Les assureurs constatent l’augmentation des réclamations découlant des sinistres naturels et particulièrement des dégâts causés par les inondations. Ils collaborent à la création d’un programme national qui permettra de partager les coûts de ce risque.
Pierre Babinsky est directeur des communications et des affaires publiques au Québec du Bureau d’assurance du Canada (BAC) depuis mars 2013. Il était l’un des invités de la réunion annuelle du Réseau Inondations Intersectoriel du Québec (RIISQ) qui se tenait le 31 mai dernier à Québec.
Le BAC intervient sur le terrain en servant d’interface avec les assureurs à la suite de catastrophes naturelles. Par exemple, il agit comme lien entre les assureurs et les différents paliers de gouvernement pour confirmer que leurs programmes d’aide ne couvrent pas des dommages assurés et que les assureurs évitent de payer pour des services ou des biens inclus dans ces programmes.
Les données des réassureurs et des grandes firmes de courtage confirment que la tendance est à la hausse en matière de dommages causés par les sinistres naturels. En 2021, sur des dommages estimés à 280 milliards de dollars (G$), quelque 120 G$ étaient couverts par des assureurs.
Au Canada, les dommages associés à ces catastrophes naturelles sont en moyenne de 2 G$ par année, depuis une décennie, alors qu’ils atteignaient 100 millions de dollars (M$) en moyenne par année dans les années 1980. « Aujourd’hui, cette barre des 100 M$ est atteinte dans chaque province », note M. Babinsky.
Autres sinistres
La majeure partie des dommages sont reliés aux inondations, même si des vents violents comme ceux du 21 mai dernier ou des incendies en forêt causent parfois de très lourds dommages.
Ce fut le cas en 2016, une année exceptionnelle à 5 G$ en dommages assurés, en raison des feux de forêt dans la région de Fort McMurray (Alberta), où les dommages ont à eux seuls coûté près de 4 G$ aux assureurs, indique M. Babinsky.
Jusqu’à 2013, le grand verglas de janvier 1998 avait été le sinistre le plus coûteux de l’histoire du pays et demeure le plus coûteux survenu au Québec pour les assureurs, avec plus de 2 G$ de réclamations. Le déluge au Saguenay en juillet 1996 a coûté 576 M$ en dommages assurés.
En moyenne durant la période 2011-2015, les dommages reliés aux catastrophes naturelles représentaient des coûts de 90 M$ par année. Pour la période suivante, de 2016 à 2020, la moyenne annuelle est plutôt de 222 M$ au Québec.
Dans l’histoire récente, l’année 2019 a été la plus coûteuse pour les assureurs au Québec, à 558 M$. Outre les inondations du printemps, un très grand nombre de réclamations ont été faites à la suite de la tempête de l’Halloween, cette même année.
Inondations
Au Québec, les inondations du printemps 2017 ont touché des assurés dans quelque 293 municipalités et plus de 10 000 réclamations ont été faites auprès des assureurs, lesquels ont remboursé des sommes de 136 M$ à leurs clients. Les gouvernements ont reçu plus de 6 000 réclamations et ont versé quelque 300 M$ pour les pertes non assurées.
En 2019, il y a encore eu plus de 10 000 réclamations provenant de 314 municipalités, lesquelles ont entraîné des indemnités de 186 M$ par les assureurs. Du côté du programme public d’aide financière, quelque 7 600 demandes lui ont été faites et des sommes de 390 M$ ont été versées.
« À Sainte-Marthe-sur-le-Lac, certains assureurs avaient probablement considéré qu’en raison de la présence de la digue, cette région n’était pas une zone inondable. Ils le considèrent depuis ce temps-là », explique Pierre Babinsky.
Le programme du ministère de la Sécurité publique vise l’indemnisation de certains biens essentiels tout en tenant compte de l’assurance privée détenue par le sinistré. Les biens endommagés qui ne sont pas admissibles à un remboursement par le programme gouvernemental pourront être réclamés à l’assureur.
« Pour établir une prime, l’assureur doit être en mesure de déterminer quels seront les sinistres dans l’année à venir, et auparavant, il n’avait pas les données qui lui permettaient de bien évaluer ce risque », précise M. Babinsky aux chercheurs membres du RIISQ.
Avenant inclus
En 2017, environ deux mois avant les inondations, quatre assureurs du Québec avaient inclus la protection pour les débordements de cours d’eau dans les polices des assurés qui habitent dans des régions à faible risque et qui détenaient déjà la protection contre les refoulements, et ce, la plupart du temps sans frais additionnels. Désormais, une dizaine d’assureurs ont inclus cet avenant.
En 2020, environ 46 % des assurés détenaient l’avenant pour le débordement d’un cours d’eau. Cependant, contrairement à la limite de la garantie qui s’applique pour la protection contre les incendies, les protections contre les inondations comprennent des limites variant de 10 000 $ à 50 000 $.
La majorité des détenteurs de cette garantie ont une limite située entre 10 000 $ et 25 000 $. La Sécurité publique couvre la différence qui n’est pas couverte par l’assureur, lequel est toujours le premier payeur.
