Les médicaments onéreux (10 000 $ ou plus par an) continuent d’exercer une forte pression sur les régimes collectifs privés.
Les sociétés de mutualisation de coûts de l’assurance médicaments au Canada permettent d’éviter qu’une réclamation coûteuse accule une petite ou moyenne entreprise (PME) à la faillite. En contrepartie, il y a un prix à payer pour bénéficier de la mutualisation.
Au Québec, la Société de compensation en assurance médicaments du Québec (SCAMQ) a dû augmenter son facteur annuel. En vertu de la Loi sur l’assurance médicaments, tout assureur ou administrateur d’un régime au Québec doit participer à la mutualisation. La SCAMQ publie chaque fin d’année les modalités de mises en commun qui s’appliqueront l’année suivante. De son côté, chaque groupe assuré paie un facteur annuel, soit la partie de sa prime d’assurance collective qui servira à la mutualisation. Chaque année, les assureurs et administrateurs de régimes qui ont payé davantage de réclamations seront indemnisés par ceux en ayant payé moins.
Hausse pour les familles
En entrevue avec le Portail de l’assurance, le directeur général de la SCAMQ, Pierre Hamel, est revenu sur les modalités de 2025 qui ont été publiées en octobre dernier. M. Hamel observe que l’augmentation des facteurs annuels est particulièrement marquée pour les adhérents de régimes avec personnes à charge. « Le ratio familial a augmenté un petit peu. Ce ne sont pas de grosses augmentations, mais quand même au-dessus de l’inflation », commente-t-il.
Par exemple, une PME de moins de 25 adhérents à un régime collectif verra la mutualisation s’enclencher dès que le coût annuel d’une réclamation d’assurance médicaments atteint le seuil de 10 000 $ pour un certificat, soit un adhérent au régime collectif, avec ou sans personnes à charge. Le facteur annuel que doit payer l’entreprise pour un adhérent avec personnes à charge est passé à 810 $ en 2025, comparativement à 788 $ en 2024, soit une hausse de 2,8 %. À titre de comparaison, l’inflation mesurée selon l’indice des prix à la consommation s’est établie à 2,3 % en mars, selon la Banque du Canada.
En contrepartie, le facteur annuel pour un adhérent sans personnes à charge dans un groupe de cette taille a diminué de 4,3 %, passant de 282 $ à 270 $ pendant la même période de comparaison.
La plus forte hausse du facteur annuel touche les adhérents avec personnes à charge des entreprises de 1 000 à 3 999 employés. Il est passé de 145 $ à 159 $ entre 2024 et 2025, soit une hausse de 9,7 %. Le facteur annuel des adhérents sans personnes à charge de ces grandes entreprises est passé de 37 $ à 38 $ durant cette période, soit une augmentation de 2,7 %. Dans des groupes de cette taille, une réclamation doit atteindre 150 000 $ sur une base annuelle pour que la mutualisation s’enclenche.
Pierre Hamel dit qu’il est trop tôt pour se prononcer sur l’allure que prendront les modalités de 2026. « La SCAMQ vient de recevoir les données de 2024 et commencera bientôt à les analyser », explique-t-il. M. Hamel ajoute que l’organisme fera part de ses intentions aux assureurs à l’été, et établira à l’automne 2025 ses modalités de 2026.
En ce qui touche la hausse des facteurs pour les adhérents avec personnes à charge, le directeur général de la SCAMQ dit ne pas en connaître la cause exacte. « Est-ce dû aux maladies génétiques familiales qui se rassemblent sous un même certificat, ou le nombre d’enfants par famille ? », s’interroge M. Hamel. Il ajoute que la SCAMQ s’efforce avant tout de refléter la réalité, plutôt que d’en expliquer les raisons. « Il est important pour l’équité d’un processus de mutualisation d’avoir le reflet le plus juste possible entre les différentes catégories, et d’éviter que l’une subventionne l’autre », explique Pierre Hamel.
Pour 10 000 $ et plus seulement
Durant l’entrevue, Pierre Hamel a insisté sur le fait que les modalités de la SCAMQ reflètent les réclamations de médicaments dont le coût annuel atteint 10 000 $, à ce chapitre, les demandes pour le Trikafta ne passent pas inaperçues. Ce médicament contre la fibrose kystique peut coûter environ 300 000 $ par année.
Il mentionne que le Trikafta continue d’alimenter la hausse des réclamations annuelles, étant donné l’élargissement du nombre d’inscriptions thérapeutiques auxquels ce médicament peut s’appliquer.
Le Trikafta a représenté plus du tiers de la mutualisation – Pierre Hamel
Le Trikafta représente ainsi une grande part de la mutualisation à la SCAMQ, selon son directeur général. « Le Trikafta a représenté plus du tiers de la mutualisation. En 2023, nous avons mutualisé 202 millions de dollars (M$) et 69 M$ sont allés au Trikafta », révèle-t-il. Cette somme émane de 212 réclamations.
L’élargissement dans les dernières années des indications thérapeutiques pour lesquelles le Trikafta est approuvé explique cet impact, estime M. Hamel. Il croit que le gros de la vague est passé. La pression sur les coûts pourrait se poursuivre, mais dans une moindre mesure, « car il y a eu un autre élargissement cette année qui augmente de 10 % la population qui peut être traitée avec ce médicament », souligne-t-il.
