Animateur d’un panel sur la finance comportementale, Éric Jacob, surintendant de l’assistance et de l’encadrement de la distribution de l’Autorité, a demandé à trois panélistes quels sont les enjeux de la transformation numérique sur le rôle du conseil financier. Le panel s’est déroulé le 22 novembre 2021, lors du Rendez-Vous avec l’Autorité.
Présidente-directrice générale du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO), Nathalie de Marcellis-Warin a ouvert la discussion en citant des statistiques publiées dans le NETendances 2021 de l’Académie de la transformation numérique (ATN). « Plus de 87 % des Québécois ont fait une opération bancaire en ligne dans la dernière année », rapporte-t-elle.
La PDG du CIRANO relate en outre que la succursale n’est plus l’endroit pour effectuer ces opérations, surtout chez les jeunes dont un sur deux fait toutes ses opérations sur téléphone intelligent. « Et ils veulent des applications. Les jeunes sont la locomotive de cette transformation. Mon fils n’a jamais déposé un chèque dans une succursale. Il le prend en photo avec son téléphone. »
Un article du Portail de l’assurance publié au sujet de NETendances 2021, rapporte entre autres que parmi les adultes québécois qui connaissent les robots-conseillers, un adulte sur quatre, soit 24 % des personnes sondées, mentionne en avoir déjà utilisé. Il s’agit d’une augmentation de 21 points de pourcentage par rapport à 2019 et 14 points de pourcentage par rapport à 2018. Le segment des adultes âgés de 25 à 34 ans est celui qui affiche la plus forte proportion, à 56 %.
Investissement autonome
En réponse à une question de M. Jacob sur les enjeux que pose cette transformation pour le conseil financier, Nathalie de Marcellis-Warin a livré des résultats préliminaires du Baromètre CIRANO 2021. Ces données révèlent que les habitudes d’investissement et d’épargne ont changé depuis le début de la pandémie.
« Les gens ont regardé comment ils pouvaient le faire en ligne, surtout les hommes en milieu urbain et les étudiants : 14 % des personnes sondées ont dit avoir beaucoup modifié ou modifié leurs comportements. Il y a vraiment une augmentation dans les services en ligne. Plus de 23 % des gens interrogés disent faire souvent des opérations en ligne », observe la PDG du CIRANO. Elle précise que la proportion est plus grande chez les étudiants.
La chercheuse ajoute que 18 % des participants au Baromètre 2021 disent s’être lancés en partie ou totalement dans l’investissement autonome, dont 30 % des jeunes de 18 à 34 ans. Elle ajoute que les habitués d’Internet et des réseaux sociaux seront encore plus portés à investir sans conseiller financier. Ceux pour qui les conseils d’un ami sont importants ont décidé d’investir de façon autonome dans une proportion de 27 %.
Le conseiller face à l’information gratuite
Aussi en réponse à M. Jacob, Ariane Charbonneau, directrice générale d’Éducaloi, fait le lien entre conseiller juridique et conseiller financier. « Les deux vivent un enjeu de pertinence aux yeux de la population. À force d’avoir accès à de l’information spécialisée si aisément, les gens en viennent à remettre en question la pertinence de consulter un spécialiste. » C’est selon Mme Charbonneau une fausse impression qui occulte les risques propres au champ d’expertise du conseiller.
La directrice générale d’Éducaloi croit que le conseiller marquera sa valeur ajoutée s’il parvient à se distinguer de l’offre numérique, en créant un lien. « Je reviens à la relation client : le professionnel doit devenir un facilitateur. Il doit faire preuve d’empathie et s’intéresser à son client, à ses enjeux et son insécurité, lui poser les bonnes questions. Il doit clarifier et vulgariser. Offrir un service après-vente. Ce n’est pas quelque chose qu’un écran peut faire », soutient Mme Charbonneau.
Selon elle, le conseiller devrait acquérir des compétences en pédagogie et en communication. « C’est aussi ce que je crois pour les avocats et les notaires. Si nous ne voulons pas que ces professions deviennent obsolètes, il faut ramener l’humain au centre de la relation. »
Ariane Charbonneau estime aussi que l’industrie gagnerait à ce que le conseiller ne soit pas seulement perçu comme la personne qui fait signer un formulaire. Cela peut sembler le cas, au vu de la paperasse qui s’alourdit de nombreux formulaires complexes.
Troisième panéliste invitée à cette conférence, Marie-Ève Fournier voit quant à elle un lien entre les enjeux des médias et ceux des conseillers. « À une époque pas si lointaine, la seule façon de s’informer était de payer pour recevoir un journal chaque jour dans sa boîte aux lettres. Aujourd’hui, il est facile d’obtenir de l’information en ligne gratuite », relate la chroniqueuse spécialisée en finances personnelles et consommation à La Presse.
