La société d’assurance Beneva annonce son intention de fusionner avec la plus ancienne mutuelle d’assurance de dommages au Canada, Gore Mutual. Le projet a été rendu public le 21 janvier 2025 et devrait se concrétiser en janvier 2026, une fois approuvé par leurs membres respectifs et les autorités réglementaires.
Beneva, qui est déjà la plus grande mutuelle d’assurance du Canada, pourra ainsi prendre davantage d’expansion dans le marché de l’Ontario et ailleurs au pays. Gore Mutual a été fondée en 1839 par des commerçants du district de Gore, dans la municipalité de Cambridge, en réaction à un incendie important dans leur communauté.
Cambridge est à mi-chemin entre Kitchener et Hamilton, à l’extrémité au sud-ouest du lac Ontario. La mutuelle exploite aussi des établissements à Toronto et à Vancouver, en Colombie-Britannique. Elle détient des permis d’exploitation dans toutes les provinces, sauf au Québec.
La plus ancienne mutuelle d’assurance au pays est un assureur généraliste présent dans les lignes d’assurance de dommages pour les particuliers et les entreprises. La totalité du volume de primes de Gore Mutual provient du réseau de courtage.
Une fois le projet de fusion approuvé, l’équipe de Gore Mutual deviendra une filiale à part entière d’Unica, qui compte environ 400 employés et dessert le marché hors Québec en assurance de dommages.
Le siège social d’Unica, filiale de Beneva, est à Mississauga (Ontario). À plus long terme, la nouvelle entité prendra le nom de Beneva.
Gore Mutual compte 600 employés et offre des produits d’assurance de dommages à environ 300 000 membres et clients, tant des particuliers que des entreprises. Elle détient des actifs d’environ 1,8 milliard de dollars (G$).
Avec les 5 500 employés de Beneva, qui compte 3,5 millions de membres et de clients, la nouvelle entité comptera donc 6 100 employés et 3,8 millions de membres et clients. Les actifs de Beneva après la fusion totaliseront 27 G$.
Une fois le projet approuvé lors de leur assemblée générale respective, les membres de Gore Mutual rejoindront les membres de Beneva en tant que membres de l’entité fusionnée.
Processus plus long
Le jour même de l’annonce, le PDG de Beneva, Jean-François Chalifoux était à Québec pour discuter avec les journalistes du Québec. Il se rendra en Ontario la semaine prochaine.
En entrevue avec le Portail de l’assurance, M. Chalifoux explique que la tenue imminente d’un scrutin au parlement fédéral retarde un peu le processus de fusion, comparativement à ce qu’il s’est passé en 2020, quand les mutuelles SSQ et La Capitale ont annoncé leur intention de se fusionner. « On pense qu’au plus tôt le premier janvier 2026, cette transaction-là se clôturera », dit-il.
La mutuelle ontarienne est enregistrée sous une charte fédérale et le projet de regroupement devra être approuvé par le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) et le Bureau de la concurrence du Canada. La fusion devra être confirmée par un projet de loi privé à être adopté par le Sénat canadien.
Pour Beneva, les mêmes approbations devront venir de l’Autorité des marchés financiers et par l’adoption d’un projet de loi privé par l’Assemblée nationale du Québec.
« Il y a un bout de l’agenda qu’on ne contrôle pas, ajoute M. Chalifoux. On va travailler avec ce calendrier. Cela dit, on n’est pas très inquiets. C’est une bonne nouvelle pour les Canadiens et les Canadiennes, c’est une excellente nouvelle pour le Québec. On pense que les différentes autorités vont vouloir collaborer au projet. »
Valeurs communes
Jean-François Chalifoux souligne les origines de la fondation de Gore Mutual, qui sont assez similaires à celle des deux mutuelles qui ont joint leurs forces en 2020 pour créer Beneva. « C’est très intéressant. On a une mutuelle des commerçants d’un côté. De l’autre, on a une mutuelle toute jeune, mais qui est issue de la fusion de deux mutuelles, soit une mutuelle des travailleurs ouvriers de la basse-ville de Québec qui s’étaient unis pour s’offrir des services de santé, et la mutuelle des employés civiques créée par des fonctionnaires de l’État québécois qui voulaient s’entraider les uns les autres à la suite d’un décès », indique-t-il.
Les membres à l’origine des trois mutuelles avaient des intérêts complémentaires, mais « ils partagent des valeurs communes qu’on peut associer à l’équité, à l’égalité, à la solidarité, à l’entraide », souligne M. Chalifoux. « Ces valeurs-là, en 2025, sont tout aussi importantes qu’à l’origine de nos deux organisations. On est bien fiers de venir solidifier ainsi le mouvement mutualiste canadien par cette annonce-là. »
Quand la fusion qui a mené à la création de Beneva a été annoncée le 28 janvier 2020, ses promoteurs visaient déjà à mieux positionner l’assureur sur le marché canadien. « On souhaitait que Beneva puisse être une terre fertile et accueillante pour d’autres mutuelles plus petites qui allaient éventuellement considérer que la taille devient un atout pour faire face aux défis actuels dans nos marchés respectifs », poursuit M. Chalifoux.
Même si la filiale Unica est touchée par le projet de fusion, les activités de L’Unique Assurances générales au Québec ne sont pas touchées et cette filiale sera maintenue, précise le PDG de Beneva. « Hors Québec, Beneva transige avec un réseau externe de distribution, que ce soit des courtiers d’assurances de personnes, des courtiers d’assurances de dommages, des grossistes, des tiers payeurs en assurance collective, des actuaires-conseils, et des courtiers spécialisés en assurance collective », indique M. Chalifoux.