M. Hamel a énuméré d’autres médicaments dispendieux qui attirent actuellement l’attention de la SCAMQ, parce qu’ils peuvent avoir un impact sur les prochaines modalités de mutualisation : Itovebi (cancer du sein) ; Vyalev (Parkinson) ; Skyclarys (ataxie de Friedreich) et Daybue (syndrome de Rett). Il dit toutefois ne pas prévoir d’explosion des coûts en raison de ces médicaments, comme celle qu’a causé le Trikafta en 2023.
Ailleurs au Canada, la Société canadienne de mutualisation en assurance médicament (SCMAM) remplit un rôle similaire à celui de la SCAMQ. Elle est toutefois une société sans but lucratif à adhésion volontaire : 22 assureurs en sont membres. Sur son site, l’organisation révèle que son cadre de mutualisation des coûts des médicaments onéreux a couvert plus de 15 000 employeurs canadiens en 2022, soit plus de 32 000 personnes et familles dont le coût annuel des médicaments a dépassé 10 000 $.
Le Portail de l’assurance avait relaté le 12 mars 2024 que le montant annuel moyen remboursé aux affiliés pour ces nouveaux médicaments a augmenté, passant de 44 700 $ en 2021 à 60 900 $ en 2022, soit une hausse de 36 %.
Contacté par le Portail de l’assurance, Dan Berty, directeur général de la SCMAM, a dit que les statistiques de 2023 seront bientôt disponibles. Il a laissé entendre que le Trikafta avait pesé lourd dans le bond du montant moyen remboursé en 2022, par rapport à 2021.
Plus pour notre argent
Lors d’un panel intitulé Les tendances liées aux médicaments : qu’est-ce qui affecte les coûts encore, trois panélistes ont reconnu que les médicaments onéreux continuent de peser sur les régimes d’assurance collective privés. Du même trait, ils ont vanté leurs mérites. Le panel s’est déroulé lors du Congrès Collectif 2025, organisé par les Éditions du Journal de l’assurance le 27 février.
De plus en plus de maladies sont traitées – Frédéric Leblanc
« Il faut réaliser qu’on en a plus pour notre argent », a lancé à propos des médicaments onéreux Frédéric Leblanc, pharmacien et leader stratégique en programmes de médicaments d’iA Groupe financier. « Les médicaments coûtent de plus en plus cher, mais il y de plus en plus de médicaments et d’indications thérapeutiques pour lesquelles leur utilisation est approuvée. De plus en plus de maladies sont traitées », explique M. Leblanc.
Il donne l’exemple de nouveaux traitements de la migraine chronique, un trouble qui a selon lui un impact important sur la productivité des employés. Parmi eux, Santé Canada a approuvé le 8 mai 2024 Qulipta, médicament d’AbbVie qui prévient entre autres la migraine épisodique et la migraine chronique. « L’indication élargie offre une option de traitement supplémentaire aux personnes atteintes de migraine chronique dont les crises fréquentes et invalidantes nuisent à leurs activités quotidiennes », mentionne le communiqué d’AbbVie.
Des médecins inscrivent que le médicament a permis le retour au travail – Gabrielle Côté
Pharmacienne, expertise pharmaceutique et gestion des médicaments coûteux, assurance collective, de Beneva, Gabrielle Côté renchérit : de tels médicaments peuvent selon elle réduire l’incidence de la migraine sur les départs en invalidité. « Nous voyons des résultats. Sur le formulaire d’autorisation préalable à la prise du médicament, des médecins inscrivent que le médicament a permis le retour au travail », rapporte Mme Côté.
Une condition qui n’avait pas un bon pronostic de survie peut maintenant devenir une maladie chronique – Marie-Hélène Dugal
Responsable nationale, gestion stratégique des médicaments Croix Bleue Medavie, Marie-Hélène Dugal insiste quant à elle sur le bon côté des dépenses en médicaments contre le cancer. « Les traitements sont mieux tolérés. Une condition qui n’avait pas un bon pronostic de survie peut maintenant devenir une maladie chronique. Les gens peuvent avoir une espérance de vie plus normale, une bonne qualité de vie et se réaliser pleinement », soutient Mme Dugal.
Au 5e rang des dépenses en médicaments absorbées par les régimes d’iA Groupe financier en 2024, celles liées aux médicaments contre le cancer demeurent stables, commente de son côté Frédéric Leblanc. « Nous ne sommes pas pleinement affectés, car plusieurs de ces médicaments sont administrés dans les hôpitaux ou couvert par les programmes liés au cancer dans d’autres provinces canadiennes », rappelle M. Leblanc.
Il observe toutefois que les traitements oncologiques deviennent de plus en plus tolérables, et que les dépenses encourues par les réclamations dans cette catégorie pourraient augmenter.
De nouveaux médicaments anticancers apparaissent régulièrement. Par exemple, Santé Canada a approuvé le 10 avril 2025 Imfinzi (durvalumab), médicament d’AstraZeneca Canada, utilisé dans le traitement des patients adultes atteints d’un cancer du poumon à petites cellules (CPPC) de stade limité.
Frédéric Leblanc croit que les médicaments novateurs peuvent retarder l’invalidité, notamment chez les employés affectés par la polyarthrite rhumatoïde. Ils peuvent aussi d’après lui faciliter le retour au travail des personnes atteintes d’un cancer. « Ce sont des impacts que l’on ne mesure pas encore assez », dit Frédéric Leblanc.
Gabrielle Côté rappelle pour sa part que le traitement de la fibrose kystique par le Trikafta permet aux personnes atteintes de vivre plus longtemps. Elle rapporte qu’auparavant, l’espérance de vie des patients atteints de cette maladie se limitait aux âges de 30 à 50 ans. Ils peuvent désormais espérer atteindre l’âge de 82 ans.