La pandémie de la COVID-19 force l’industrie aéronautique à faire face à des défis extraordinaires.

Pourtant, c’est une industrie qui est habituée d’en voir d’autres, souligne Julien Vadnais, directeur de pratique pour l’est du Canada de ce segment d’affaires pour le compte de BFL Canada, en entrevue au Portail de l’assurance.

Le 11 septembre 2001, les attentats du World Trade Center ont mené à une explosion des primes, suivie d'un marché mou d’une durée de 14 ans en assurance aviation. Sans compter qu’en cours de route, cette industrie a dû faire face à la crise du SRAS et à l’éruption du volcan islandais Eyjafjöll.

Pourtant, la pandémie de la COVID-19 les surpasse tous en intensité, dit M. Vadnais. Pourquoi ? Parce que la pandémie touche plusieurs sphères d’activités de l’industrie aéronautique. Tout d’abord, en étant à l’arrêt, les vols commerciaux ne peuvent plus soutenir les acteurs logistiques qui les approvisionnent, notamment les bagagistes et la restauration.

Les manufacturiers aéronautiques sont aussi touchés. N’oublions pas que le Québec compte une grappe aérospatiale importante, dit M. Vadnais. « Les joueurs les plus affectés sont ceux qui fabriquent des pièces. À l’inverse, les secteurs des hélicoptères et de l’aéronautique militaire sont moins touchés, même s’ils subissent des ralentissements de cadence de production. Leur carnet de commandes est toutefois bien rempli », dit-il.

À quand la reprise ?

Le pire reste à venir du côté de l’aviation civile, croit M. Vadnais. À l’automne, il dit s’attendre à ce que des compagnies aériennes annulent des commandes d’avions neufs, puisque leur flotte d’avions est clouée au sol. « Ils n’auront pas le gout de renouveler celle-ci », anticipe-t-il.

Certains segments seront toutefois moins touchés, dit M. Vadnais, comme ceux qui offrent des évacuations par la voie des airs ou encore ceux qui font de la surveillance de lignes hautes tension ou de gaz. « Ce sont des gens qui ne transportent pas de passagers. Le risque de transmission de la COVID-19 est quasi nul », explique-t-il.

Le secteur de l’aéronautique peut-il connaitre une reprise rapide ? Julien Vadnais se dit convaincu que oui. La durée de la pandémie et le rythme de cette reprise demeurent toutefois des inconnues, dit-il.

« Comment frappera la pandémie ? Quand arrivera le vaccin ? Avoir réponse à ces questions donnerait une idée de la reprise des vols. Est-ce que des gens pourront aller dans le Sud, puis faire un test de dépistage et être extrapolés de quarantaine ? Ailleurs dans le monde, des vols intrarégionaux ont repris, en Europe et en Chine notamment. Au Canada, on attend encore des assouplissements », dit-il.

L’impact sur les primes d’assurance

M. Vadnais souligne que la pandémie n’a pas empêché les assureurs de faire une correction à la hausse des primes. « Cette situation est causée par les longues années de marché mou que le secteur de l’aéronautique a connu, qui ont généré une faible rentabilité pour les assureurs. En plus, au cours des dernières années, il y a eu un niveau record de réclamations. Pas toujours des accidents. Il y a aussi eu des aéroports frappés par des tornades. Au Canada, l’aéroport de Fort McMurray a été touché par les feux de brousse », rappelle-t-il.

Les assureurs ont plutôt opté pour des assouplissements au niveau de leurs primes. Ils ont offert des allègements financiers pour permettre aux opérateurs de protéger leur trésorerie.

Même si les effets de la pandémie ne sont pas couverts par les polices d’assurance aéronautique, des réclamations ont été versées depuis le début du confinement. « Il y a eu des réclamations relatives à des accidents lors de lancements de satellites », donne en exemple M. Vadnais.

2 défis

Le marché de l’assurance aéronautique fait donc face à deux défis, dit M. Vadnais : l’augmentation des primes, combinée à une réduction des opérations. « Les compagnies aériennes ont dû continuer d’assureur leur flotte même si elle est clouée au sol. Ils doivent le faire en vue de la reprise. Le marché d’assurance est donc beaucoup plus difficile et restrictif, particulièrement pour les entreprises ayant des expositions critiques et de mauvais ratios de pertes. »

M. Vadnais donne en exemple le cas d’opérateurs d’hélicoptère qui font de l’arrosage, ou encore les écoles de pilotage. « Ce sont des activités plus à risque. C’est vraiment plus dur pour ces entrepreneurs », dit-il.