Le PDG de Beneva s’attend à une réponse enthousiaste du réseau de courtage à la suite de l’annonce. Au moment de notre entretien, les rencontres se poursuivaient avec les employés. M. Chalifoux se dit convaincu que les membres du personnel de Gore Mutual seront heureux de se joindre à une plus grande entreprise. « On l’a vécu chez Beneva, il n’y a pas si longtemps. Ça représente des opportunités de croissance et de développement », dit-il.
Données
En 2023, les revenus d’assurance de Gore Mutual ont totalisé 699,3 millions de dollars, en hausse de 11 % comparativement à l’année précédente, où ces revenus totalisaient 636,7 M$. Ces chiffres ont été fournis au Portail de l’assurance par MSA Research.
Avec près de 8 milliards de primes totales, la fusion consolidera la position de Beneva en septième place des assureurs au Canada. En assurance de dommages, Beneva se positionnera au 10e rang au Canada et en 3e place comme assureur de dommages au Québec.
Toujours selon les chiffres fournis à MSA, Gore Mutual a montré des résultats déficitaires en 2022 et 2023, avec un ratio combiné dépassant la barre des 100 %. Jean-François Chalifoux ne prévoit aucun problème.
« On n’a absolument aucune préoccupation à cet égard-là. Gore est en mode croissance, il y a un coût à cela. Gore va continuer d’être en mode croissance, mais dans une famille beaucoup plus grande avec des moyens à sa disposition », dit-il.
Chez Gore
Le Portail de l’assurance s’est aussi entretenu avec Andy Taylor, président et chef de la direction de Gore Mutual. Il explique avoir commencé à échanger avec Jean-François Chalifoux il y a environ deux ans, car il voulait en savoir davantage sur les raisons du succès de Beneva.
« Nous avons observé Beneva de l’extérieur et nous avons pensé qu’il s’agissait d’un excellent exemple de ce que nous souhaitions accomplir à l’avenir : une nouvelle image de marque passionnante pour deux entreprises dont les valeurs sont ancrées dans la protection des personnes. Notre entreprise est “une assurance qui fait du bien”. Nous croyons que les mutuelles peuvent avoir un impact plus important dans nos communautés et au Canada, » indique M. Taylor.
Selon lui, la fusion de deux mutuelles est d’abord un partage de valeurs bien plus qu’une transaction financière. « Le fait que nous puissions fonctionner comme une filiale distincte nous permet d’avoir une continuité au sein de notre équipe de direction, de notre conseil d’administration et de nos employés », dit-il.
« Nous avons un engagement envers la communauté dans laquelle nous évoluons. Nous prévoyons d’accroître notre effectif et de redonner à la main-d’œuvre. Il y avait tout un ensemble de facteurs qui rendaient cette opportunité différente des autres que nous explorions. Cela semblait tout simplement parfait », souligne Andy Taylor.
« Même si nous avions connu des succès par le passé, nous pensions que pour prospérer à l’avenir en tant que société d’assurance de dommages, nous devions avoir une envergure, une diversification et un accès au capital. Même si nous étions une entreprise prospère, nous étions toujours un acteur régional de taille moyenne et nous étions en concurrence avec les plus grands du secteur, ce qui nous rend quelque peu uniques », explique le PDG de Gore Mutual.
En croissance
Depuis 2020, la mutuelle ontarienne avait accompli des changements majeurs dans ses activités. « Au cours des cinq dernières années, nous avons complètement reconstruit notre entreprise. Ce que nous avons accompli est remarquable. Aujourd’hui, nous avons des entreprises technologiques de premier plan dans le secteur. Nous avons doublé la taille de notre effectif. Nous avons ouvert un bureau dans la région du Grand Toronto et nous nous sommes développés. Nous avons fait croître l’entreprise d’environ 40 %. Même avec ce succès, cette année, nous aurons un volume de primes d’environ 700 millions de dollars. Nous restons toujours un acteur régional de taille moyenne », indique M. Taylor.
Quelque 200 M$ proviennent de l’assurance des entreprises. Environ le tiers du volume de primes est issu de l’assurance automobile des particuliers, précise-t-il. Avec le volume d’Unica, ça représente près d’un milliard en volume de primes, et plus de 3 G$ en primes d’assurance de dommages pour l’ensemble du groupe.
« Au cours des cinq dernières années, nous avons développé d’excellentes relations avec tous les grands courtiers nationaux partenaires, et ils recherchent des partenaires mutuels vraiment solides pour les aider à se développer. Et ils veulent offrir le choix à leurs clients », ajoute Andy Taylor.
Les résultats d’assurance de 2023 ont été influencés par les feux de forêt, un risque particulier dans l’Ouest du pays où Gore est aussi présente. Et en 2024, l’ensemble de l’industrie a été touchée par des sinistres catastrophiques dont la facture dépasse les 8 G$.
« La réponse est simple : cela fait partie de notre réflexion stratégique. Nous pensons que l’échelle et la diversification sont essentielles. Nous sommes particulièrement attirés par Beneva, qui fait partie de ce modèle, car Beneva est diversifiée dans le domaine de l’assurance de dommages et également dans d’autres domaines », poursuit Andy Taylor.
*Avec la collaboration de Donna Glasgow.