Les marchés financiers traversent d’importantes perturbations depuis le début de l’année 2022. Alors que les États-Unis affichaient un taux d’inflation de 7,5 % en janvier, un sommet en 40 ans, la Réserve fédérale a signifié qu’elle relèverait ses taux d’intérêt directeurs dès le mois de mars.
Au Canada, le taux de croissance de l’inflation a atteint 5,1 % en janvier 2022, selon l’Indice global des prix à la consommation (IPC global) de la Banque du Canada, soit la plus forte augmentation depuis septembre 1991. À titre de comparaison, le taux d’inflation selon l’IPC global se situait à 1,0 % en janvier 2021.
Dans un bulletin publié le 19 janvier 2022, Banque Nationale du Canada Marchés financiers (BNMF) disait prévoir qu’il y aura cinq hausses de taux d’intérêt en 2022 au Canada. Le coup d’envoi devrait être donné en mars, selon la BNMF. Le taux directeur de la Banque du Canada s’établissait alors à 0,25.
La confiance chute
« Le variant Omicron et l’inflation ont donné un coup de barre à la confiance du consommateur », a déclaré Cimon Plante dans un récent commentaire sur les turbulences du marché. Une situation qui reflète les défis physiques et psychologiques qu’endure la population depuis deux ans en raison de la pandémie, selon le gestionnaire de portefeuille et conseiller principal en gestion de patrimoine de Groupe Plante, au sein de Financière Banque Nationale.
« Il n’est pas surprenant que la confiance des investisseurs ait subi le même sort », ajoute M. Plante. Ainsi, l’Indice de confiance de State Street est passé de 100,8 en janvier 2021 à 89,3 en janvier 2022.
Économiste en chef intérim et gestionnaire sénior de portefeuilles diversifiés d’iA Groupe financier, Sébastien McMahon a rappelé à quel point les marchés demeurent volatils en réaction à la poussée de l’inflation. Dans son survol hebdomadaire des marchés à la fermeture du 10 février 2022, il a souligné que le rendement des obligations de longue durée (indice FTSE TMX Long) avait reculé de près de 10 % depuis le début de l’année 2022.
L’indice obligataire plus large (FTSE TMX Univers) affichait un recul de 4,75 % depuis le début de l’année, comme l’indice boursier américain S&P500. L’indice boursier canadien S&P/TSX a progressé de 1,62 % durant cette période. Aux États-Unis, le NASDAQ, indice à saveur technologique, a perdu 8,74 %.
Garder le cap
M. McMahon invite les investisseurs à prendre du recul. Il rappelle que le rendement des obligations tend à se replier quand les taux d’intérêt sont à la hausse. Plus exposé à un indice obligataire tel que le FTSE TMX Univers, un fonds prudent sous-performera par rapport à un fonds plus agressif axé par exemple sur l’indice S&P/TSX des actions canadiennes.
« J’ai rencontré plusieurs clients et conseillers dans les dernières semaines, et je me fais souvent demander pourquoi les fonds prudents font moins bien depuis le début de l’année. Je réponds que nos fonds diversifiés prennent des mesures de gestion des risques, et ne prennent aucune position agressive en ce moment », explique l’économiste.
Il répond aussi que l’investisseur doit contempler un horizon de placement à long terme. « Quand vous avez de la volatilité à court terme, un fonds prudent ne vous protégera pas chaque mois. À plus long terme, le rendement d’un fonds prudent sera plus modéré que celui d’un fonds agressif, mais sa volatilité moyenne sera plus faible. »
Incertitude en milieu de cycle
Michael White garde aussi la tête froide face à la volatilité que suscitent les indicateurs économiques. Chef des stratégies multi-actifs de Picton Mahoney, M. White a expliqué au Portail de l’assurance que les marchés traversent actuellement un ralentissement typique d’un milieu de cycle. « Ce n’est pas surprenant, étant donné le rythme d’activité économique depuis la courte, mais profonde récession entraînée par la première éclosion de COVID-19. »
Dans un milieu de cycle, il y a habituellement une transition entre thèmes cycliques et thèmes défensifs, particulièrement du côté des actions. C’est ce qui arrive présentement, selon M. White. Il signale que les thèmes défensifs sont vulnérables à la hausse des taux d’intérêt. « Un regarde sous le capot des marchés actuels révèlent beaucoup de roulement dans les thèmes et le leadership, ce qui est typique d’un ralentissement de milieu de cycle », dit le gestionnaire.
