabinet dans ses activités au sein d’une autre entreprise. En conséquence, quand le courtier déclare faillite, le cabinet de MAM dépose un avis d’opposition à la libération du failli en invoquant plusieurs articles de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (LFI). Une entente permet la libération absolue de SM le 4 août 2021. 

Le cabinet poursuit SM en avançant son devoir de loyauté. Il est question d’une entente de référencement entre le cabinet de MAM et le nouvel employeur de SM. Le demandeur allègue que le transfert de clientèle lui cause un préjudice financier. 

À la fermeture des livres du cabinet, les dettes s’élèvent à plus de 14 000 $, payées à parts égales entre les parties. SM a payé la totalité des montants dus aux fournisseurs du cabinet. Au total, les pertes de MAM sont établies à 37 500 $ dans l’entreprise. 

MAM estime que le courtier l’a entraîné dans cette entreprise par des moyens trompeurs, en présentant délibérément des informations erronées et frauduleuses sur ses véritables intentions. 

Selon le tribunal, cette démonstration est essentielle puisque sans preuve d’une fraude ou de la violation de l’obligation de SM envers la société, les revendications du cabinet ne peuvent satisfaire les exigences inscrites au paragraphe « e » de l’article 178 (1) de la LFI. 

La disposition évoque l’obtention de biens ou de services par des faux-semblants ou la présentation erronée et frauduleuse des faits. Selon le tribunal, les actions connues de SM ne permettent pas d’inférer la présence d’une fraude. 

La plupart des griefs de MAM sont liés aux discussions menées avec le courtier avant la création de l’entreprise. Par conséquent, le cabinet n’est pas partie prenante de ces discussions. Le juge détermine que MAM ne peut mêler ses récriminations avec celles du cabinet puisqu’il ne poursuit pas SM en son nom personnel. 

« De toute façon, il n’y a rien de particulier à signaler concernant le devoir de loyauté de SM. Les relations entre les parties se compliquent peu après le lancement du cabinet en raison d’un plan d’affaires mal défini », indique le tribunal.

Le courtier décide de poursuivre ses activités professionnelles ailleurs. « L’histoire aurait dû s’arrêter là », écrit le juge Bienvenu au paragraphe 25. À l’origine, le cabinet est créé grâce au permis détenu par SM. Le cofondateur ne pouvait ignorer les risques liés à un départ de son associé.

L’entreprise est lancée sans convention ni entente. MAM soutient que les intentions du courtier étaient fausses, mais son argumentation est d’ordre personnel, même s’il avance que c’est le cabinet qui en est victime. Le demandeur n’arrive pas à convaincre le tribunal de la fraude alléguée.

La réclamation 

Les réclamations financières du cabinet « sont purement spéculatives et sans fondement ». La suite du jugement réfute les différents éléments réclamés par le demandeur. 

Celui-ci faisait une réclamation de 208 860 $ pour la perte de revenus potentiels pour les quatre années qui suivent la fin des opérations. Celle-ci est rejetée, car elle ne s’applique pas dans le cadre de la LFI. De plus, l’estimation faite par le cabinet de cette perte potentielle ne tient pas la route, selon le tribunal. 

L’investissement de départ de MAM (30 000 $) est inapplicable parce qu’il est considéré comme des capitaux propres en vertu de la LFI.

Le manque de planification et de ressources ainsi que la détérioration des relations entre les parties incitent le courtier à poursuivre ses activités ailleurs. Aucune entente de non-concurrence ou de convention entre les actionnaires ne l’empêche de le faire, d’autant plus qu’il agit en respectant les exigences de son permis. 

Même si le courtier n’avait pas fait faillite, le cabinet et son cofondateur ne parviendraient pas à engager la responsabilité de SM, ajoute le tribunal.

Le cabinet reproche au courtier de ne pas permettre à l’entreprise inactive de profiter du renouvellement des commissions reçues durant ses opérations. Le demandeur n’explique pas comment il peut percevoir ses commissions sans le permis de SM.

De plus, l’article 127 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers prescrit que le cabinet dont l’inscription est retirée cède ses dossiers à un représentant ou une société inscrite dans la même discipline. 

L’Autorité informe d’ailleurs SM qu’il doit être affilié à un cabinet pour maintenir la responsabilité du suivi de ses dossiers clients. Le courtier choisit de le faire auprès d’un autre cabinet en suivant les directives de l’Autorité.

Les obligations du courtier ont préséance sur celles alléguées par le demandeur à l’égard de l’entreprise, souligne le tribunal. Le cabinet et MAM ne sont plus autorisés à recevoir des commissions après le 6 décembre 2017. 

Le cofondateur « s’accroche obstinément à une entreprise devenue obsolète » depuis le départ du courtier et associé. La persévérance de MAM « est une qualité entrepreneuriale. Il lui appartient désormais de l’exercer avec prudence. L’avenir est entre ses mains », conclut le tribunal.