Dans un jugement étoffé de 73 pages, la Cour supérieure a autorisé une action collective à l’endroit de 13 constructeurs automobiles qui n’ont pas pris de mesures pour diminuer les risques de piratage de leurs clés intelligentes.

La décision est notamment saluée par l’Association pour la protection des automobilistes (APA), qui s’interroge néanmoins sur sa portée. Va-t-elle se traduire par des gestes concrets pour améliorer la sécurité des véhicules?

La particularité de ce recours collectif est qu’il provient d’un assuré qui s’est fait voler sa Toyota Highlander munie de la technologie key fob en 2022. En riposte, il a décidé de s’attaquer à ceux qu’il tient responsables de la facilité avec laquelle le signal des clés peut être trafiqué à distance et, donc, les véhicule être volés : les constructeurs eux-mêmes.

Comme le Portail de l’assurance le rapportait au printemps 2024, André Lacroix a intenté une action collective contre les fabricants en faveur de tous les Québécois qui se sont fait voler leur voiture. Le dossier est piloté par le bureau québécois d’avocats Bouchard+Avocats. L'action collective a été approuvée par la Cour supérieure le 30 juillet et vise des constructeurs populaires tels que Toyota, Honda, Hyndai, Mazda, Kia, Subaru et Audi

« Un pas dans la bonne direction » 

CAA Québec s’est réjoui de la décision du tribunal auprès du Portail de l’assurance. « C’est un pas dans la bonne direction », observe Jesse Caron, son porte-parole expert automobile.

« Les propriétaires de véhicules munis d’une clé intelligente sont tributaires de ce système, rappelle-t-il. Le jugement aborde cet enjeu. » 

CAA-Québec a d’ailleurs appelé les constructeurs à renforcer la sécurité de leurs véhicules, « car il existe des technologies pour diminuer le nombre de vols », assure M. Caron. Certains les utilisent déjà, selon lui, alors que d’autres systèmes sont capables de contrer les vols perpétrés par l'entremise des clés électroniques. 

En entrevue au Portail de l’assurance, le président de l’APA, Georges Iny, a quant à lui parlé d’un « très beau jugement » au plan juridique. Il a d’ailleurs qualifié de « très impressionnant » le geste de l’assuré qui a entrepris la démarche et obtenu la permission d’intenter un recours collectif contre les constructeurs autos, ce qui serait une première au Canada. Il se dit surpris et ravi du jugement. 

M. Iny raconte avoir été inquiet lorsqu’il a pris connaissance de la demande initiale déposée par l'avocat de l’assuré, mais constate avec satisfaction que le juge a été au fond des choses avant de prendre sa décision d’autoriser ou non l’action collective.

« Il a corrigé plusieurs failles en faisant un triage entre les constructeurs qui ont un problème grave de vols et ceux qui en ont peu ou moins, note-t-il. La Cour a aussi identifié les manquements dans la règlementation fédérale qui est devenue insuffisante pour prévenir certains types de vols de véhicules. »

Des constructeurs sont allés plus loin dans la protection 

Le tribunal, constate le président de l'APA, a pris la peine de comprendre comment les vols pouvaient se faire sur le plan technique.

D’ailleurs, a décrit le juge, des constructeurs ont déjà installé des mesures de protection dans leurs modèles. C'est le cas de Porsche, Jaguar Land Rover, Mercedes Benz et BMW

Les résultats sont concrets : ces marques ne figurent pas dans la liste des véhicules les plus volés au Québec. Les constructeurs de ces quatre marques ainsi que ceux de General Motors (GM) ne sont d'ailleurs pas visés par l'action collective qui a été autorisée. Ils ont pu démontrer qu'ils utilisent une technologie suffisamment efficace pour réduire, dans une certaine mesure, les risques de vol. 

Selon Georges Iny, le jugement envoie un message aux fabricants dont les modèles sont volés : « Il existe des solutions, car certains de vos concurrents les utilisent. »

Le problème des clés intelligentes, décrit-il, c’est qu’elles sont en communication constante avec le véhicule. Selon lui, un des dispositifs antivols est simple et vaudrait moins d’un dollar. Il fait en sorte que la télécommande s’endort quand on ne se sert pas de sa voiture. 

Argent ou coupons ? 

Dans sa demande de recours, la victime réclame 1 500 $ pour chaque véhicule volé au Québec. C’est un bon montant, d'après M. Iny, mais il se demande si les victimes recevront bel et bien cette somme et sous quelle forme elle leur sera accordée.

« Si la cause fait l’objet d’un règlement, sera-t-il versé en dollars aux consommateurs ou en coupons de 75 $ sur l’achat d’un autre véhicule de la même marque », se demande-t-il, très critique face à cette dernière option. 

Il est préoccupé que le dossier se conclue par un règlement en coupons rabais. En plus d’être désavantageux pour les consommateurs, un pareil dénouement enverrait encore le message à l’industrie automobile qu’elle n’est pas redevable de ses actions devant les clients lésés, croit M. Iny. 

« Mais j’ai espoir que ce ne sera pas le cas », dit-il, en soulignant qu’en Angleterre, le distributeur de Toyota a décidé d’offrir une protection supplémentaire contre le vol à ses clients anglais.

Un engagement à s'améliorer ? 

Depuis le Sommet national pour lutter contre le vol de véhicules tenu en février 2024 à Ottawa, l’augmentation de la coordination des partis, d’abord entre les corps policiers eux-mêmes, mais aussi avec les douanes, s’est traduite par une diminution des vols rapportés en 2025.

Toutefois, la plupart des fabricants ne semblent pas avoir encore changé leurs méthodes, déplore Georges Iny. Selon ce dernier, les constructeurs continuent de clamer que ce ne sont pas eux les voleurs et qu’ils ne doivent donc pas être tenus responsables du vol de leurs modèles ou des conséquences pour les assureurs et les assurés.

C’est un argument qui ne tient pas la route, selon le président de l’APA.

Est-ce que cette autorisation d’action collective accordée par la Cour supérieure poussera les grands fabricants à se soucier davantage du petit marché de l’auto que représente le Québec? 

« Ça dépendra du cabinet d’avocats, indique M. Iny. Il pourrait régler avec un engagement volontaire par un manufacturier comme Honda, dont les véhicules sont parmi les plus volés depuis 30 ans. Honda, par exemple, pourrait-il s’engager à améliorer la protection antivol de ses véhicules au Québec? Volkswagen l’a déjà fait à une époque. »

Éviter le « ballon qui se dégonfle » 

Pour Georges Iny, ce qui se passe actuellement avec cette décision de la Cour supérieure représente la « fin du début ».

« Ça pourrait prendre une ampleur permanente avec les manufacturiers, mais ça pourrait aussi être un ballon qui se dégonfle avec des avocats qui s’enrichissent, et des consommateurs qui reçoivent un coupon de 250 $ ou 500 $ à l’achat d’un autre véhicule facile à voler… »