Au Québec, les clauses d’un contrat d’assurance ne deviennent pas nulles parce qu’il a été vendu uniquement en anglais malgré les dispositions de la Charte de la langue française, vient de rappeler la Cour supérieure dans un jugement rendu le 22 juillet. En cette matière, tout est affaire de convenance entre les parties.
Dans cette cause, un assuré (G.M.) était propriétaire d’un bâtiment et de deux résidences dans la région de Portneuf. En 2018, lui et son fils transforment un appartement et une salle de rangement afin d’y cultiver du cannabis en toute légalité. Ils obtiennent d’ailleurs les permis pour se livrer à cette culture.
Avec l’aide d’un courtier hypothécaire, ils obtiennent un prêt privé de 300 000 $. Le prêteur leur impose toutefois une condition : les lieux doivent être assurés.
À la recherche d’un assureur
Le duo s’adresse à cette fin à une courtière en assurance de dommages. Elle sollicite plusieurs compagnies, mais la culture du cannabis étant nouvelle à cette époque, aucune compagnie québécoise n’accepte de couvrir ce type de risque.
En poursuivant ses recherches, elle obtient une information que Arch Insurance, un assureur dont les bureaux se trouvent aux Bermudes, pourrait répondre à ses besoins et accepterait de le prendre comme client.
Contrat uniquement en anglais
Les parties parviennent à un accord à la fin 2018. Mais comme l’assureur provient d’un pays anglophone, son contrat est uniquement rédigé en anglais. L’assuré en est d’ailleurs informé de façon on ne peut plus claire par sa courtière. Cette dernière insiste sur le fait qu’aucune version française n’existe, mais l’homme, fera remarquer la Cour, ne s’en formalise pas.
« G. M. ne demande pas la nullité du contrat d’assurance, malgré son incompréhension alléguée, écrit la juge Lise Bergeron. Il ne proteste pas alors que le contrat est rédigé en anglais. Il accepte, lors d’une conversation téléphonique, cette rédaction anglaise et reçoit, par son mandataire, toutes les explications nécessaires. »
Le bâtiment détruit par un incendie
Mais l’année suivante, un incendie détruit le bâtiment. Arch Insurance lui verse 1 267 138 $. Les assurés réclament plutôt une indemnité basée sur une valeur à neuf et de ses biens et réclament 1 495 119 $ supplémentaires.
En justice, ils soutiennent que seules les pages de conditions particulières de la police leur ont été transmises et l’ont été uniquement en anglais.
Or, au Québec, un contrat d’assurance est considéré comme un contrat d’adhésion. L’article 55 de la Charte de la langue française indique ceci : « Le contrat d’adhésion, les contrats où figurent des clauses types imprimées ainsi que les documents qui s’y rattachent sont rédigés en français. Ils peuvent être rédigés dans une autre langue si telle est la volonté expresse des parties. »
Une entorse qui n’entraîne pas la nullité du contrat
« Il ne fait aucun doute, écrit la juge Bergeron, que la rédaction en anglais du contrat en cause viole cette obligation légale. »
Mais cela n’a pas pour effet de rendre la police caduque.
« Il ne s’ensuit pas nécessairement que la sanction de cette contravention est la nullité d’une clause du contrat, dit-elle. En effet, le législateur n’a pas conclu à la nullité de stipulations contraires à l’article 55 de la Charte comme il l’a prescrit à d’autres dispositions de la loi. »
Acceptation expresse de l’assuré
Or, même si lors de l’audience, l’assuré affirme ne pas comprendre l’anglais, la preuve démontre une acceptation expresse de sa part de la seule version anglaise. La courtière lui a fourni toutes les explications et son client n’a démontré aucun préjudice particulier du fait que la police soit uniquement rédigée dans la langue de Shakespeare. Les nombreux enregistrements téléphoniques à cet effet sont sans équivoque.
C’est uniquement lors du litige qui survient avec l’assureur après le sinistre que la langue du contrat fait surface. L’assuré l’invoque pour tenter de faire annuler une disposition sous prétexte qu’elle était en anglais.
Le tribunal estime que si la nullité devait être prononcée, elle devrait l’être pour le contrat entier et non pour une seule de ces clauses, puisque c’est tout le contrat qui est rédigé en anglais.
La preuve n’a pas établi le degré de connaissance de l’anglais de l’assuré. S’il était parfait bilingue, souligne la juge, il répugne au bon sens et à la bonne foi d’annuler une seule partie du contrat, celle qui lui est défavorable. Dans l’hypothèse où sa compréhension avait été plus limitée, la proposition d’assurance l’informait, pour l’essentiel, du contenu de la clause contestée.
La preuve ne permet pas donc de conclure à l’incompréhension des clauses. En conséquence, ses prétentions à propos de la langue de rédaction de la police ont été rejetées.
La conclusion du dossier
L’assuré réclamait une indemnité de valeur à neuf de 1 487 000 $. Or pour l’obtenir, il devait rebâtir ses installations dans un délai raisonnable. Cinq ans plus tard, aucune reconstruction n’avait été entreprise et il n’y avait toujours pas de projet concret sur la table.
Le Tribunal en conclut qu’à défaut d’avoir reconstruit dans un délai acceptable, les demandeurs n’ont droit qu’à la valeur dépréciée du bâtiment, soit celle déjà versée par l’assureur.
L’histoire se termine avec une condamnation, mais des assurés : Arch Insurance leur reproche d’avoir provoqué des retards d’audience, des délais, des coûts d’expertise et des honoraires supplémentaires et leur réclame une indemnité pour tous les frais encourus. La Cour lui donne raison et les condamne à verser 25 000 $ à l’assureur, plus les intérêts, en raison de leurs abus et de leur mauvaise conduite durant la cause.