Mais il ne s’agit pas d’un milieu de cycle comme les autres, souligne le gestionnaire de chef des stratégies en énumérant ces différences apparues dans les derniers mois. « Nous avons des niveaux d’inflation relativement élevés, des problèmes de chaîne d’approvisionnement, une demande refoulée et un plein emploi relatif. »
Craintes et occasions en techno
Dans son commentaire sur les turbulences du marché, Cimon Plante observe pour sa part que le marché est passé en mode sans risque (risk-off) depuis l’automne 2021. D’après M. Plante, ce mouvement a provoqué la vente de titres reliés aux secteurs de croissance, afin de se réfugier dans des titres prudents et laisser passer la tempête.
« Or, la performance de nos portefeuilles en a été affectée, car notre vision consiste à investir dans des entreprises d’avenir. D’ailleurs, nous pouvons observer qu’en janvier 2022, les allocations de liquidités vers le secteur des technologies ont atteint un creux remontant à 2008. Pour le moment, le secteur des technologies est persona non grata », signale M. Plante.
Cimon Plante croit cependant que le marché sortira de son marasme et que les secteurs de croissances offriront un bon rendement. Il estime aussi que de belles occasions d’investissements se profilent à travers les perturbations actuelles. « Le secteur du logiciel et de l’Internet en est un bon exemple, soutient M. Plante. Actuellement, ils se négocient tout près de leurs moyennes historiques, alors que leurs modèles d’affaires sont plus prometteurs que par le passé. »
Le privilège des dividendes
Lors d’un forum économique organisé en janvier 2022 par la division des fonds négociables en bourse (FNB BMO) de BMO Gestion mondiale d’actifs, le gestionnaire Chris Heakes s’est prononcé sur les thèmes qu’il privilégie. Selon le vice-président et directeur de portefeuille, placements de produits structurés mondiaux de BMO, les stratégies de dividendes et axées sur la valeur tendent à produire un rendement supérieur dans un environnement de hausse des taux.
M. Heakes signale que les compagnies ont commencé à augmenter leurs dividendes. Il croit que la croissance des dividendes et le remboursement de capital devraient s’accélérer en 2022.
Membre du même panel, son collègue et directeur général de la négociation de FNB à BMO Marchés des capitaux, Jimmy Karam, en a profité pour rappeler les avantages de ce type de placement. « N’oublions pas que le traitement fiscal des dividendes privilégiés est plus avantageux que celui des intérêts versés au titre d’obligations, car les dividendes privilégiés sont imposés comme des gains en capital plutôt que comme des revenus », a-t-il précisé.
Bénéfices des entreprises
Parmi les experts de Capital Group qui ont récemment partagé leur point de vue sur les marchés, Rob Lovelace est vice-président du conseil, président et gestionnaire du fonds Canadian Focus Equity. M. Lovelace a partagé son point de vue avec le Portail de l’assurance. Il dit croire en la capacité des entreprises de livrer des bénéfices.
Le gestionnaire aime considérer les choses sous trois angles : pandémie, économie et marchés. « La pandémie restera avec nous un moment, mais son impact sur l’économie diminuera avec le temps. Et la santé de l’économie compte beaucoup plus pour les obligations que les actions. Le marché boursier est propulsé par les bénéfices des compagnies et plusieurs ont bien fait, même en période de COVID. Donc, la pandémie aura moins d’impact sur l’économie qui continuera de prendre de l’expansion, et les compagnies seront en bonne position de prospérer », observe M. Lovelace.
Après la correction COVID du premier trimestre de 2020, Rob Lovelace rappelle que les actions ont non seulement rebondi, mais ont poursuivi l’extension de ce qui s’avère être un marché haussier d’une décennie. Les actions technos américaines du groupe des FAANG (Facebook devenu Meta, Amazon, Apple, Netflix et Google devenu Alphabet) ont selon lui mené cette extension avec Microsoft et Tesla. « Cette tendance à long terme demeure en place. La COVID a interrompu l’ascension, mais n’a pas changé la direction fondamentale des marchés », pense M. Lovelace.
Tendances déflationnistes
Pour sa part, Sébastien McMahon se dit d’accord avec le point de vue de la Banque du Canada, qui souhaite selon lui hausser les taux d’intérêt de façon mesurée et constante plutôt qu’accélérée. L’économiste en chef d’iA rapporte de récents propos du gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, selon lesquels une hausse rapide des taux ne serait pas nécessairement le remède à certaines pressions inflationnistes, dont celle des problèmes d’approvisionnement.