Comme dans d’autres segments en assurance des entreprises, il faut souvent plus d’un assureur pour couvrir un risque. Pour les avions privés ou certains hélicoptères de basse valeur, un assureur peut suffire, dit M. Vadnais.

« Quand les valeurs sont plus élevées, et ce, même pour certains hélicoptères privés, plusieurs assureurs sont nécessaires pour couvrir le risque, puisqu’ils diminuent leur participation. D’autant plus que des joueurs se sont retirés au fil des ans », dit le directeur de la pratique d’aéronautique de BFL Canada.

Dans son Rapport sur l’assurance de mi-année 2020 au Canada, Aon identifie les joueurs présents dans le marché de l’assurance aéronautique. On y retrouve Global Aerospace, Allianz, AXA XL, CAIG et AIG. Swiss Re Corporate Solutions s’en est retiré en date du 31 juillet 2019, dit M. Vadnais, ce que confirme le rapport d’Aon. À ce retrait s’ajoutent ceux de MS Amlin et de plusieurs syndicats du Lloyd’s, indique le rapport d’Aon.

Le recours au marché de Londres se fait plus pour le segment des airlines et les importants producteurs de pièces en aéronautique. Le reste se fait domestiquement, puisque les tarifs sont moins chers ici qu’à Londres. S’il y a un manque de capacité sur le marché domestique, c’est à ce moment que le courtier spécialisé se tournera vers le marché de Londres pour compléter le risque.

Le détail des augmentations

Dans son rapport, Aon indique que les tarifs de l’assurance de l’aviation en général et des compagnies aériennes enregistrent une augmentation moyenne des primes de l’ordre de 30 % en moyenne. Dans le segment de l’aérospatiale, la hausse est de 20 %. « Pour les entreprises concernées par des demandes de règlements, les augmentations sont encore plus importantes », peut-on y lire.

M. Vadnais croit qu’il faut plutôt aborder la chose au cas par cas. « Il n’est pas rare de voir des augmentations de 15 % ou 25 %, parfois le double. Quand on arrive avec un dossier de nouvelle affaire à un assureur, il doit être très bien monté pour attirer son attention. Les assureurs sont beaucoup sollicités et ont beaucoup moins de temps pour évaluer les risques et se concentrent sur les belles opportunités. Les mauvais dossiers de réclamations sont tout de suite écartés », dit-il.

Le directeur de la pratique d’aéronautique de BFL souligne qu’il est possible d’aller chercher un prix pour un client, mais que ce n’est pas la norme dans l’état actuel du marché. « Il n’y a pas eu personne que je n’ai pu assurer, dit M. Vadnais. C’est sûr que la question de couts embarque dans la discussion. Toutefois, il y a des opportunités dans le marché dur. Il faut être créatif et faire beaucoup de gestion de risques. On travaille beaucoup sur les franchises. Des clients ont dû abandonner des types d’activités pour un moment vu le cout d’assurance, avec l’intention d’y revenir plus tard. »

Optimisme de mise

Malgré les temps durs que vivent les segments de l’aviation et de l’aéronautique, M. Vadnais se dit optimiste pour cette industrie une fois la pandémie passée. « La reprise graduelle des vols commerciaux aidera. La période pré-COVID-19 était caractérisée par une croissance fulgurante, notamment en Asie, particulièrement dans le Sud-Est asiatique. Le nombre d’aéroports qui se construit en Chine et en Inde est incroyable. Il y a une nouvelle classe moyenne qui voyage là-bas. »

Le directeur de la pratique d’aéronautique de BFL dit aussi croire que les primes élevées dans ce segment attireront de nouveaux assureurs. Toutefois, cette industrie doit y améliorer son niveau de réclamations.

« Ça passera par l’application de nouveaux programmes de sécurité. Si nos clients sont capables d’appliquer de nouveaux éléments de sécurité au niveau des appareils et des passagers, ça aidera à la relance, mais aussi à améliorer le ratio de pertes des assureurs. Ces derniers seront alors enclins à réduire leurs primes. La tendance mondiale à la hausse de l’aviation reprendra. Toutefois, l’aéronautique, c’est une chaine, s’il n’y a pas de vols civils, il n’y a pas d’avions qui se construisent, etc. », dit M. Vadnais.

Du côté d’Aon, on indique que le marché de l’assurance aéronautique devrait connaitre de nombreux changements au cours des douze prochains mois. « La constance et la résilience des assureurs continueront d’être mises à l’épreuve dans cet environnement en constante évolution », peut-on lire dans son rapport.