Roxanne Hébert

Confrontés à des réajustements budgétaires orientés sur certains programmes privilégiés par le gouvernement, certains cégeps ont revu récemment leur offre de formation. Dans certains cas, les cohortes de certains programmes, dont la formation en assurance de dommages, ont été reportées, réduites, voire suspendues. Cette décision entraîne un effet domino sur toute l’industrie. 

Par exemple, l’attestation d’études collégiales (AEC) en assurance de dommages n’a pas été offerte dans les cégeps de la métropole, cet hiver, rapporte un article du quotidien La Presse daté du 16 janvier. 

Aux dires de Roxanne Hébert, directrice générale de la Coalition pour une relève en assurance de dommages, les impacts des récents ajustements budgétaires se font ressentir partout dans la province, mais « se déclinent différemment d’une région à l’autre ». 

« Il y a de l’engouement pour les programmes : les inscriptions aux AEC augmentent, mais en raison des restrictions budgétaires, les cégeps réduisent leurs inscriptions. Il va donc y avoir moins de cohortes qui vont être offertes, et conséquemment, le nombre de diplômés va diminuer », élabore-t-elle en entrevue avec le Portail de l'assurance

Selon elle, la situation est préoccupante parce que les besoins en main-d’œuvre et en relève sont encore bien présents, d’autant plus que près d’un travailleur sur cinq (19 %) est âgé de 55 ans et plus. 

En vertu d’une enquête menée en 2023, la Coalition estimait que près de 10 000 emplois dans le secteur de l’assurance seraient à combler d’ici la fin de cette année. Un nouveau diagnostic devrait être posé en 2025 pour brosser un portrait actualisé de la situation. 

Des impacts sur toute la chaîne 

« On travaille avec plusieurs grandes entreprises qui attendaient ces diplômés-là, mais aussi avec des cabinets de courtage pour qui un candidat bien formé fait toute la différence au niveau de l’intégration et de la rétention », note Mme Hébert. 

Il est donc regrettable selon elle que la formation à cet effet écope. Car si les cohortes au collégial sont moins fréquentes et moins nombreuses en raison des compressions, le nombre de professionnels qualifiés pour répondre aux besoins de l’industrie sera aussi diminué. « Ça aura des impacts sur toute la chaîne, ce qui pourrait se traduire par des délais plus longs pour traiter les réclamations », prédit Roxanne Hébert, qui entrevoit aussi des impacts à moyen terme sur les enseignants qui assurent la formation.

La diminution des cohortes pourrait en pousser certains vers la sortie, craint-on. « Depuis plusieurs années, les cégeps ont développé une expertise grâce à des professeurs qualifiés, rappelle-t-elle. Ces corps enseignants sont placés dans un statu quo, qui pourrait avoir des répercussions à l’interne dans les programmes. » 

« Ceci étant dit, poursuit la directrice générale, on sent que les cégeps se sont mis en mode solution. Ils travaillent de concert avec la Coalition et l’industrie pour atténuer les répercussions des compressions parce qu’ils savent que les besoins sont au rendez-vous. » 

Le programme PRET reconduit 

Non affecté par les compressions budgétaires de Québec, le Programme études-travail en assurances de dommages (PRET), qui permet une alternance travail-études à la relève en assurance, a plutôt été reconduit. 

Ce printemps, les cégeps de Sainte-Foy, Jonquière et Édouard-Montpetit déploieront des cohortes dans le cadre du travail. De son côté, le Cégep de Sainte-Foy a choisi de ne pas offrir l’AEC « long » en assurance de dommages, mais a privilégié l’AEC en assurances de dommages des particuliers, un cursus plus court offert dans le cadre du programme PRET.

Le Cégep Vanier offrira pour sa part pour la toute première fois la formation en anglais, apprend-on dans un communiqué diffusé par la Coalition, ce mercredi 19 mars. En tout, 62 candidats pourront « intégrer l’industrie entre mars et mai 2025 ». 

La Coalition pour une relève en assurance appelle donc Québec à faire preuve de leadership. « Si la CPMT [ndlr : la Commission des partenaires du marché du travail] finance les initiatives de formation en assurance, notamment avec le programme PRET, mais que de l’autre côté, le gouvernement prend des décisions qui impactent la capacité des cégeps à offrir ces formations, il y a un manque de cohérence », relève Roxanne Hébert. 

À ce jour, 170 professionnels de l’assurance ont obtenu leur AEC en assurance de dommages auprès d’un des sept cégeps partenaires tout en œuvrant pour l’une des 50 entreprises affiliées au programme. 

La formation continue comme rempart 

Michel Lacelle

Le directeur général de l’Institut d’assurance du Québec, Michel Lacelle, se veut davantage rassurant.

Actuellement, les détenteurs d’une AEC en assurance de dommages peuvent se voir créditer jusqu’à quatre cours de base offerts dans le programme de l’Institut. Les travailleurs de l’industrie qui n’auront pas ce diplôme devront donc suivre la totalité du certificat universitaire. 

« Ce qui va arriver, c’est que les travailleurs vont se former chez nous, en dehors de leurs heures de travail, auprès de nos professeurs. Ça va offrir aux assureurs la possibilité d’offrir une formation plus poussée si le minimum n’est plus offert par autant de cégeps », précise au Portail de l'assurance M. Lacelle, ajoutant que la formation de son établissement est payée à 90 % par les employeurs. 

De toute façon, ajoute le directeur, la formation continue tout au long d’une carrière est incontournable dans un domaine en perpétuel changement comme celui de l’assurance.

Catherine Rioux

« Les gens pensent qu’ils en font assez avec 20 heures de formation par deux ans, mais non, il faut une éducation supérieure, technique et plus poussée pour se garder aux devants », allègue Michel Lacelle, ajoutant que les statistiques démontrent que les membres de l’industrie ayant obtenu un statut de professionnel en assurance agréé avancé gagnent un salaire annuel de 8 000 à 10 000 $ supérieur. 

Interrogée par le Portail de l'assurance, la spécialiste des ressources humaines et présidente de Rioux Consultants RH, Catherine Rioux, voit aussi la situation d’un autre œil. Bien qu’elle considère ces compressions comme un « pas de recul » face aux efforts déployés par la Coalition pour valoriser les carrières en assurance, elle y voit aussi « une occasion pour l’industrie de se mobiliser à nouveau. On fait partie d’un des rares secteurs où les entreprises compétitrices se regroupent pour faire avancer la cause. On peut être fiers. » 

Pour faire du secteur de l’assurance une priorité nationale 

En raison des aléas climatiques, entre autres, le secteur de l’assurance est appelé à devenir névralgique à court terme, avance Roxanne Hébert. Ainsi, il faudrait surtout consolider l’offre de formation pour garantir à l’industrie des professionnels qualifiés. 

« Les catastrophes climatiques augmentent la pression sur le secteur, et l’industrie est un levier clé pour la résistance aux changements climatiques, rappelle Mme Hébert. C’est un enjeu auquel le gouvernement s’intéresse particulièrement. » 

En ce sens, la Coalition sensibilise les ministères du Travail, de l’Enseignement supérieur et des Finances « pour démontrer les conséquences de ces restrictions budgétaires là et demander que l’assurance de dommages devienne une priorité nationale », soutient la directrice générale. 

« On veut que les AEC et DEC [ndlr : diplôme d’études collégiales] en assurances soient reconnus comme étant prioritaires au niveau du financement par le ministère de l’Enseignement supérieur, précise-t-elle. On travaille aussi avec nos partenaires pour rappeler l’importance de ces formations et de leur impact qui se fait voir sur le terrain. »