Prime et coût de sinistre
Pour 60 % des détenteurs de la garantie contre les inondations, la prime équivaut à moins de 100 $ par année, indique Pierre Babinsky. Quelque 30 % paient entre 101 $ et 300 $, tandis que pour les autres, la facture peut grimper à 1 000 $ par année. Dans certains cas, la fourchette des limites de la garantie est plus élevée, car l’assureur couvre l’édifice pour sa pleine valeur.
Au Québec en 2021, environ 7,5 % des propriétés ne sont pas admissibles à cette garantie, étant situées dans les zones à récurrence d’inondations de 0-20 ans, voire 0-100 ans.
En 2019 pour les sinistres reliés au débordement d’un cours d’eau, le coût moyen de la réclamation était de 26 685 $, en hausse de 87 % comparativement à l’année précédente.
En 2020, le coût moyen de sinistre relié au débordement de cours d’eau avait baissé à 11 416 $, une baisse de 57 % comparativement à 2019.
Le coût moyen du sinistre en assurance habitation, pour tous les types de dégâts d’eau, est passé de 9 732 $ en 2016 à 11 875 $ en 2020, une variation de 12,1 % durant cette période.
Enjeux en habitation
Plusieurs enjeux sont soulevés par le risque d’inondations en assurance habitation, poursuit M. Babinsky. Pour les propriétés situées dans les zones à haut risque, les assureurs estiment qu’il faut un partage de risque avec les autres preneurs, soient les consommateurs et les gouvernements.
« Même si on voulait assurer les 5 à 10 % des propriétés les plus à risque, les primes seraient exorbitantes pour le consommateur. Dans leur cas, évaluer le risque à long terme demeure un exercice délicat », dit-il.
La vétusté des infrastructures est un autre problème. Sur les quelque 500 M$ payés par les assureurs chaque année au Québec en lien avec les dommages causés par l’eau, environ 300 M$ sont attribuables au refoulement d’égout causé par des infrastructures municipales qui ne suffisent pas à la tâche, rapporte Pierre Babinsky.
En 2013, la pluie diluvienne qui avait frappé à Toronto avait causé des réclamations de près de 1 G$ en une seule journée, principalement en raison de l’incapacité des infrastructures à absorber une telle quantité de précipitations.
Après les inondations de 2019, le gouvernement du Québec a resserré les règles en matière de construction ou de reconstruction en zones inondables, ce qui a été accueilli favorablement par les assureurs, souligne-t-il.
Cartographie
Enfin, la cartographie des zones inondables demeure de qualité inégale selon les différentes régions et même d’une province à l’autre. Or, cela demeure le principal intrant dont les assureurs ont besoin pour bien estimer le risque d’inondations et le tarifer.
Les prévisions sur la récurrence des inondations pourraient ne plus être à jour dans 10 ou 20 ans. « On manque encore d’information sur les risques réels et précis des changements climatiques et leur impact sur les inondations », dit-il.
Les assureurs manquent aussi de données sur l’identification des zones les plus propices à la création d’embâcles.
Enfin, les assureurs manquent également d’information sur la vulnérabilité des bâtiments : points d’entrée de l’eau dans la propriété, le type de fondation, la fenestration au sous-sol, la présence d’un garage, etc. Certains assureurs utilisent l’application Street View de Google pour obtenir ces données, car ils ne peuvent envoyer des gens inspecter chaque bâtiment pour lequel une proposition est soumise.
Les assureurs sont forcés d’obtenir des cartes produites par les firmes privées, mais là encore, la qualité est inégale.
Groupe de travail
Le BAC participe aux travaux du groupe de travail sur l’assurance inondation et la relocalisation créé en 2020 par le gouvernement fédéral. L’ébauche finale du rapport est en cours de révision, selon Pierre Babinsky. Le programme national serait par la suite annoncé et devrait permettre de couvrir la très large majorité des propriétés.
Plus de 3,3 millions de Canadiens habitent dans une plaine inondable de récurrence de 100 ans. Ces gens peineront toujours à trouver de l’assurance. Le coût moyen pour remettre en état un sous-sol inondé est de 43 000 $, rapporte M. Babinsky.
Au Québec, sur 1,7 million d’habitations, environ 340 000 sont considérées à risque d’inondation fluvial ou pluvial. Dans ce groupe, 56 000 propriétés sont exposées aux deux risques.
L’utilité des infrastructures vertes devra être analysée afin de déterminer si elles permettent de réduire l’exposition au risque d’inondation en milieu urbain. Pierre Babinsky fait un parallèle avec l’assurance automobile et l’installation par les constructeurs de systèmes d’antidémarrage sur les véhicules. Les assureurs ont attendu d’avoir des données sur leur utilité avant de revoir la tarification.
« Quand on a vu qu’ils permettaient effectivement de réduire le nombre de vols, on a pu inclure cela dans nos estimations du nombre de réclamations. La tarification du risque a été ajustée en conséquence. Ce sera la même chose pour les infrastructures vertes », conclut-il.