Alors que l’inflation emprunte une courbe descendante depuis plusieurs mois et que les taux d’intérêt s’engagent dans la même tendance, offrant aux assureurs de meilleures conditions de marché, ces derniers ne font pas pour autant face à un horizon de tout repos. La mise à jour de l’automne 2024 que vient de publier Aon brosse un portrait des progrès de l’année et des défis qui attendent l’industrie.
« La complexité et l’évolution rapide du secteur de l’assurance de dommages rendent extrêmement difficile la prévision de l’état futur du marché », a déclaré Stéphane Lespérance, président, solutions en gestion de risque commercial et santé, chez Aon Canada, lors de la publication de la mise à jour, le 7 octobre dernier. Le dirigeant estime que les défis « historiques » posés par les hausses de l’inflation et des taux d’intérêt ont été surmontés, mais que les catastrophes naturelles « continuent d’exercer une pression sur le marché canadien ».
« Depuis septembre, 2024 est déjà l’année la plus coûteuse jamais enregistrée pour les pertes assurées liées aux catastrophes au Canada, avec des pertes totales estimées dépassant 7,6 milliards de dollars (G$) », souligne-t-il. Il s’agit du double des pertes évaluées en 2023. Résultat : les élans de croissance attribuables aux conditions économiques et financières plus clémentes de 2024 pourraient se voir encadrés par un « retour à des pratiques de souscription plus strictes plus tôt que prévu » attribuables à la fréquence des catastrophes naturelles, selon la mise à jour d’Aon.
En matière de pertes, économiques ou assurées, le Canada fait bande à part. Les pertes économiques mondiales dues aux catastrophes naturelles au cours du premier trimestre de 2024 étaient inférieures à la moyenne. Quant aux pertes assurées, elles sont estimées à 58 G$ US au premier trimestre, en deçà des 60 G$ US du premier trimestre de 2023.
Réassurance : une hirondelle ne fait pas le printemps…
Le marché mondial de la réassurance a retrouvé de la stabilité avec une augmentation de 25 G$ du capital des réassureurs en mars 2024, pour atteindre 695 G$ au 31 mars 2024, rapporte Aon. Cependant, des préoccupations subsistent concernant les risques à long terme, avec en tête de file les catastrophes naturelles et les abus du système juridique. « Jusqu’à présent, un groupe de nouveaux réassureurs, qui émerge généralement lors d’un marché difficile, ne s’est pas matérialisé, soulignant l’incertitude persistante des investisseurs et le sentiment qu’une bonne année de résultats ne suffit peut-être pas à restaurer la confiance dans la rentabilité à long terme du secteur… »
Au Canada, prévoit Aon, bien que le capital des réassureurs ait modérément augmenté, le grand nombre de catastrophes observées au cours de l’été 2024 laisse entrevoir que les négociations continueront d’être difficiles en 2025, au moins pour les renouvellements de programmes de catastrophes.
Cela affectera le marché de l’assurance primaire, avertit Aon. Les assureurs devront développer des pratiques de souscription et une tarification capables d’absorber les pertes potentielles.
Véhicules : stabilité et prudence
Le marché canadien de l’assurance automobile fait toujours face à des pertes croissantes et aspire encore à l’équilibre, résume la mise à jour d’Aon. Dans un environnement de tarifs stables qui a aussi assisté au retour de nouveaux acteurs, les assureurs sont en concurrence pour la croissance, estime Aon. Mais la discipline de souscription reste rigoureuse, à plus forte raison parce que les réclamations pour vol de véhicules et l’augmentation des coûts de réparation ont réduit les bénéfices des assureurs dans ce segment, qui affiche un ratio combiné de 92,5 % au premier trimestre.
Les assureurs restent prudents face aux expositions à haut risque, observe-t-on. Les opérations liées au transport de marchandises dangereuses et de carburant commandent la prudence, notamment si le territoire des États-Unis est fréquenté, car le risque de jugements « nucléaires » (décisions judiciaires imposant de lourdes compensations financières) est très élevé.
En bref
- Responsabilité des administrateurs et des dirigeants : L’assouplissement des conditions de marché dans ce secteur devrait continuer pour une troisième année consécutive, avec des tarifs stables à court terme. Incertitudes à l’horizon : les assureurs signalent que les conditions de marché actuelles ne sont pas viables à long terme. En cas de réductions de tarifs, la rentabilité pourrait écoper. L’abus du système judiciaire, qui entraîne des coûts de défense accrus, est une préoccupation croissante parmi les acteurs du marché. Les faillites, l’instabilité financière et les changements réglementaires et législatifs font aussi partie des risques surveillés.
- Cybersécurité et erreurs et omissions liées aux technologies : Les conditions de marché favorables aux acheteurs se maintiennent. La différenciation des risques reste primordiale pour les assureurs, comme le reflètent les primes actuelles. Mais la fréquence des réclamations continue de croître, observe Aon, ce qui laisse croire que les conditions de marché pourraient ne pas se maintenir à long terme. La panne mondiale de juillet 2024, causée par une mise à jour incorrecte de CrowdStrike, a rappelé aux assurés et aux assureurs l’ampleur potentielle des problèmes liés à l’interconnexion des organisations. Ce segment pourrait devenir plus volatil au cours des prochaines années. En moyenne, en 2023, le coût d’une violation de données au Canada était de 6,9 millions de dollars.
- Responsabilité civile commerciale : Le marché canadien a terminé le deuxième trimestre 2024 avec un taux combiné de 74,5 %. Les couvertures restent globalement stables, dans un marché concurrentiel où les assureurs ont commencé à se définir comme des acteurs principaux ou excédentaires.