Un évaluateur agréé qui avait signé un rapport de mise à jour de la valeur de reconstruction d’un immeuble à des fins d’assurance sans l’avoir visité va en payer le prix : visé par deux chefs d’accusation, il s’est vu imposer une amende de 10 000 $ par le Conseil de discipline de son ordre professionnel et fait l’objet d’une réprimande.
Réal Poulin s’était fait reprocher d’avoir mis sa signature sur un rapport d’évaluation préparé par une entreprise externe et de ne pas avoir effectué une inspection des lieux en personne après cinq ans comme il aurait dû le faire.
Production d’un nouveau rapport d’évaluation
Cet évaluateur agréé de St-Georges-de-Beauce opère sous le nom d’Évaluations immobilières Réal Poulin. Au moment des faits, il possédait 27 années d’expérience en évaluation.
Dans cette affaire, il avait accepté un mandat de SPE Valeur Assurable, une entreprise qui se décrit comme un chef de file au Québec en évaluation pour fins d’assurance pour tout genre de bâtiment.
En septembre 2013, les gestionnaires d’un bâtiment patrimonial situé à Montréal avaient mandaté SPE afin d’en établir la valeur en copropriété.
En 2020, donc sept ans plus tard, l’administrateur du syndicat contacte SPE afin d’obtenir une soumission d’un nouveau rapport d’évaluation en vue d’assurer l’immeuble.
Avec ou sans visite de l’immeuble
L’entreprise lui propose deux options. Une première comporte une lettre de confirmation de valeurs sans visite, au coût de 985 $, dans le cas où aucun changement n’aurait été apporté au bâtiment. La deuxième option comprend une évaluation complète avec visite au coût de 1 850 $, avec possibilité d’émettre une valeur séparée de chaque bâtiment moyennant 3 850 $.
En l’absence d’ajout depuis 2013, le représentant du syndicat choisit l’option la moins coûteuse, « sans visite ».
Dans les semaines qui suivent, un technicien de SPE recalcule le coût de reconstruction en se servant des données recueillies en 2013 et prépare un rapport.
Réal Poulin en fait la vérification, ce qui lui prend environ une heure, et y appose électroniquement son nom même s’il n’est ni employé, ni dirigeant de SPE. Il conclut à une valeur de reconstruction de 27 791 636 $.
Le rapport arbore l’en-tête de SPE, mais il n’est nulle part indiqué que Réal Poulin ne travaille pas pour cette entreprise.
Écart marqué d’évaluation avec une autre firme
Dans les mois qui suivent, le directeur du syndicat de l’immeuble transmet une demande d’enquête au syndic de l’Ordre des évaluateurs agréés. Il se questionne sur l’importante différence de l’évaluation produite par SPE et une autre réalisée par une seconde firme, HPDG.
Celle-ci avait conclu à une valeur de reconstruction de 46 406 000 $, un écart de 18 614 364 $ de l’évaluation de SPE et signée par Réal Poulin.
« Fait à noter, écrit le Conseil de discipline, il n’a pas été établi en l’espèce que la valeur de reconstruction retrouvée au rapport mise à jour est erronée de quelque façon ou que celle établie par HPDG serait plus représentative de la valeur de reconstruction de l’Immeuble. »
Néanmoins, une plainte disciplinaire est déposée contre lui.
Fautif sous plusieurs aspects
En agissant comme il l’a fait, Réal Poulin, qui avait déjà reçu plusieurs mises en garde du syndic dans le passé dans d’autres dossiers, était fautif sous plusieurs aspects, lui a reproché le Conseil de discipline.
- Il n’a pas procédé à une nouvelle visite de l’immeuble sept ans après la production du rapport d’évaluation original alors qu’une inspection était requise après cinq ans.
- Il n’a pas cherché à avoir une connaissance complète des faits avant de donner un avis sur la valeur de reconstruction de l’immeuble aux fins d’assurance. En signant un rapport d’évaluation confectionné par un tiers, il a agi par complaisance en abdiquant son indépendance professionnelle.
- Il a produit un rapport de mise à jour alors que cette forme de rapport n’était pas permise dans ce dossier.
- Ce rapport ne respectait pas le contenu minimum que doit contenir un rapport d’évaluation aux fins d’assurance.
Les conséquences du délai de cinq ans
Le fait qu’il n’ait pas respecté les exigences entourant le délai maximal de cinq ans peut entraîner des conséquences sur l’évaluation, a rappelé le Conseil.
« Les conditions de marché évoluent rapidement, écrit-on ; les techniques de construction et les matériaux couramment utilisés changent constamment ; les normes de construction et les règlements de zonages sont également sujets à changement ; le rapport de mise à jour signé par l’Intimé ne permet pas au lecteur de savoir si l’évaluation prend en considération les impacts de la pandémie de COVID-19. »
L’importance capitale de l’évaluation
Dans son jugement, le Conseil cite un expert en évaluation immobilière qui a analysé ce dossier à la demande du plaignant et rappelé l’importance « capitale » d’une évaluation juste à des fins d’assurance.
« Si la valeur est sous-estimée et inférieure au montant requis pour rebâtir le bâtiment en cas de sinistre, c’est le propriétaire qui devra assumer la portion restante des coûts de reconstruction », note-t-il.
Les normes de pratique professionnelle des évaluateurs agréés stipulent que tout bien évalué aux fins d’assurance doit faire l’objet d’une inspection conformément à la règle 2.4.
Cette règle dit notamment : « Lorsqu’il procède à la mise à jour d’un rapport aux fins d’assurances, l’évaluateur doit, personnellement ou par l’entremise d’un représentant qualifié, procéder à une nouvelle visite du bâtiment afin d’établir un relevé quantitatif et qualitatif des composantes de l’immeuble ».
Réal Poulin a plaidé coupable aux accusations portées contre lui. Dans un jugement rendu en décembre dernier, il a été condamné à une amende de 10 000 $ pour le chef 1, il a fait l’objet d’une réprimande pour le chef 2 et il devra payer les déboursés, incluant les frais d’expertise, pour un montant de 6 000 $.