Dans un dossier opposant le gouvernement à divers entrepreneurs responsables des travaux sur la route 185 à Dégelis, la Compagnie d’assurance Travelers du Canada est forcée par la Cour d’appel du Québec à défendre l’une des entreprises défenderesses. 

Le 16 août dernier, le plus haut tribunal de la province a rejeté les demandes de Travelers en lien avec une requête de type Wellington. En mars 2021, la Cour supérieure du Québec avait partiellement accueilli cette requête faite par Gervais Dubé inc. et ordonné à l’assureur de prendre à sa charge la défense de cette entreprise dans le cadre de la demande principale. 

Le juge Daniel Beaulieu avait aussi ordonné à l’assureur de rembourser les frais de justice, honoraires et frais d’expertise engagés jusqu’à ce jour. Le tribunal a cependant rejeté la demande de l’entreprise qui voulait être représentée par les avocats de son choix.

De plus, le jugement de première instance rejetait la demande de type Wellington dirigée contre les assureurs RSA Canada et Aviva Canada, lesquels avaient couvert les activités de l’entrepreneur général sur la même route entre 2003 et 2013. La Cour d’appel confirme cette ordonnance rendue par le juge de première instance. 

Le contexte 

Depuis le 10 mai 2016, la Procureure générale du Québec poursuit plusieurs compagnies en lien avec des problèmes survenus lors des travaux d’élargissement de la route 185 pour la transformer en autoroute 85 et assurer une meilleure liaison de la route Transcanadienne entre le Québec et le Nouveau-Brunswick.

Le juge Beaulieu rappelle le contexte du contrat intervenu entre le ministère des Transports du Québec et l’entrepreneur qui s’engage à réaliser, à titre de maître d’œuvre, différents travaux de terrassement et de structure de chaussées, d’aménagement paysager et d’éclairage. Le litige vise plus particulièrement les murs de soutènement de la route 185 à Dégelis.

Ces murs sont réalisés par la co-défenderesse Béton Provincial suivant les plans et devis de l’entrepreneur à partir de septembre 2004. 

Dès l’hiver 2005, des fissures sont constatées sur l’un des murs de soutènement de l’ouvrage. Des déformations sont constatées à deux endroits sur le même mur en octobre 2011. Au fil des ans se poursuivent des inspections et interventions, jusque dans la nuit du 12 mai 2013, où une partie du mur s’effondre sur environ 20 mètres. Cette partie de l’ouvrage ne comportait aucune déformation préalable. 

La poursuite du gouvernement touche l’entrepreneur général, Béton Provincial et les consultants chargés de la conception et de la surveillance de l’ouvrage, pour une somme de plus de 6 millions de dollars (M$). L’entrepreneur Dubé produit une défense dans laquelle elle nie toute responsabilité. Dès novembre 2017, elle entreprend une demande en garantie contre ses assureurs. 

Les assureurs 

Aviva fournissait la couverture en responsabilité civile entre octobre 2003 et mars 2011, et cette garantie a été sous la responsabilité de l’assureur RSA durant les deux années suivantes. Travelers couvre ce risque depuis le 31 mars 2013. Les deux premiers indiquent qu’ils ne sont pas concernés par la procédure introductive de l’instance, car leurs polices n’étaient plus en vigueur quand le sinistre à l’origine du litige est survenu en mai 2013. 

De son côté, Travelers oppose deux moyens à la requête de type Wellington. Selon elle, avant l’entrée en vigueur de sa police, l’entrepreneur Dubé savait que le dommage matériel était survenu ou avait commencé à survenir. L’assureur se réfère aux allégations qui traitent des fissures constatées dès 2005. 

De plus, l’assureur souligne que son contrat comprend une exclusion à l’égard des fournisseurs de l’entrepreneur. Le juge de première instance rejette cet argument en indiquant qu’il n’est pas possible, à ce stade de l’instance, de vérifier le statut de Béton Provincial comme fournisseur ou sous-traitant. 

L’article 2503 

Tant la Cour supérieure que la Cour d’appel rappellent la règle édictée à l’article 2503 du Code civil concernant l’obligation de l’assureur de défendre l’assuré, sauf s’il est établi clairement que la réclamation ne sera pas couverte par le contrat. 

En première instance, le juge Beaulieu résume les clauses pertinentes des contrats des trois assureurs. Il rappelle ensuite que les événements rapportés dans la poursuite ont eu lieu dès 2005, mais que la réclamation de la demanderesse ne porte que sur l’effondrement du mur de soutènement survenu en mai 2013.

La poursuite a été déposée juste avant l’expiration du délai de prescription, en mai 2016. L’avocate de la Procureure générale a d’ailleurs confirmé en Cour supérieure que la réclamation ne vise que les dommages et les travaux d’urgence reliés à l’effondrement de ce mur. 

