Pour contrer les hausses de primes en assurance collective, aller au marché devient la norme pour certains courtiers. Ainsi, pour ne pas perdre un client ou pour grossir leur portefeuille, ils offrent des tarifs défiants toute concurrence. Mais au renouvellement, leurs clients en ont pour leur argent!Avec une concentration accrue du nombre de joueurs dans le marché, une hausse faramineuse du coût des médicaments, une population vieillissante et de nouvelles technologies médicales – plus performantes mais aussi plus onéreuses -, les preneurs de régimes ont écopé de hausses de primes incessantes au cours des dernières années.
La donne a donc considérablement changé pour les courtiers en 30 ans. Tandis qu’une cinquantaine d’assureurs se partageaient le marché dans les années 70, ils ne sont pas plus d’une douzaine aujourd’hui. « Avant, les assureurs courtisaient les courtiers, aujourd’hui c’est l’inverse. Les courtiers doivent se vendre aux assureurs », déplore Pierre Saddik, président de la Société Conseil Saddik International. M. Saddik présentait sa vision de l’industrie lors d’une conférence au Congrès de l’assurance et de l’investissement, tenu en novembre dernier.
Et toutes ces conditions réunies ont eu pour effet de créer un marché beaucoup plus dur. Un marché dans lequel il faut se battre pour conserver des clients de moins en moins fidèles. Voilà pourquoi certains courtiers se tournent vers un autre assureur dès qu’un client se plaint que le montant de ses primes est trop élevé. « Si le courtier s’adresse à autre assureur pour éviter une hausse de primes de 10 à 15% cette année, celui-ci pourrait bien absorber une hausse de 30 ou 40% au moment du renouvellement l’an prochain », met en garde Yves Therrien, conseiller en assurance collective, pour le Groupe Conseil SD.
Un point de vue partagé par Christian Lahaie, conseiller en sécurité financière et représentant en assurance collective, au sein du cabinet Lahaie, cabinet conseils en assurance inc. Il est évident, poursuit M. Lahaie, qu’un courtier qui a fait son appel d’offre en se basant sur la prime, risque de perdre son client au renouvellement. M. Lahaie indique que 60 à 70% de ses clients demeurent avec lui pendant près de 10 ans.
Toutefois, en 2003, il a fait les frais des pratiques tendancieuses de l’un de ses confrères sur un dossier.
Au renouvellement du contrat de ce client, l’assureur réclamait 9% d’augmentation, M. Lahaie réussit à descendre à 8%, en jouant sur les frais d’administration. Un confrère s’immisce alors dans le processus et offre une baisse de prime de 12%. Le client part avec le nouveau courtier. Mal lui en a pris puisque qu’au renouvellement suivant, la prime connaît une hausse de 64%! Tout compte fait, M. Lahaie qui reprend le dossier en main réussit à réduire cette augmentation à 48%. « C’est mieux que 64%, mais on est bien loin du 8% initial », lance-t-il.
Président de Mainstay Insurance Brokerage Inc. en Ontario, Dave Patriarche dit assister à de telles scènes depuis des années déjà. Toutefois, il lui semble que ces pratiques se sont accentuées ces dernières années. En fait, les courtiers vont au marché principalement au cours du dernier trimestre de l’année, avance M. Patriarche. Ceux qui n’ont pas atteint leurs objectifs de ventes « omettent » de fournir tous les éléments nécessaires à une juste évaluation de la prime. « Personne ne sait vraiment quelles vont être les primes d’un groupe d’une année sur l’autre, dit-il. Mais si les employés sont les mêmes, la prime devrait augmenter. Il faut tenir compte de l’inflation et du coût des soins de santé sans cesse grandissant », souligne M. Patriarche.
À qui la faute?
Interrogé sur la question, Jean Fiola, président de AJF inc et président du conseil du Regroupement des consultants en avantages sociaux du Québec (RCASQ), pointe du doigt les assureurs. M. Fiola estime que si les assureurs n’acceptaient pas de « casser » les prix, les courtiers cesseraient d’aller au marché. « Les assureurs participent à cet état de fait car ils savent que les taux qu’ils proposent augmenteront drastiquement l’année suivante. C’est parce qu’ils veulent avoir le business. Si l’assureur disait qu’il n’effectue ses soumissions que sur de bons dossiers et de manière raisonnable, on ne changerait pas d’assureur », pense M. Fiola.
L’un des irritants majeurs pour Dave Patriarche, ce sont les courtiers qui ne vendent de l’assurance collective qu’une fois par an. « En Ontario, 35 à 50% des polices sont vendues par des courtiers qui ne vendent qu’une police par an », s’indigne-t-il. Ces derniers ne connaissent pas les enjeux de l’industrie et sont prêts à tout pour obtenir les prix les plus concurrentiels, sans en expliquer les risques au client.
