La prudence demeure de mise sur les marchés financiers, malgré certaines données encourageantes au plan économique.

En entrevue avec le Portail de l’assurance, le chef des ventes nationales de Franklin Templeton Canada, Dennis Tew rappelle que 2023 arrive sur les talons d’une année rarement vue sur les marchés financiers. « En 2022, vous ne pouviez pas vraiment trouver de refuge : les actifs à revenu fixe et les actifs en actions ont chacun affiché des rendements négatifs dans les deux chiffres », dit-il.

Dennis Tew ajoute que ce contexte a suscité beaucoup de prudence de la part des conseillers face aux portefeuilles de leurs clients, parce qu’ils ont été quelque peu malmenés au cours de 2022. « Je ne peux me souvenir d’une période pendant laquelle on a autant parlé d’une récession qui, finalement, n’est pas encore arrivée. Dans le contexte actuel, peu de gens peuvent expliquer pourquoi les marchés reviennent en force. La situation me semble un peu meilleure qu’elle ne le devrait », suppose-t-il.

« Nous pensons qu’il y a une très grande probabilité que survienne une récession vers la fin de 2023 », ajoute M. Tew. Il estime par ailleurs que si l’inflation est globalement à la baisse, plusieurs facteurs continuent de l’alimenter, dont une pression à la hausse sur les salaires. 

Baisse peu convaincante 

La tendance à la baisse de l’IPC global en cours depuis juillet 2022 tend à s’essouffler, observe Jimmy Jean, économiste en chef et stratège de Desjardins. Il fait allusion à la légère remontée du taux d’inflation en avril 2023. « Le taux d’inflation n’a pas beaucoup baissé durant cette période de neuf mois, lorsque l’on retire le prix des aliments et de l’énergie de l’IPC global, constate l’économiste. Cette baisse du taux d’inflation est en grande partie liée à la baisse des prix de l’énergie. Les prix de l’essence sont beaucoup plus bas par rapport à l’an dernier. La baisse du taux d’inflation apparaît beaucoup moins convaincante. Les signaux sont mixtes. » 

D’autres composantes de l’IPC global envoient des signaux mixtes, selon Jimmy Jean. Ainsi, l’IPC du logement contribuera à l’inflation de façon durablement élevée. Premièrement, l’indice du logement est positivement corrélé aux taux d’intérêt, et les paiements hypothécaires en font partie. « En ce moment, sa variation annuelle n’est pas loin des 30 %. Cela reflète le fait que les gens renouvellent leur hypothèque à des taux beaucoup plus élevés », mentionne M. Jean.

L’IPC du logement inclut aussi le prix des loyers, à la hausse de 6,1 % au Canada. « Cette hausse ne donne pas tout le portrait », dit M. Jean. Il cite les données de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) selon lesquelles la hausse du prix d’un logement lorsqu’un nouveau locataire en prend possession a atteint en 2022 14,5 % à Montréal, 24 % à Vancouver et 29 % à Toronto. 

La Banque du Canada comptera sur la baisse des dépenses discrétionnaires des Canadiens pour maintenir le taux d’intérêt directeur au beau fixe, croit par ailleurs M. Jean. Il évoque l’IPC fondamental, composante qui regroupe les services tels que les transports, voyages, divertissements et restaurants, excluant le logement. « Les gens sont plus prudents et l’influence du salaire sur le prix des services est importante, illustre M. Jean. L’Inflation est de 5,2 % selon l’IPC fondamental, par rapport à 4,4 % dans l’inflation totale. Cela ne nous envoie pas nécessairement le signal que l’on veut en ce moment. » 

Le baromètre des consommateurs 

Les consommateurs ne semblent pas plus convaincus de la baisse du taux l’inflation que MM. Jean et Tew ne le sont. BMO Groupe financier l’a constaté dans son plus récent sondage annuel sur la retraite. Parmi les résultats publiés en février 2023, les Canadiens pensent avoir besoin de 1,7 million de dollars (M$) pour prendre leur retraite. 

Ce montant est en hausse de 20 % par rapport à la perception qu’avaient les Canadiens en 2022 du montant dont ils auraient besoin pour prendre leur retraite. La banque a prévenu que le sondage de 2023 « a été réalisé dans un contexte d’inquiétude croissante à l’égard de l’inflation, des hausses de taux d’intérêt et d’une éventuelle récession économique ». 

