La saga judiciaire entourant la vente du cabinet de services financiers L’Excellence en 2007, même après avoir été tranchée par le plus haut tribunal du pays, continue d’occuper les tribunaux, comme en atteste un récent jugement rendu par la Cour supérieure du Québec, le 7 février dernier

Même après avoir perdu la poursuite menée contre lui et son associé Daniel Riopel en Cour supérieure en août 2018, puis échoué à faire infirmer le jugement par la Cour d’appel du Québec en septembre 2021 et par la Cour suprême du Canada le 27 octobre 2023, l’actuaire Antoine Ponce ne semble pas las de recourir aux tribunaux. Il poursuit cette fois la société Industrielle Alliance, assurance et services financiers (IASF) pour se faire rembourser les frais de défense devant les tribunaux. 

Le jugement initial, nommé Dossier 081 dans le jugement, suivi par les autres appels, lui ont coûté 563 025 $ en honoraires d’avocats. Le demandeur réclame ce remboursement en raison d’un engagement contractuel de la compagnie qui promettait de le défendre et de l’indemniser.

M. Ponce fonde aussi sa réclamation sur l’article 56 de la Loi sur les assurances, lequel prévoyait que la compagnie d’assurance doit assumer la défense de ses administrateurs ou dirigeants qui sont payés par un tiers pour un acte accompli dans l’exercice de leurs fonctions. Le cas échéant, « l’assureur paie les dommages-intérêts en compensation du préjudice résultant de cet acte, sauf s’ils ont commis une faute lourde ou une faute personnelle séparable de l’exercice de leurs fonctions ». 

En conséquence, le demandeur réclame aussi les dommages-intérêts et les frais de justice, incluant les frais d’experts, auxquels il a été condamné par la Cour supérieure, soit environ 11 millions de dollars (M$). Son ex-associé Riopel ne participe pas à cette nouvelle poursuite. 

Le 12 novembre 2020, le comité de déontologie de l’Institut canadien des actuaires rejette les plaintes concernant des infractions au Code de déontologie des actuaires déposées contre M. Ponce. 

IASF conteste cette réclamation sur la base de son interprétation de l’engagement contractuel. La défenderesse ajoute que la responsabilité de M. Ponce dans le Dossier 081 n’est pas reliée à son statut de dirigeant ou d’administrateur. Enfin, elle allègue que les faits rapportés dans les trois jugements montrent que M. Ponce « a commis une faute lourde ou une faute personnelle » distincte de l’exercice de ses fonctions à la présidence du cabinet L’Excellence. 

Les parties admettent qu’IASF a cessé de couvrir les frais de défense de M. Ponce à partir de janvier 2019, lorsque les anciens dirigeants du cabinet étaient poursuivis par Michel Rhéaume et André Beaulne. Ces derniers ont vendu leur entreprise à MM. Ponce et Riopel pour une somme totalisant 36,8 M$ en 2007. Quelques mois plus tard, le cabinet était vendu à l’assureur pour une somme de 74,3 M$. 

La demande modifiée 

La raison du jugement rendu le 7 février concerne la demande d’IASF qui souhaite la radiation de plusieurs allégations de la demande introductive d’instance remodifiée du 20 mai 2024 et le retrait des pièces qui y sont reliées. Quelques jours avant l’audience prévue le 22 novembre 2024, le demandeur a encore un mois modifié sa poursuite. Là encore, l’assureur s’oppose à cette nouvelle mouture de la demande introductive d’instance. 

M. Ponce reconnaît que, dans les différents paragraphes qu’IASF veut faire radier, il souhaite prouver des erreurs factuelles du juge de première instance et confirmées par les tribunaux supérieurs. Il estime qu’il sera l’objet d’une injustice s’il ne lui est pas permis de faire cette preuve. Il soulève aussi des contradictions dans le témoignage de M. Rhéaume en première instance. Il désire enfin établir la portée de l’obligation d’IASF à son endroit. 

Au paragraphe 18 du jugement récent, la juge Chantal Lamarche précise que parmi les moyens de défense annoncés par IASF, un seul est pertinent aux fins de la présente décision, « soit celui voulant qu’elle n’avait pas l’obligation de défendre ni d’indemniser M. Ponce étant donné qu’il a commis une faute lourde ». 

Abus de procédure 

Le tribunal résume ensuite les trois jugements rendus dans le Dossier 081. Durant son délibéré, la juge Lamarche invite les parties à lui transmettre leurs arguments concernant l’angle de l’abus de procédure en raison de la remise en question des sujets déjà tranchés par les trois jugements. 