Au Canada, M. McMahon privilégie à la base un scénario de quatre hausses de taux d’intérêt en 2022, et probablement quatre hausses en 2023. Il rappelle que tout peut changer d’une semaine à l’autre. L’économiste avait qualifié 2022 d’année de grande incertitude. « Nous sommes dedans ! Pour naviguer dans l’incertitude, il faut de la gestion active. Si vous avez trop de risque dans votre portefeuille, parlez à votre conseiller », lance-t-il à l’intention des investisseurs.
M. McMahon a rappelé qu’aux États-Unis, les prix de l’essence et des voitures expliquent encore près de la moitié du taux annuel d’inflation de 7,5 % enregistré en janvier 2022. Ces facteurs devraient selon lui devenir désinflationnistes à partir du printemps. « On devrait voir s’installer à partir d’avril ou mai un recul assez rapide du taux d’inflation américain, jusqu’à en arriver à environ 3 % à la fin de l’année, selon les prévisions de la banque centrale. »
Placements alternatifs
Michael White estime que les marchés se sont apparemment ajustés à l’annonce de hausses de taux d’intérêt. Mais selon lui, si le ton change à l’égard des hausses à venir ou si l’inflation se montre plus « collante » que « transitoire », cela pourrait perturber les marchés. « Ce débat autour de l’inflation et le chemin que prendront les taux d’intérêt ainsi que le resserrement des conditions financières gouverneront les marchés au-delà de 2022 », croit M. White.
« En temps incertains, la meilleure opportunité est de diversifier », lance Michael White. Or, le spécialiste de la gestion multi-actifs pense qu’un portefeuille alternatif construit de façon à moins dépendre des taux d’intérêt peut se distinguer avantageusement d’un fonds équilibré, sensible à ces taux. Il privilégie aussi des alternatives aptes à tirer parti de thèmes liés à l’inflation plutôt que de les éviter.
« Souvent, c’est seulement lorsque se révèlent les conséquences inattendues d’un portefeuille auquel les investisseurs s’étaient habitués qu’ils réalisent à quel point ce portefeuille pourrait ne pas être bien positionné pour ce que lui réserve l’avenir », dit M. White.
Si la diversification est le mot d’ordre, il faut aller au-delà d’une présence dans tous les secteurs du marché boursier. « On devrait rechercher des alternatives qui offrent un avantage de diversification évident par rapport à un portefeuille traditionnel, dit M. White. Dans les années à venir, les discussions porteront beaucoup plus sur la qualité des rendements plutôt que seulement sur la quantité des rendements. Autrement dit : à quel risque ces rendements ont été obtenus, bien plus que le montant du rendement obtenu. »
Le PIB plombé par la COVID-19
Économiste en chef de Desjardins, Jimmy Jean estime de son côté que la pandémie aura un impact sur le produit intérieur brut à travers la planète. Prenant la parole au Cercle finance du Québec lors de l’événement numérique Prévisions économiques et marchés financiers 2022, M. Jean a rappelé que le virus continuera de muter et de se transmettre tant qu’il n’y aura pas un super vaccin. « La pandémie aura des conséquences », dit-il.
Parmi elles, le tiers des employeurs américains s’attendent à ce que leurs employés travaillent en mode hybride. Le marché du travail et les préférences d’achats changeront de façon durable. « On risque de voir des changements chez les travailleurs quant aux métiers qu’ils veulent exercer, des changements dans les préférences des consommateurs et des changements dans les choix des entrepreneurs entre créer une entreprise ou décider de maintenir ou non leur entreprise en vie », explique M. Jean.
Les effets de la pandémie pourraient selon lui avoir un impact économique, entre autres sous la forme de fermetures d’entreprises qui se trouveraient du mauvais côté des nouvelles préférences des consommateurs et des travailleurs.
Jimmy Jean demeure malgré tout optimiste. « Nous avons une grande inquiétude face aux effets retardés de la pandémie. Mais il y a aussi des aspects positifs. La vague Omicron pourrait être notre billet de première classe vers la fin de la pandémie et vers notre immunité collective. »
L’économiste en chef de Desjardins a tout de même revu à la baisse ses prévisions de croissance du produit intérieur brut (PIB) réel. Il dit moduler dans ses révisions les vagues successives de COVID-19 à venir. « L’environnement pandémique est une boîte à surprise, dit Jimmy Jean. On se doit de l’intégrer dans nos scénarios de base. »