Selon l’économiste en chef de la Banque de développement du Canada (BDC), Pierre Cléroux, si le Canada semble avoir retrouvé la croissance qu’il connaissait avant la pandémie, cinq tendances définiront l’environnement d’affaires des PME dans les prochaines années, la plus importante étant la pénurie de main-d’œuvre. 

Dans le cadre de la Semaine de la PME de la BDC, M. Cléroux a présenté ses perspectives économiques lors d’une conférence en direct le 20 octobre. La discussion avec les participants et l’économiste était animée par la journaliste indépendante Diane Bérard

La croissance du PIB a ralenti au Canada après un très fort rebond dès l’automne 2020. « Nous avons même été surpris de voir une croissance négative de -1,1 % au deuxième trimestre de 2021 », note M. Cléroux.
 

Malgré cela, il y a de bonnes nouvelles à l’horizon, notamment le rétablissement du marché de l’emploi. Le nombre de Canadiens ayant un emploi, à 19,1 millions de personnes en septembre 2021, est revenu au même niveau qu’en février 2020.

À chacune des vagues du virus de la COVID-19, il y a eu des baisses, sauf lors de la quatrième vague. Selon M. Cléroux, cela démontre que la vaccination permet de limiter les dégâts. À 72 %, le Canada a d’ailleurs un taux de vaccination de sa population supérieur aux autres pays du G7, ce qui limite les impacts de cette quatrième vague de la pandémie. 

Richesse en hausse 

Les ménages canadiens ont haussé la valeur marchande de leurs actifs depuis le début de la pandémie. De 13 666 milliards de dollars (G$) au premier trimestre de 2020, cette valeur atteignait 16 795 G$ au 2e trimestre de 2021, en hausse de 22,9 %. Cette augmentation découle de la vigueur du marché immobilier et des marchés boursiers. 

L’épargne nette des ménages a aussi atteint un niveau record en 2020. De 18 G$ en 2019, l’épargne nette des ménages canadiens a totalisé 212 G$ en épargne nette en 2020, un niveau record. 

Les consommateurs sont donc en bonne position pour dépenser, et c’est ce qu’ils ont fait en 2021. Au 2e trimestre de 2021, les dépenses de consommation dépassaient de 4,5 % le niveau atteint au dernier trimestre de 2019. 

Le marché immobilier ralentit un peu depuis le début de l’été, mais il demeure plus actif qu’avant la crise. Le nombre de transactions au pays dépassait encore les 48 000 ventes d’unités par mois en juillet, comparativement à la moyenne de 40 000 des années 2017 à 2019. 

Mieux pour les PME 

Selon le sondage mené par la BDC entre le 24 août et le 3 septembre 2021, 76 % des dirigeants de PME déclarent que leur entreprise est rentable. Cependant, 29 % des répondants affirment que si leur entreprise est rentable, elle est néanmoins en difficulté à cause de la COVID-19. Quelque 18 % des répondants disent aussi que l’absence de rentabilité est reliée à la pandémie. 

Les investissements des entreprises sont aussi en progression. Pierre Cléroux se réjouit particulièrement des investissements en technologie, qui ont retrouvé aussi leur rythme qui existait avant la pandémie.

Les exportations canadiennes ont aussi retrouvé, depuis le printemps 2021, leur rythme de croisière et dépassent désormais 50 G$ par mois comme c’était le cas à la fin de 2019. En conséquence, M. Cléroux prévoit une croissance du PIB réel de 5,2 % en 2021 et de 4,0 % en 2022 pour l’économie canadienne. 

La main-d’œuvre 

Fin septembre, la BDC a publié une étude intitulée « Comment s’adapter à la pénurie de main-d’œuvre : les difficultés d’embauche sont là pour rester ». L’âge médian de la population canadienne, qui était de 26 ans en 1971, a dépassé 40 ans en 2011 et atteindra 44 ans en 2031. 

La demande de personnel augmente, mais pas l’offre, et la pandémie a empiré le problème en limitant le recours à l’immigration. « La pénurie de main-d’œuvre est là pour rester. Le marché du travail a changé et ça va rester difficile pour les dix prochaines années », souligne M. Cléroux.

Dans son étude, la BDC suggère quatre stratégies pour relever le défi de la main-d’œuvre. Elle recommande d’investir dans la technologie et l’automatisation, de formaliser le processus d’embauche, d’offrir un régime global de rémunération et de diversifier les sources de travailleurs. 

Selon M. Cléroux, certains groupes ont encore un taux d’occupation inférieur à la moyenne sur le marché du travail. C’est le cas chez les jeunes, notamment, mais aussi chez les 65 ans et plus qui pourraient accepter des tâches à temps partiel, de même que chez les immigrants. 

Autres tendances 

Pierre Cléroux énumère quatre autres tendances de l’environnement d’affaires des PME. Premièrement, la place du commerce en ligne est encore plus évidente depuis le début de la pandémie. Les ventes au détail du temps des Fêtes en 2020 ont été presque deux fois plus élevées que l’année précédente. Les entreprises doivent accentuer leur présence sur le web, suggère-t-il. 

Deuxièmement, le télétravail a été rendu obligatoire pour 40 % des travailleurs au début de la pandémie. « Aujourd’hui, nous sommes à 25 %. Selon nos recherches, la tendance va rester », dit-il. Quelque 74 % des entreprises disent qu’elles auront recours au travail à distance même si les mesures sanitaires sont levées.

Plus de la moitié des répondants (54 %) à un sondage disent que la possibilité du télétravail sera déterminante dans la décision d’accepter ou de postuler un nouvel emploi, rapporte l’économiste en chef de la BDC. 

Troisièmement, l’incertitude liée au réchauffement climatique ne disparaîtra pas, poursuit M. Cléroux. Toujours selon un sondage de la BDC portant sur leur niveau de maturité environnementale, quelque 20 % des entrepreneurs disent être avancés à cet égard, tandis que 54 % sont dans la période de transition et 26 % disent être encore au stade de débutant. 

Quatrièmement, la pandémie a bouleversé la notion de normalité et l’incertitude est désormais inscrite dans l’environnement d’affaires. La COVID-19 ne disparaîtra pas tant que la majeure partie de la population mondiale ne sera pas vaccinée.

Pierre Cléroux ajoute aussi d’autres facteurs d’incertitude, dont la volatilité des prix, les problèmes liés à la chaîne d’approvisionnement, les difficultés de l’industrie des voyages et du tourisme international et le changement notable des habitudes de consommation.

À propos de l’inflation, les plus récentes statistiques montrent que l’indice des prix à la consommation a grimpé de 4,1 % en août dernier comparativement à la même période de 2020. « On pense qu’une bonne partie de cette inflation est temporaire, comme dans le cas du bois d’œuvre », dit-il.

La hausse des salaires associée à la rareté de la main-d’œuvre représente un risque plus élevé d’inflation à moyen terme, ajoute l’économiste. Depuis juin, la hausse de l’IPC est supérieure à 3 %, ce qui dépasse la cible de la banque centrale. Cela pourrait l’inciter à hausser les taux d’intérêt.