Lorsqu’il y a un incendie dans un immeuble et une réclamation, les professionnels qui analysent le dossier doivent travailler avec une grande rigueur afin de déterminer l’origine et la cause du sinistre. Parfois, le sinistre est associé à une intention frauduleuse et le dossier de l’expert en sinistre doit être étoffé pour atteindre le standard requis par les tribunaux, explique Alain Harvey, président du Groupe Arson

Alain Harvey

Le 12 novembre dernier à Bécancour se tenait la 6e édition du Congrès sur la détection des fraudes en assurance. Le Portail de l’assurance a pu y assister grâce à l’invitation des organisateurs de Fraudeexpert.ca. Alain Harvey est président sortant de la section Québec de l’Association internationale des enquêteurs en incendie criminel. Il détient diverses certifications qui lui permettent d’offrir en français le cours d’enquêteur en incendie de la NAFI, et qui offre le diplôme de Certified Fire and Explosion Investigator (CFEI). 

Spécialisé dans l’enquête en incendie criminel, il a commencé sa carrière comme policier, et il a également servi avec les Casques bleus de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Son groupe a reçu le prix Nobel de la Paix en 1988. Il a été éditeur de nombreux magazines spécialisés reliés à la lutte contre le crime et à la prévention.

Auteur d’un ouvrage sur la méthode scientifique associée à l’enquête sur les incendies, M. Harvey en prépare un autre sur l’entrevue qui devrait paraître en 2026. Cofondateur de Fraudeexpert.ca, il a aussi produit la série Enquêtes Incendies diffusée sur Canal D en 2021. Les huit épisodes se trouvent sur YouTube via la chaîne du diffuseur Noovo

Identifier le secteur d’origine du sinistre 

« L’endroit où il y a le plus de dommages n’est pas nécessairement le lieu d’origine de l’incendie », indique M. Harvey. La charge calorifique associée au contenu présent dans une pièce peut contribuer à alimenter le feu, et l’apport d’oxygène est l’autre facteur contributif qu’il faut surveiller. 

Il suggère aux experts en sinistre de se méfier d’un rapport où l’auteur rapporte les endroits où il y a le taux le plus élevé et le moins élevé de carbonisation. « La première règle dans l’enquête incendie, c’est d’identifier le secteur d’origine du feu. Si tu n’as pas ciblé ça, tu ne pourras jamais déterminer la cause de l’incendie », souligne-t-il. Il est donc faux d’associer l’origine du feu à l’endroit le plus carbonisé.

L’opportunité 

Guy Bérubé

La fraude est généralement préméditée, mais elle peut aussi découler d’une opportunité qui se présente, selon M. Harvey. Dans le second cas, l’exemple le plus classique est la réclamation exagérée sur le contenu de l’immeuble à la suite d’un sinistre. Les blessures suspectes qui ne guérissent pas sont aussi très fréquentes en assurance invalidité, confirme son collègue Guy Bérubé

Il n’est pas toujours simple de démontrer l’existence d’une fraude, reprend le président du Groupe Arson. Les participants dans l’assistance mentionnent le manque de preuve, de temps, de volonté et les outils d’enquête inadéquats qui peuvent expliquer la difficulté à débusquer les fraudeurs. « L’élément d’intention qui permet de confirmer le délit demeure la preuve la plus difficile à faire », note M. Harvey.

Par manque de temps, des enquêtes sont menées à distance ou par téléphone, ce qui n’est pas recommandé dans des dossiers où la perte est majeure. L’expert doit se rendre sur les lieux et faire ses propres observations sur la scène du sinistre. Sinon, il doit se fier à la preuve matérielle qui a été prélevée par d’autres, et le dossier peut être incomplet.

La peur d’avoir à confronter l’assuré est souvent présente chez l’expert en sinistre, voire celle de contredire un collègue ou un autre professionnel qui ne croit pas qu’il arrivera à prouver l’existence d’une fraude devant le tribunal, poursuit Alain Harvey. 