Selon IASF, le demandeur allègue certains faits analysés par les jugements et en tire des conclusions contraires à celles énoncées dans ces jugements. L’assureur s’appuie aussi sur la doctrine de la chose jugée pour demander le retrait des paragraphes de la demande. 

M. Ponce reconnaît qu’il veut convaincre le juge qui entendra sa réclamation que les jugements du Dossier 081 comportent des erreurs quant aux conclusions de faits retenues, pour ainsi démontrer qu’il n’a pas commis de faute lourde.

Le demandeur veut pouvoir faire la preuve de l’intensité de la faute que les jugements lui imputent. Il plaide que l’autorité de la chose jugée ne peut s’appliquer notamment parce que le critère de la triple identité n’est pas satisfait. 

Le tribunal rappelle que la pertinence des allégations et des pièces s’évalue en fonction de la preuve que les parties doivent administrer pour faire valoir leur droit ou ce qui peut faire progresser le débat. Il ajoute que l’acte de procédure peut être modifié avant le jugement à toute étape de l’instance. La cour doit considérer les principes directeurs du Code de procédure civile, dont la règle de proportionnalité et de l’intérêt de la justice. 

Analyse 

Concernant le principe de l’autorité de la chose jugée, la juge Lamarche estime qu’IASF fait erreur. Il n’y a pas d’identité des parties, ni de la cause, ni de l’objet. Dans sa demande, M. Ponce cherche à faire reconnaître l’obligation de défense et d’indemnisation de la société à son bénéfice. 

Cependant, IASF fait la démonstration sommaire que M. Ponce abuse de la procédure en voulant remettre en cause des questions de fait déjà tranchées. S’il est vrai que le Dossier 081 n’avait pas pour objet de déterminer l’intensité de sa faute, le demandeur veut remettre en cause des questions factuelles déjà tranchées par les trois jugements. 

M. Ponce soutient que la seule faute qu’on lui reproche est d’avoir omis d’informer les anciens actionnaires du cabinet de l’intérêt de l’assureur. Le tribunal estime plutôt que le jugement de première instance permet de conclure que le demandeur a commis une faute.

Malgré cela, cette conclusion du tribunal concernant la remise en question des questions déjà tranchées ne conduit pas automatiquement à un abus de procédure. M. Ponce doit démontrer que cette remise en cause peut servir l’intégrité du système judiciaire.

Cependant, le tribunal ne retient pas sa position. La lecture des jugements montre que le demandeur a tout mis en œuvre pour convaincre les juges qu’il n’a pas commis de faute. En première instance, le procès a duré 19 jours et le jugement étoffé contient 713 paragraphes.

Les quelques irrégularités soulevées par M. Ponce n’en sont pas, indique la juge Lamarche. Il a tenté de produire une preuve supplémentaire concernant les présumées contradictions de M. Rhéaume, et la Cour d’appel a refusé. 

La trame factuelle est la même dans les trois jugements du Dossier 081 que celle de la demande d’indemnisation faite devant la Cour supérieure. M. Ponce « souhaite tout simplement que l’analyse de cette trame factuelle conduise à un résultat différent », ce qui est d’ailleurs l’objectif avoué par l’actuaire.

La Cour suprême n’a effectivement pas tranché la question de la gravité de la faute imputée au demandeur.

Les paragraphes qui visent à expliquer le contexte des trois jugements sont inutiles. Les décisions du Dossier 081 pourront être déposées et « le contexte y est amplement décrit », ajoute la Cour supérieure. D’autres paragraphes relèvent de la nature d’une plaidoirie, ne sont pas pertinents et alourdissent inutilement la procédure, et seront aussi radiés. 

Le tribunal supprime aussi les paragraphes concernant la plainte traitée par l’Institut canadien des actuaires, faute de pertinence. « Comme M. Ponce le reconnaît, le comité de déontologie devait trancher s’il avait commis des fautes déontologiques et non une faute civile », lit-on au paragraphe 111. 

La Cour suprême a longuement traité de la chronologie des événements dans le Dossier 081. C’est un exercice difficile à faire, mais elle indiquait que cela n’est pas suffisant pour démontrer que le jugement de première instance était « entaché d’une erreur manifeste et déterminante ». 

La juge Lamarche conclut sa décision en énumérant une longue liste de paragraphes qui sont rayés de la demande et de pièces qui sont retirées du dossier. 

M. Ponce n’était pas assisté par un procureur lors de l’audience sur la requête de l’assureur du 22 novembre 2024.