Et lorsque que M. Patriarche a demandé aux assureurs de ne traiter qu’avec des courtiers chevronnés, ils ont refusé en bloc d’accéder à sa demande. « Certainement pas, m’ont-ils répondu, de telles affaires sont très rentables pour nous. Ces courtiers ne vont pas faire d’appel d’offre de sitôt et le client restera plus longtemps avec nous », s’est fait dire Dave Patriarche.
Pointés du doigt, la Financière Sun Life et Great-west se sont défendus de créer une guerre dans le marché de l’assurance collective. Claude Leblanc vice-président au développement du marché, division des garanties collectives à la Financière Sun Life, indique avoir constaté une concurrence plus vive entre les principaux joueurs, et ce, partout au pays.
« La tarification proposée lors de l’appel d’offres est très pointue, elle crée souvent des déficits au niveau de l’évaluation. Quand on fait l’évaluation scientifique du risque, on observe quelques fois que les assureurs soumissionnent avec des hypothèses de déficit. Ça ne touche pas la solvabilité des assureurs, mais ça ne rend pas service aux clients. Lors des renouvellements, l’assureur va utiliser la juste évaluation du risque et évidemment les clients vont en être affectés », commente M. Leblanc. Cependant, La Financière Sun Life ne se prête pas à ce jeu-là, souligne-t-il.
Un constat similaire chez Great-West. Wes Jones, directeur du marketing, assurance collective, indique aussi que le marché se montre plus agressif depuis quelque temps. Cependant, M. Jones considère que le choix de prospecter ou pas revient au preneur de régime. « Plutôt que d’aller au marché, nous encourageons nos clients à regarder tout ce que nous pouvons leur offrir. Il est possible que nous ayons une solution qui leur convienne », croit M. Jones. Les prix trop bas sont souvent trop beaux pour être vrais, continue-t-il, c’est pourquoi il est important que les courtiers prennent le temps de discuter et d’évaluer les retombées. »
Chez l’assureur Manuvie, personne n’était disponible pour répondre aux questions du Journal de l’assurance.
Quoi qu’il en soit, l’éthique des courtiers n’est pas à remettre en question, tant qu’ils informent leurs clients des augmentations auxquelles ils s’exposent au renouvellement, soutient Jean Fiola. Il est d’avis que le courtier, lorsqu’il ne cache rien à son client, ne fait que son métier en allant au marché. « Si vous êtes en affaires, que voulez-vous faire, augmenter votre chiffre d’affaires, non? Un client existant ne fera pas augmenter le chiffre d’affaires, mais un nouveau client, si », poursuit-il.
Ceci dit, il y a des cas où aller au marcher en faisant fi de ce qu’il adviendra l’année suivante, est essentiel pour répondre au besoin du client. « Il m’est arrivé d’avoir un client dont les réclamations atteignaient des sommets. Deux des employés dont les soins de santé faisaient grimper la facture sont décédés la même année. Par conséquent, faire un appel d’offres dans un tel cas peut s’avérer avantageux car les augmentations seront minimes au renouvellement », témoigne M. Patriarche.
De plus, il arrive qu’un client ait des problèmes d’argent et qu’il veuille économiser au maximum cette année-là, ne sachant pas s’il sera encore en affaires dans un an. Une situation qu’ont vécue tous deux MM. Fiola et Patriarche.
Éduquer pour baisser les primes
Les panélistes qui ont participé à la conférence sur la spirale des coûts en assurance collective lors du Congrès de l’assurance et de l’investissement ont livré un message on ne peut plus clair : les courtiers doivent envisager d’autres avenues que d’aller au marché pour contrer les coûts en assurance collective.
Pour M. Therrien, tout a changé en assurance collective au cours des dernières années. Tout, excepté la mentalité des courtiers. Contrer la spirale des coûts sera, selon lui, un travail de longue haleine qui devra commencer par une plus grande emphase sur l’éducation. Celle des conseillers, mais aussi des preneurs de régimes et de la population en générale. Il prône une plus grande transparence envers le client par rapport à la rémunération.
Depuis deux ans, on vit une sorte de plateau, explique Christian Lahaie. Si le client n’a pas fait d’appel d’offres, il est béni au renouvellement. « Il faut contrôler les coûts et convaincre les clients qu’ils ne doivent plus faire des appels d’offres. » En échange, M. Lahaie propose d’augmenter les franchises, de réduire la coassurance et (ou) d’augmenter les coûts des visites pour les soins paramédicaux.
Ainsi, poursuit M. Therrien, il faut responsabiliser les adhérents en leur faisant partager les coûts. Et l’éducation consiste aussi à mettre sur pied des méthodes de prévention, parmi lesquelles le changement des habitudes de vie et de la consommation seront à l’honneur.
Quant à Pierre Saddik, il souhaite que tout le monde « mette la main à la pâte » pour faire changer les mentalités. « Il faut arrêter de dire aux courtiers que s’ils vont au marché, ils gagneront 30%. Quand les gens verront que le marché se tient, ils chercheront d’autres solutions », commente-t-il. Réclamer une expérience au trimestre pourrait aussi avoir un impact sur les primes, conclut M. Saddik.