Dans un jugement rendu le 28 novembre, le juge Patrick Ouellet de la Cour supérieure du Québec, a annulé la clause de non-concurrence contenue dans un contrat qui liait depuis plusieurs années le Cabinet financier Katia Mussel et sa présidente, Katia Mussel, à Industrielle Alliance (iA). L’assureur se voit forcé de leur remettre des dizaines de milliers de dollars qu’il avait retenus lors la résiliation de leur entente. 

En l’absence de toute limitation territoriale dans le contrat d’iA, c’est un jugement qui était prévisible indique Me Patrick Snider-Belley, avocat chez Verreau Dufresne, cabinet en droit des affaires et droit du travail.

En entrevue au Portail de l’assurance, il a fait une distinction entre des situations similaires qui surviennent dans le droit du travail et dans le domaine du droit commercial, où cette clause est répandue, notamment dans le secteur de la vente. 

Le contrat qui liait Katia Mussel à iA relevait du droit commercial. Des clauses de non-concurrence existent dans les deux champs de pratique, mais elles contiennent sensiblement les mêmes limites ou restrictions. 

Les critères de validité de la clause de non-concurrence 

Même si elle est intégrée dans le contrat de travail, la validité d’une clause de non-concurrence est soumise à de nombreuses contraintes. Elle doit absolument répondre aux exigences prévues à l’article 2089 du Code civil du Québec pour être valide, précise le cabinet Verreau Dufresne 

Quand elle s’applique au niveau commercial, dit Me Snider-Belley, elle doit répondre à trois exigences : avoir une durée raisonnable, être circonscrite à un territoire spécifique et le champ d’affaires doit être limité à son travail. Ces critères sont toutefois appliqués à des degrés différents du droit du travail afin de protéger les intérêts légitimes de l’entreprise qui contracte avec le fournisseur. 

Ces conditions, ajoute-t-on, doivent toutes être respectées pour que la clause soit jugée valide. Le non-respect d’une seule entraînera la nullité de la clause dans son entièreté. Les tribunaux ne sont pas autorisés à modifier une clause de non-concurrence abusive en diminuant la durée ou en restreignant le territoire. La clause sera donc déclarée valide ou invalide dans son ensemble, précise l’avocat. 

Cette sévérité résulte notamment du fait que cette disposition est susceptible d’empêcher un individu de gagner sa vie.

Le Code civil prévoit que l’employeur qui congédie un employé sans motif sérieux ne peut se prévaloir de la clause de non-concurrence du contrat de travail. Il ne peut s’en prévaloir en cas de licenciement ou après une fin d’emploi basée sur des motifs économiques. La clause ne s’appliquera donc qu’en cas de démission de l’employé ou de fin d’emploi pour motif sérieux. 

Dans une poursuite intentée contre iA sous plusieurs griefs après la rupture de son contrat, Katia Mussel a soulevé que les clauses de non-concurrence de l’assureur étaient invalides et abusives parce qu’elles restreignaient indûment le droit de gagner sa vie. Comme elles ne contenaient aucune limitation géographique, avaient soutenu ses avocats, elles devaient être annulées. 

Jugements antérieurs en assurance 

Une cour s’était déjà prononcée sur cet enjeu dans le domaine de l’assurance. 

« L’absence de toute limitation territoriale dans une clause de non-concurrence sera fatale quant à sa validité, écrit le Réseau juridique du Québec (RJQ). C’est ainsi qu’en a décidé la juge Nicole Tremblay dans la décision Aon Parizeau Inc. c. Lemieux et als le 15 juin 2016. Sur ce point, la Cour d’appel a confirmé la décision de la juge Tremblay. Il est donc essentiel en tout temps que la clause de non-concurrence contienne à sa face même, d’abord et avant toute autre analyse, les limitations ci-dessus énumérées quant à la durée, le territoire et la nature du travail visé. » 

L’importance de la limitation géographique 

La Cour suprême du Canada avait aussi confirmé les exigences contenues dans une clause de non-concurrence dans le domaine commercial, comme c’est le cas dans le dossier Katia Mussel et de son cabinet. 

Or, celles de son contrat avec iA ne contenaient aucune limitation géographique, a rappelé le juge Patrick Ouellet. 

« La jurisprudence québécoise, avait renchéri le juge, considère les clauses de non-concurrence contraires à l’ordre public lorsqu’elles sont inéquitables et ne contiennent pas de limites raisonnables quant au territoire, à la durée et au genre d’activités interdites par la clause, eu égard aux circonstances. » 

Au niveau de la portée territoriale, ajoute-t-il, il est reconnu qu’une « clause de non-concurrence qui excède le territoire des activités de l’entreprise est contraire à l’ordre public ».

« Ce seul fait est suffisant, à la lumière des autorités applicables, pour conclure à leur invalidité. Le Tribunal prononcera donc la nullité des clauses de non-concurrence contenues au contrat de service et au contrat de cession », a-t-il indiqué.

Le juge a ainsi invalidé la clause et a ordonné qu’iA verse, après cassation du contrat, un peu plus de de 103 000 $ en montants retenus à titre pénal contrat pour violation alléguée de la clause en question.

Non-concurrence et non-sollicitions 

Dans l’affaire Payette c. Guay, indique le RJQ, la Cour suprême a toutefois confirmé que les engagements de non-sollicitation de clientèle ne sont pas assujettis aux mêmes critères de validité que les clauses de non-concurrence. « Par exemple, une clause de non-sollicitation de clientèle n’aura pas à être limitée à un territoire. Il sera donc important de bien distinguer la nature des clauses analysée dans un contrat d’emploi et notamment de déterminer si un engagement en est un de non-concurrence ou de non-sollicitation. Un contrat d’emploi pourra contenir ces 2 types de clauses. » 

Juger de la validité d’une clause de non-concurrence 

Comment un employé, un contractuel, un pigiste ou autre peuvent-ils juger de la validité ou de l’invalidité d’une clause de non-concurrence dans un contrat de travail ou un contrat commercial auquel ils sont soumis ? 

La solution ultime consiste à la soumettre à l’analyse d’un tribunal afin qu’il rende une décision sur sa validité, indique le cabinet Verreau Dufresne. Cet exercice s’avère toutefois coûteux et est donc rarement la première solution à privilégier. En pratique, on préférera généralement une alternative beaucoup moins coûteuse, soit l’obtention d’un avis juridique d’un avocat. 

« Ce type de contrat commercial est un peu comme un mariage. Tout semble bien fonctionner avant. On a une bonne entente. Mais le jour où le problème se présente, on réalise qu’il y a des choses qu’on aurait dû prévoir », indique Me Patrick Snider-Belley.