Prouver l’intention 

La déclaration mensongère est généralement un indicateur de mauvaise foi. Il donne en exemple la déclaration de l’assuré racontant les circonstances de l’incendie et dont les propos ne correspondent pas aux faits établis par l’enquête. 

Alain Harvey cite le cas d’un producteur laitier qui allait se retrouver seul en raison de la retraite de son père. Mis devant les contradictions flagrantes de son témoignage, il a fini par admettre que le feu qui avait ravagé la ferme allait lui permettre de se procurer des robots de traite et de maintenir sa production même en se retrouvant seul à gérer l’exploitation. 

En droit pénal, il est nécessaire d’associer le préjudice et l’intention malhonnête pour obtenir une condamnation. L’incendie qui trouve son origine par un article de fumeur, est-il accidentel en raison d’une négligence? Ou est-ce délibéré? Pour démontrer l’existence d’une fraude, il faut alors mener des entrevues auprès des témoins. L’expert qui n’a pas suivi de formation à cet égard peut mal diriger l’entretien.

« Je commence toujours par la même phrase : racontez-moi dans vos mots ce que vous savez de l’événement. Après cela, je travaille à partir de ce que la personne me raconte », explique Alain Harvey. On peut ensuite comparer la version du témoin avec celle des autres. Les entrevues d’enquête ne doivent jamais être menées en tandem; on doit parler à la personne assurée et mener des entrevues séparées avec les autres membres de la famille. 

Les éléments du sinistre peuvent mener l’enquêteur à soupçonner une fraude, mais la seule manière de démontrer l’intention malhonnête est de mener des entrevues et d’écouter la version du sinistre que les témoins racontent, insiste Alain Harvey.

Une méthode scientifique 

La norme NFPA 921 de l’Association nationale de protection contre les incendies (NFPA) des États-Unis énumère les règles à adopter lors d’une enquête en incendie. Il arrive parfois que l’immeuble a été démoli avec une pelle mécanique et que l’expert arrive sur les lieux par la suite.

« Si la première chose que fait l’expert est de se diriger vers le panneau électrique, posez-vous des questions », souligne M. Harvey. Certains experts hésitent même à éliminer la défaillance électrique lorsqu’ils n’ont pas trouvé la cause de l’incendie.

Dans un dossier où il est intervenu avec M. Bérubé, des photos prises par des témoins montraient les débuts de l’incendie. Malgré cela, l’ingénieur maintenait la possibilité d’une défaillance électrique, sans en établir la preuve. « La jurisprudence des tribunaux est claire, il faut d’abord trouver l’origine de l’incendie avant d’en déterminer la cause », indique Alain Harvey. On peut déterminer l’origine d’un incendie à partir du témoignage d’une personne présente et qui a vu le feu à son démarrage. 

Si l’origine n’a pu être établie, la norme NFPA 921 indique que l’ensemble du bâtiment peut être considéré comme étant le secteur d’origine du feu. La cinétique de l’incendie, c’est-à-dire la manière dont le feu se propage, fait partie de la démarche méthodologique de l’enquêteur. Les sources possibles d’ignition doivent être identifiées et l’enquêteur peut les éliminer au fur et à mesure de ses recherches. 

Un véhicule incendié qu’on inspecte une fois qu’il a été remorqué à la fourrière ne dira pas grand-chose. L’enquêteur doit aller voir le site où l’incendie a eu lieu et y chercher de la preuve. Il raconte même un événement où il a ainsi trouvé un contenant avec du carburant laissé dans les environs du sinistre. « La scène de l’incendie parle », dit-il. 

Le mobile derrière l’acte frauduleux est généralement lié à une question financière. Mais la preuve du mobile n’est pas facile à faire non plus, selon M. Harvey. « Si on demande à un suspect pourquoi il a commis le méfait, souvent il ne le dit pas, car il a honte. Il avoue avoir posé le geste, mais il refuse de dire pourquoi. » La recherche du mobile permet de mieux comprendre le raisonnement qui a poussé la personne animée d’une intention malhonnête à commettre l’acte. 