Dans une entrevue accordée au Portail de l’assurance le 19 mai 2023, François Martel, vice-président régional, planification financière, est du Canada, de BMO Groupe financier a dit que les Canadiens surévaluent probablement leurs besoins en pensant qu’ils auront besoin d’épargnes totalisant 1,7 M$ pour prendre leur retraite. « Ce sentiment vient majoritairement du fait que dans les deux dernières années, on a vu certains prix à la consommation monter en flèche. Cela s’est traduit dans l’inflation qui a culminé à 8,1 % en juin 2022 », rappelle M. Martel. 

François Martel a signalé que les perceptions peuvent varier selon les différents lieux de résidence. Par exemple, les Québécois ont estimé avoir besoin de 1,2 M$ pour prendre leur retraite, ce qu’il croit aussi être un chiffre surévalué. « Le revenu brut familial moyen des Québécois est d’environ 81 000 $ annuellement pour un ménage actif. À la retraite, nos dépenses se réduisent. L’hypothèque n’est plus aussi élevée, on achète moins de vêtements, on se déplace moins et le poste budgétaire consacré aux enfants diminue. Un revenu brut d’environ 50 000 $ à la retraite serait déjà très bien », analyse-t-il. 

M. Martel estime que pour produire un revenu annuel de 50 000 $ à la retraite, il suffirait de 870 000 $ d’épargne, projeté à un taux de rendement annuel de 3 %, pour une période de 65 à 90 ans.

Vous avez dit moins cher ? 

La baisse de l’inflation par rapport au sommet de juin 2022 changera-t-elle quelque chose aux perceptions sur le montant nécessaire à la retraite ? Pas à court terme, selon les propos de François Martel. « Même si les indicateurs nous montrent une inflation aux alentours de 4,3 % ou 4,4 %, je ne suis pas sûr que ce soit senti comme une baisse par le grand public », confie-t-il.

M. Martel observe que d’autres frais ont augmenté dans les derniers mois. Par exemple, le pouvoir d’épargner des Canadiens se désagrège parce que le logement ou les taux hypothécaires coûtent plus cher. « Les gens se préoccupent beaucoup plus de cela », dit-il en ajoutant que malgré le taux d’inflation actuel, rien n’a fondamentalement changé dans les perceptions des Canadiens. 

Plan personnalisé et conseils rassurants 

La surévaluation des besoins à la retraite que font en moyenne l’ensemble des Canadiens montre selon François Martel l’importance d’avoir un plan personnalisé fait par un professionnel. « Votre besoin à la retraite et le mien peuvent différer incroyablement selon nos revenus, nos dépenses, nos habitudes… Et dans ma projection, je n’ai pas parlé du Régime de rentes du Québec, de la Pension de la Sécurité de vieillesse, ni de tout autre régime de retraite que la personne pourrait avoir », dit-il. 

François Martel mentionne en outre que certains ménages songeront à échanger leur propriété de quatre chambres à coucher contre un condo de deux chambres, pour ensuite investir la différence dans leur portefeuille de retraite. D’autres choisiront de réhypothéquer leur maison sur une période d’amortissement de 25 voire 30 ans, pour dégager une marge budgétaire. L’amortissement leur permettra des paiements probablement moins élevés que le coût mensuel d’un logement, pense M. Martel. 

À Franklin Templeton Canada, Dennis Tew croit que la période actuelle donne l’occasion au conseiller d’entamer une conversation avec son client pour le préparer à des temps incertains. « Nous sommes dans l’une de ces périodes pendant lesquels il pourrait y avoir beaucoup plus de volatilité que ce à quoi sont habitués les clients », croit-il. 

M. Tew invite les conseillers à s’assurer que leurs clients comprennent bien la tolérance au risque qu’ils ont dit avoir au moment de la conception de leur planification de retraite. Il croit que les conseillers pourront aussi les épauler dans les marchés baissiers, en leur rappelant les objectifs à long terme de leur plan financier, plutôt que de s’attarder aux rendements à court terme.

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