Aucune déformation préalable à l’effondrement n’avait été constatée dans la section de 20 mètres du mur qui a été endommagée, sur un mur qui s’étend sur 482 mètres et demi. 

La Cour d’appel 

La juge Christine Baudouin a rédigé le jugement d’une vingtaine de pages au nom de ses collègues de la Cour d’appel, les juges François Pelletier et Jocelyn Rancourt

Le 25 mai 2021, la juge Gagné déférait la requête de Travelers à la Cour pour que celle-ci décide à la fois de la permission d’en appeler et, le cas échéant, du fond de l’appel.

Travelers faisait aussi appel de la décision d’exclure les deux autres assureurs de la requête de type Wellington. Au soutien de sa demande, l’assureur soutient que le jugement entrepris « lui cause un préjudice irrémédiable puisqu’un éventuel jugement au fond ne pourra réparer le préjudice qu’elle s’apprête à subir du fait de devoir, dès à présent, assumer seule et à ses frais » la défense de l’entrepreneur Dubé.

La Cour d’appel rejette les deux moyens utilisés par Travelers pour soutenir sa demande de permission d’en appeler. Selon elle, l’assureur « ne possède pas l’intérêt juridique suffisant pour porter en appel le volet du jugement rejetant la requête Wellington contre RSA et Aviva ». 

Les principes de Wellington 

Le tribunal rappelle d’abord les principes qui régissent une requête de type Wellington. « L’obligation de défendre de l’assureur est autonome de celle d’indemniser », lit-on au paragraphe 24. Ces deux obligations ont leurs conditions propres pour entrer en vigueur et s’exécutent à des périodes différentes.

L’assuré n’a pas à attendre le dénouement de l’affaire au fond pour obtenir le paiement des frais de défense par l’assureur. S’il existe la possibilité que le recours contre lui relève de la police d’assurance, il peut déposer sa demande visant à obliger l’assureur à assumer sa défense. 

La découverte subséquente de faits donnant à croire que la garantie ne couvre pas la réclamation est susceptible de remettre en cause l’obligation de défendre, lit-on au paragraphe 31. Un juge pourra alors libérer l’assureur de son obligation. L’obligation est ponctuelle, elle n’est pas statique et peut évoluer dans le temps, ajoute le tribunal en citant la doctrine sur le sujet. 

Il peut arriver des cas où l’assureur doit assumer son obligation de défendre même si, au terme de la preuve complète, l’obligation d’indemniser n’est pas retenue en raison d’une exclusion ou d’une autre clause de la police. La situation sera différente si l’assuré a fait de fausses déclarations à l’assureur ou qu’il est question de fraude, ce qui peut entraîner l’annulation pure et simple de la police. 

Le tribunal estime que la permission d’en appeler sur un jugement qui accueille une requête de type Wellington ne devrait être accueillie que si la décision en première instance est entachée d’une faiblesse apparente. Cette démonstration incombe à l’assureur et, dans le présent dossier, Travelers n’y est pas parvenu, lit-on au paragraphe 60. 

« Le sinistre en cause n’est peut-être pas aussi facilement identifiable que pourrait le laisser entendre le juge de première instance », indique la Cour d’appel. Sans se prononcer sur le sujet, le tribunal cite l’exposé de l’entrepreneur : « Le fait que la véritable nature de la réclamation de la Procureure générale soit limitée ou non aux dommages découlant de l’effondrement partiel n’a aucun impact quant à la possible couverture d’assurance émise par Travelers. » 

Quant à la requête de Travelers sur la partie du jugement de la Cour supérieure qui excluait l’obligation de défendre des assureurs RSA et Aviva, la Cour d’appel écrit : « Le forum actuel n’est pas approprié afin de tenter de régler un débat qui ne semble intéresser que les assureurs. Travelers profite de la requête de type Wellington instituée par Gervais Dubé inc. pour tenter d’impliquer dès à présent Aviva et RSA dans le litige. » 

Dans le cadre de la présente permission d’appeler et l’intérêt juridique de Travelers, la Cour d’appel estime que seul l’assuré Gervais Dubé inc. possède ce droit. « L’obligation de défendre découle de sa police d’assurance et est autonome de celle qu’il pourrait entretenir avec d’autres assureurs. »

L’assuré étant satisfait du jugement obtenu en première instance, il ne le porte pas en appel. Travelers pourra toujours tenter de se faire rembourser les frais de défense par les autres assureurs s’il est déterminé que leur police couvrait aussi le risque, mais cela ne peut se faire dans le cadre de l’appel sur la requête de type Wellington, conclut le tribunal.