Niveau de certitude 

Il y a trop souvent des dossiers où les conclusions des experts ne permettent pas d’établir une conclusion sur la cause d’un incendie. Le professionnel qui fait l’analyse d’une scène d’incendie doit seulement déterminer s’il s’agit d’un incendie volontaire. Il n’a pas à interroger les témoins, ce n’est pas son mandat, c’est celui de l’expert en sinistre, indiquent MM. Harvey et Bérubé.

« Il faut confier le bon mandat au bon expert », précise Alain Harvey. Une conclusion indéterminée n’est pas très utile à l’assureur. L’auteur du rapport doit être capable de faire la distinction entre la possibilité et la probabilité. La norme NFPA 921 précise la différence entre les deux.

S’il y a deux hypothèses, mais que l’une d’entre elles est la plus probable, l’expert est en mesure de privilégier celle-là. Il est plutôt rare que deux hypothèses aient le même niveau de certitude, selon Alain Harvey. « Si tu as suivi la méthode de la norme NFPA 921, tu ne peux pas arriver à un résultat comme ça », dit-il. 

Les faits ne peuvent pas être éliminés parce qu’ils ne correspondent pas à l’opinion que l’expert s’est faite durant son enquête. « Des faits peuvent disculper le suspect qu’on avait en tête. Il faut le dire dans notre rapport. Ce sera au tribunal d’en déterminer la valeur probante », dit-il. 

Pour n’importe quel type de fraude, si l’expert en sinistre peut énumérer les faits pertinents et établir leur importance dans le contexte de la réclamation, son rapport recevra l’accueil qu’il mérite. « On est là pour éclairer le procureur de l’assureur et le tribunal sur la décision à prendre », dit-il.

« Si l’opinion émise n’est basée que sur des soupçons, ce n’est pas de l’expertise, c’est écrit noir sur blanc dans la norme NFPA », et ce, peu importe qu’elle vienne du pompier, du policier ou de l’enquêteur, poursuit M. Harvey.

Toute hypothèse qui n’est pas vérifiable par les faits ou l’analyse n'a aucune raison d’apparaître dans un rapport d’expert. « Les suppositions, les phrases qui commencent par “je pense que...”, ça n’a pas sa place dans un rapport d’expert », dit-il. 

La technique d’entrevue 

Le reste de sa présentation a consisté à discuter sur le processus déductif qui s’enchaîne à partir d’une première photo, puis de plusieurs autres, pour en venir à émettre une hypothèse sur l’origine d’un sinistre. 

L’objectif était de mener une démarche d’enquête et d’interroger les témoins pour mieux comprendre ce que la scène du sinistre nous raconte. L’expert en sinistre doit améliorer sa technique d’entrevue, conclut-il. 

Une lecture a été chaudement recommandée un peu plus tard ce jour-là : Les Entrevues d’enquête – L’essentiel, sous la direction de Michel St-Yves, psychologue judiciaire à la Sûreté du Québec et enseignant à l’École nationale de police du Québec

Dans l’introduction à l’ouvrage, M. St-Yves rappelle les cinq règles fondamentales de toutes les entrevues d’enquête :

  • rester objectif; 
  • construire un rapport avec la source; 
  • écouter; 
  • garder une attitude professionnelle; 
  • savoir conclure. 

Extrait 

« L’objectif d’une entrevue d’enquête n’est pas seulement de faire parler un témoin, mais de s’assurer aussi que son témoignage puisse parler. Les témoignages mettent des mots sur des faits, leur donnent un sens et les rendent vivants. C’est à travers eux qu’on établit la vérité », écrit Michel St-Yves dans l’introduction du livre Les Entrevues d’enquête — L’essentiel