Condamné par le tribunal à rembourser l’assureur qui a payé les dommages causés par sa faute, un couple d’assurés a échoué à obtenir une rétractation de ce jugement.
Le 10 janvier 2025, la juge Chantal Lamarche, de la Cour supérieure du Québec, a entendu la demande en rétraction de jugement soumis par les défendeurs, Imene Talbi et Brahim Benziada. La demanderesse, la Société d’assurance Beneva, a obtenu un jugement le 5 juin 2024 les condamnant solidairement à payer la somme de 594 797 $.
En avril 2020, dans l’appartement loué par Mme Talbi, un feu se déclare, probablement en raison d’un chaudron laissé sans surveillance sur la cuisinière. M. Benziada est le conjoint, mais il n’est pas signataire du bail.
Ce dernier reçoit la visite de l’huissier à son travail, le 22 septembre 2023. Le défendeur refuse de donner à l’huissier l’adresse et le numéro de téléphone de sa conjointe. À sa dernière adresse connue, l’huissier apprend par une voisine que la dame a déménagée. Il indique dans son rapport que Mme Talbi n’a pas de domicile, de résidence ou de lieu de travail connus au Québec.
Le 19 octobre 2023, la demande introductive d’instance est signifiée par la voie des journaux à Mme Talbi et au greffe de la Cour supérieure au palais de justice du district de Beauharnois. Les défendeurs ne réagissent pas.
Le 15 février 2024, Beneva demande l’inscription par défaut et obtient jugement le 5 juin 2024.
Le 23 juillet 2024, un avis d’exécution pour saisie mobilière est remis à une tierce partie, soit l’employeur de M. Benziada. Ce n’est qu’à cette date que les défendeurs affirment avoir eu connaissance de la procédure.
Devant la juge Lamarche, les défendeurs témoignent des problèmes de santé du conjoint, ce qui leur a causé beaucoup de stress durant toute l’année 2023. Le défendeur confirme que sa conjointe vivait avec les enfants à l’appartement où l’incendie de 2020 a trouvé son origine, mais qu’il résidait ailleurs. Depuis 2023, le couple habite avec les enfants à Vaudreuil.
Au moment où il reçoit la visite de l’huissier en septembre 2023, le défendeur travaille à mi-temps pour s’occuper l’esprit, car ses problèmes de myocardie lui créent de l’anxiété. Il affirme que Beneva n’a aucun droit de lui réclamer une telle somme puisqu’il n’est pas signataire du bail.
Le couple allègue aussi que la réclamation de Beneva est largement exagérée, même s’il n’a pas eu le temps de l’examiner, et que leur responsabilité dans le dommage n’a pas été prouvée.
L’analyse
Quand une partie invoque l’article 347 du Code de procédure civile pour appuyer sa demande en rétractation de jugement, elle doit prouver qu’elle a été empêchée de se défendre, et ses moyens de défense doivent s’appuyer sur une preuve minimale.
En général, le tribunal ne donnera pas raison à la partie qui demande la rétractation si celle-ci a fait preuve de négligence ou de laxisme, ou a montré son incurie, son désarroi ou son incompréhension à répondre à l’avis d’assignation.
La condition médicale de M. Benziada ne peut servir de seul prétexte à son inaction, souligne la juge Lamarche. C’est d’ailleurs le seul motif invoqué par les défendeurs dans leur demande de rétractation.
Le tribunal rappelle que le défendeur a eu connaissance de la poursuite intentée par Beneva et qu’il a refusé de donner à l’huissier les coordonnées de sa conjointe. Le tribunal peut comprendre que sa condition médicale pouvait l’inquiéter, mais rien ne démontre qu’entre septembre 2023 et juillet 2024, il n’était pas en mesure de s’occuper du dossier, de contacter un avocat ou de simplement répondre à l’avocate de l’assureur. Il ne fournit aucun certificat médical qui atteste de son incapacité à s’occuper de ce dossier.
S’il peut travailler et voyager en Algérie, comme il le révèle lui-même, il ne peut prétendre qu’il lui est impossible de se défendre. Il a délibérément ignoré la demande remise par l’huissier, ce qui est un acte délibéré, tout comme son refus d’indiquer où habite sa conjointe.
Le défendeur maintient que son état de santé ne s’est pas amélioré, mais il n’y a aucun rapport médical récent qui peut appuyer son témoignage. Pourtant, après la saisie de juillet 2024, il a eu le temps de trouver un avocat, de rapidement déposer une demande en rétractation et de venir témoigner devant le tribunal quelques mois plus tard.
Son avocat plaide que le défendeur a ignoré l’avis d’assignation pour ne pas ajouter du stress, situation qu’il devait éviter en raison de sa condition médicale. Quant à sa conjointe, le fait de se préoccuper de la santé du défendeur ne la rend pas incapable de s’occuper du dossier, ajoute le tribunal.
Plusieurs lettres ignorées
Des mises en demeure et d’autres documents ont été transmis aux défendeurs par le cabinet d’experts en sinistre retenu par Beneva en septembre et octobre 2020, puis en octobre 2021, février et mai 2022. Chacune de ces lettres indiquait leur responsabilité concernant l’incendie ou leur réclamait les sommes accordées plus tard par le tribunal.
Ce n’est qu’à la suite de l’avis d’exécution signifié à l’employeur du défendeur en juillet 2024 que le couple a enfin réagi. De plus, l’inscription par défaut de la part de l’assureur a été demandée près de cinq mois après la signification de la demande introductive d’instance remise en main propre au défendeur. « Leur comportement est assimilable à un “je-m’en-foutisme”, lequel est inexcusable », écrit le tribunal.
Certes, le défendeur n’était pas signataire du bail du logement incendié, mais il était situé à proximité de son travail et il dit lui-même qu’il s’y rendait souvent pour voir les enfants. De plus, il reconnaît avoir habité à toutes les autres adresses au dossier, et ce, avec sa conjointe et ses enfants. Il ne témoigne pas du fait que le couple était séparé au moment du sinistre. Même s’il n’est pas signataire du bail, cela n’écarte pas sa responsabilité extracontractuelle, poursuit le tribunal.
Même si la juge Lamarche est sensible à la situation du couple, elle ne peut se convaincre qu’ils ont soumis une preuve pertinente pour soutenir leur demande de rétractation, et celle-ci est rejetée. Elle ne les condamne cependant pas à payer les frais de justice.