Après une carrière de 43 ans en assurance, Jean-François Béliveau prend sa retraite avec un sentiment de sérénité. « Oui, on me dit que je pourrai profiter de la vie. Mais mon métier m’a fait profiter de la vie. Pendant 43 ans, j’ai eu du plaisir. J’ai aimé ce que j’ai fait », dit-il. 

Jusqu’à la fin de mars, M. Béliveau était vice-président principal de la région du Québec de Northbridge Assurance, poste qu’il occupait depuis l’automne 2011. En entrevue avec le Portail de l’assurance* quelques jours avant son départ, il commente ainsi les raisons qui le poussent à passer le flambeau. 

« Il arrive un moment où tu as le sentiment d’avoir fait ce que tu avais à faire, d’avoir accompli ce que tu voulais accomplir. À ce moment-ci, l’équipe est en place, les choses vont bien, Northbridge va bien au Québec. C’est un bon moment pour qu’il y ait du sang neuf et il y a des gens qui sont prêts à prendre la relève. » 

Il ajoute : « Dans ce contexte-là, je peux profiter des prochaines années, mais en faisant autre chose. » 

Sous sa gouverne, Northbridge est devenue la deuxième société d’assurance des entreprises en importance au Québec, indiquait la société au moment d’annoncer la nomination de son successeur, Jean-François Lussier

M. Béliveau était présent aux événements importants qui rassemblent les courtiers en dommages, dont la Journée de l’assurance de dommages, où il a été conférencier en 2022 et en 2016, notamment. Il tenait d’ailleurs à être présent au stand de l’assureur à l’occasion de l’édition 2024 de la Journée pour saluer les courtiers, à l’occasion de sa dernière journée de travail. 

La même mission 

Quand on lui demande ce qui le frappe le plus après 43 ans dans l’industrie, il indique : « S’il y a une chose qui n’a pas changé, c’est la mission de notre industrie. » 

« On est là pour neutraliser l’impact des sinistres importants en répartissant cela sur l’ensemble. Les assureurs et les courtiers, nous sommes là pour aider les clients à comprendre les risques auxquels ils sont exposés puis pour leur apporter des solutions », poursuit-il. 

« Les outils, les moyens, les stratégies ont changé, les objectifs corporatifs et les moyens pour les atteindre ont changé, mais pour moi, notre mission intrinsèque d’aider les clients à se protéger, ça n’a pas changé », insiste-t-il. 

Depuis 1981 

Jean-François Béliveau relate les différentes étapes de sa carrière, entièrement consacrée à l’assurance de dommages. Son premier emploi en 1981 était chez L’Union québécoise, une mutuelle établie à Trois-Rivières.

Après son déménagement à Montréal au milieu de la décennie pour le compte d’un autre assureur, il a été recruté par La Laurentienne Assurances générales en 1988. Cet assureur a été acquis par AXA en 1995. M. Béliveau est devenu vice-président principal en assurance aux entreprises chez AXA en 2005. 

Après l’acquisition du portefeuille canadien d’AXA par Intact Corporation financière, M. Béliveau est resté durant quelques mois pour assurer la transition, avant de joindre Northbridge Assurance à l’automne 2011. 

L’assureur a vu le jour officiellement au 1er janvier 2012 à la suite de la fusion de trois autres assureurs : Markel, Lombard et Commonwealth. « Quand je suis arrivé, ils étaient dans le processus de finaliser l’intégration », dit-il. 

« Lombard était dans le mid-market, Markel était axé dans le transport, et Commonwealth, c’était pour les risques de plus grande envergure et plus techniques », relate M. Béliveau. 

Évolution 

Parmi les choses qui ont changé durant sa carrière, Jean-François Béliveau souligne la relation d’affaires que l’assureur entretient avec ses clients. Selon lui, jusqu’aux années 1990, la mise en marché de l’assureur se limitait à émettre un contrat d’adhésion. « L’assureur détenait le pouvoir. Le client était plutôt passif par rapport à ce que les assureurs proposaient. C’était l’environnement historique de ce qu’était l’assurance. » 

Graduellement, le client a acquis du pouvoir et les assureurs ont été forcés de se mettre en mode séduction. « Ça se voit à travers la publicité, les initiatives qui sont déployées, par exemple dans l’ère numérique, les accès, les plateformes 24/7, puis on veut faciliter la communication avec les clients », dit-il. 

Avec les sondages de satisfaction et l’évolution du traitement des réclamations en mode interactif, les clients sont davantage impliqués et exigeants. « Aujourd’hui, tout le monde s’est mis en mode de gagner des clients. » 

« Aujourd’hui, les consommateurs sont encore prêts encore à être fidèles, mais à condition de ne pas être déçus. Dans ce sens-là, les attentes ont évolué et sont plus grandes. Les consommateurs vont consulter les autres clients, avec les réseaux sociaux, les plateformes, les sites Web, etc. », dit-il.

