L’assurance du transport routier demeure un dossier préoccupant, de l’avis même du Bureau d’assurance du Canada (BAC).

Durant plusieurs années consécutives partout au pays, les assureurs ont dû verser plus de réclamations que ce qu’ils recevaient en primes, une situation qui n’est pas soutenable, rappelle le BAC. Les hausses de primes qui en ont découlé deviennent de plus en plus lourdes à supporter pour les PME du secteur. 

L’augmentation des coûts d’assurance des transporteurs est attribuable au fort taux de roulement du personnel chez les chauffeurs. Les titulaires de permis sont très nombreux à atteindre l’âge de la retraite. Les difficultés de recrutement, le manque d’expérience et de formation des plus jeunes camionneurs, la hausse de la fraude et l’augmentation importante du coût moyen des réclamations sont quelques-uns des facteurs qui contribuent à la frilosité des assureurs envers cette industrie.

En plus, certains jugements rendus par les tribunaux aux États-Unis contre des transporteurs routiers sont associés à des montants de règlement très élevés en responsabilité civile, rappelle le Bureau. 

Les assureurs membres du Bureau et leur association se font les promoteurs d’une amélioration de la formation en prévention chez les transporteurs routiers. On veut aussi créer une banque de données centralisées qui verra à mieux évaluer le risque associé à l’industrie, où la fraude est courante.

Selon les assureurs, cette banque de données devrait inclure l’historique de conduite et de réclamations des chauffeurs afin de mieux lutter contre la fraude. En conséquence, les gouvernements devraient créer le cadre réglementaire qui force les gestionnaires de flottes à fournir cette information sur leurs camionneurs aux assureurs qui la demandent. Le Bureau reconnaît que cela pourrait s’avérer compliqué lorsque le chauffeur ne sera pas en mesure de valider son expérience de conduite. 

Du ménage à faire 

L’industrie du camionnage a son propre ménage à faire, reconnaissent les grandes associations patronales et syndicales. Le 16 mai dernier, le syndicat canadien des Teamsters, l’Alliance canadienne du camionnage (CTA) et l’Association du camionnage du Québec (ACQ) ont demandé l’intervention urgente du gouvernement fédéral, particulièrement à l’Agence du Revenu du Canada et au ministère de l’Emploi et du Développement social du Canada (EDSC), afin de mettre fin au stratagème d’évitement fiscal appelé « Chauffeur inc. », qui ne cesserait de proliférer.

« Le stratagème Chauffeur inc. est une escroquerie fiscale et de mauvaise classification des employés. Des camionneurs s’incorporent, souvent à la demande d’employeurs malhonnêtes, sous prétexte de payer moins d’impôt et d’éviter d’autres retenues sur la paie. Mais en réalité, ces conducteurs sont indiscernables des employés réguliers, dépourvus de propriété de camion, de choix d’itinéraire ou de tout degré réel d’indépendance ou de risque financier », indiquaient les trois groupes dans leur communiqué conjoint.

Selon Marc Cadieux, PDG de l’ACQ, ledit stratagème coûterait au moins un milliard de dollars annuellement aux gouvernements. « C’est de l’argent qui devrait servir à construire nos infrastructures et sécuriser notre tissu social, mais qui enrichit plutôt des entrepreneurs véreux. Il faut que ça cesse! », dit-il. 

Le président du Groupe Robert, Claude Robert, lance le message suivant aux conducteurs qui adoptent la formule « Chauffeur inc. » : « Nous sommes des centaines de transporteurs honnêtes au Canada à offrir des conditions de travail avantageuses aux conducteurs expérimentés, conformément aux normes en vigueur. Sortez de ce piège en venant vers nous! Nous avons besoin de vous et vous êtes plus que bienvenus. » 

Le rôle d’Ottawa 

Le « Programme du travail », qui est géré au gouvernement fédéral par EDSC, contribuerait de manière involontaire à inciter les camionneurs à devenir travailleurs autonomes, selon le communiqué du 16 mai dernier. En s’incorporant, les chauffeurs de camion deviennent indiscernables des employés réguliers, mais sans avoir accès à l’assurance emploi, aux heures supplémentaires, aux vacances, aux indemnités, aux congés de maladie payés et aux autres avantages sociaux. 

En mars dernier, un reportage du réseau CTV News soulignait qu’un transporteur de Brampton (Ontario), Sondh Freight Systems, était l’objet d’une enquête faite par EDSC. Quelque 12 chauffeurs ont porté plainte, car leur donneur d’ouvrage retenait des sommes dues de 115 000 $ en salaires, vacances et congés.

Comme on l’a déjà vu précédemment, l’entreprise recrute ses chauffeurs chez des immigrants dotés d’un visa d’étudiant ou d’un permis de travail temporaire. Même si les procureurs et le syndicat qui les représente ont obtenu des jugements ordonnant au transporteur de payer les sommes dues dès le mois de septembre 2022, les paiements se faisaient toujours attendre en mars 2023. 

Plusieurs de ces chauffeurs ont dû se trouver un emploi dans un autre secteur, faute de recevoir leur dû, rapportait CTV. En même temps, le transporteur continuait d’afficher des offres d’emploi pour des chauffeurs dans le site du gouvernement canadien.

Avec le ministre 

Quelques jours après cette sortie de l’ACQ et de la CTA, le ministre fédéral du Travail, Seamus O’Regan, rencontrait des représentants de la Canada Truck Operators Association (CTOA).

Quelques députés fédéraux participaient à la rencontre, selon ce que rapporte James Menzies, du magazine spécialisé Transport Routier. La rencontre a eu lieu au bureau de circonscription du député de Mississauga-Malton, Iqwinder Gaheer

Le président de la CTOA, Jaskaran Sandhu, affirme au magazine que « le modèle des chauffeurs incorporés n’est pas en voie de disparition au sein de l’industrie. Il continuera à jouer un rôle important pour le gouvernement dans les façons de remédier à la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur ». 

Cet article est un Complément au magazine de l'édition de juin 2023 du Journal de l'assurance.