Les deux tiers du marché de l’assurance des particuliers sont désormais détenus par des assureurs directs. Les assureurs à courtage maintiennent 80 % du marché de l’assurance aux entreprises. Selon lui, la bonne nouvelle pour ces derniers est que le marché de l’assurance commerciale connaît une croissance plus importante. 

Autres changements 

Parmi les autres changements notables survenus en 40 ans, il souligne l’arrivée de la bureautique et l’intégration de la technologie, le développement des bases de données, les progrès en actuariat qui ont permis une meilleure segmentation des portefeuilles, etc. 

La gestion des ressources humaines a été bouleversée par la bureautique et la technologie, ce qui a entraîné une certaine rationalisation des effectifs. Une partie de l’expertise n’a pas été renouvelée, constate M. Béliveau.

En conséquence, l’industrie doit investir davantage pour continuer de bien servir sa clientèle, particulièrement du côté de la souscription, de l’indemnisation et aussi en distribution. « L’enjeu de l’expertise, la connaissance du métier et de l’assurance, demeure un facteur important », précise-t-il. 

L’arrivée de l’intelligence artificielle (IA) a aussi un impact sur la culture au sein même des entreprises. « L’intelligence artificielle combinée avec l’expertise humaine va bonifier la notion de conseil qu’on pourra apporter à nos clients », dit-il. 

En matière de confidentialité des données, l’IA vient aussi avec une croissance du cyberrisque. « Ce sont des risques qu’il faut bien considérer et gérer. » 

Le climat 

Les changements climatiques sont évidemment devenus, au fil de sa carrière, une préoccupation constante chez tous les assureurs de dommages. En 2010, la moyenne des dommages assurés à la suite de catastrophes naturelles était d’environ 1,5 milliard de dollars (G$) par année au pays. La facture a dépassé les 3 G$ en 2023, devenue la quatrième pire année à cet égard

Selon M. Béliveau, la moyenne de 2 G$ en dommages assurés par année, entre 2015-2020, sera passée à 3 G$ en 2030, ce qui aura un impact de plus en plus important sur les résultats techniques de l’industrie. 

Concurrence 

Jean-François Béliveau note la consolidation qui a touché toute l’industrie, tant les assureurs que les cabinets de courtage. En assurance des entreprises, les 10 plus gros joueurs contrôlent environ 65 % du marché. 

Malgré cela, il estime que la concurrence est encore présente au pays. « Il y a 300 assureurs qui sont inscrits dans un marché de 80 G$. Dans un marché où 300 assureurs sont présents, c’est dur de dire que le marché n’est pas concurrentiel. » 

Au niveau du Québec, il y a 164 assureurs selon le plus récent rapport de l’Autorité des marchés financiers à l’échelle du marché du Québec. Là aussi, le marché demeure concurrentiel, selon M. Béliveau. 

L’industrie a toujours fonctionné par cycles, avec des périodes de marché mou où l’on baisse les tarifs et augmente les capacités pour gagner des parts de marché, et des périodes de marché dur où la tarification grimpe et les conditions de souscription se resserrent. 

Selon Jean-François Béliveau, les cycles continueront de survenir, mais leur amplitude sera moindre. Quand les résultats techniques ne sont pas là, l’assureur commence par réviser la tarification, et si ça ne suffit pas, les capacités sont réduites. Dès que la rentabilité est au rendez-vous, l’appétit des assureurs grandit. 

Chaque assureur vise à accroître son marché et adapte ses stratégies en conséquence. Au final, c’est le client qui décide. « Nous, ce qu’on essaie de faire, c’est que le client ait le désir de voter pour nous. Si le client ne vote pas pour nous, il faut se poser des questions et se demander ce qu’on peut faire de mieux », dit-il. 

L’entreprise où il a travaillé durant 12 ans et demi a gagné une belle place sur le marché de l’assurance aux entreprises. « Notre désir, notre volonté est de continuer. On fait des affaires et on est là pour offrir un produit que les clients vont vouloir se procurer », rappelle-t-il.

La Corporation financière Northbridge est une filiale de la société Fairfax Holdings. En 2022, Northbridge arrivait au 5e rang au Québec parmi les plus importants assureurs à courtage, avec des primes totalisant 519 M$. La presque totalité de ce volume couvre les biens et la responsabilité civile des entreprises. 

*L’entrevue a été menée conjointement avec Serge Therrien, président des Éditions du Journal de l’assurance