Elle estime que médias et industrie financière doivent désormais convaincre les gens de payer pour leurs produits et leurs services. Un défi de taille auprès des plus jeunes qui ont vécu dans la gratuité du Web, selon Mme Fournier.
Risques d’investir sans conseils
Marie-Ève Fournier signale que l’investissement autonome comporte beaucoup de risques. Elle ajoute par exemple que les plus jeunes ne font pas la différence entre obtenir l’information d’une institution financière ou en ligne pour préparer leur retraite. « Ils ne comprennent pas toute la complexité des enjeux fiscaux, juridiques et successoraux, et les impacts à long terme des décisions que l’on prend à 25 ou 30 ans », dit la chroniqueuse de La Presse.
Mme Fournier estime toutefois qu’un manque de transparence sur la façon dont les conseillers sont rémunérés a nui à l’industrie financière, au profit des plateformes numériques d’investissement. De plus, elle observe que les institutions financières souffrent d’un déficit de crédibilité lorsqu’elles mettent le public en garde contre les risques de l’investissement autonome, en raison de l’apparence de conflit d’intérêts.
Elle dit entendre plusieurs se plaindre du coût élevé des services-conseils et du manque de clarté des frais. Des gens lui disent « je ne sais pas exactement combien je paie », ou « je peux obtenir la même chose à moindre coût autrement ». « Il y a un travail à faire pour clarifier. Il y a un besoin de moderniser l’approche. Avec la pandémie, on voit beaucoup de nouveautés, d’outils avec l’intelligence artificielle. On sent que l’industrie se réveille », souligne Mme Fournier.
Associer un prix à la valeur du conseil
Si le consommateur doit connaître les risques de ne pas obtenir des conseils de qualité en matière financière, Nathalie de Marcellis-Warin croit tout aussi important d’avoir une idée du coût associé à la valeur du rôle-conseil.
Pour illustrer ses propos, elle a cité une mise à jour d’une série de travaux de recherche sur la valeur du conseil. Intitulée More on The Value of Financial Advisors et publiée en mars 2020, elle porte la signature de Claude Montmarquette, aujourd’hui décédé, et de Nathalie Viennot-Briot, économiste au CIRANO. Professeur émérite en sciences économiques de l’Université de Montréal, M. Montmarquette a présidé le CIRANO pendant 7 ans, jusqu’en 2016.
La mise à jour de ces travaux contient de nouveaux paramètres, selon les propos de Mme de Marcellis-Warin. « Il y avait une valeur positive très importante du conseil qui ressortait des recherches précédentes. Nous avons retravaillé ces résultats pour regarder les biais qui avaient pu y être mis », explique-t-elle. L’enquête de 2020 a autres observé comment s’en tire ceux qui ont rencontré un conseiller financier de leur propre chef. « Les résultats sont positifs », relate la PDG du CIRANO. The Value of Financial Advisors révèle en effet que la taille des actifs d’un ménage qui recourt aux services d’un conseiller financier depuis 15 ans et plus s’est accrue de 131 %.
Étude précédente parue en 2018, The Gamma Factors and The Value of Financial Advice avait établi à 290 % l’accroissement des actifs d’un ménage associé à un conseiller financier depuis 15 ans ou plus. Nathalie de Marcellis-Warin rappelle que l’étude considérait l’ensemble des personnes sondées.
Elle ajoute que le facteur gamma se dit de facteurs comme l’encouragement à épargner, l’information sur la fiscalité, et la possibilité de travailler sur un plan financier. La mise à jour de 2020 continue toutefois de refléter les inégalités des études précédentes. La chercheuse explique que le rôle du conseil sera encore plus positif pour les personnes à revenu et à niveau académique élevés. L’âge est aussi un facteur de l’enquête de 2020. « Ce sont les plus âgés qui vont voir un conseiller financier, non les plus jeunes. »
Nathalie de Marcellis-Warin insiste sur l’importance du suivi dont peuvent bénéficier ceux qui font appel à un conseiller. « Si tu as un conseiller depuis 7 ans ou plus, l’importance des résultats est encore plus grande », dit-elle. Selon l’enquête de 2020, l’accroissement des actifs d’un ménage qui recourt à un conseiller financier depuis 7 à 14 ans atteint 114 %. « C’est le suivi qui est très important. Il faudra rappeler encore une fois cette valeur », dit Mme de Marcellis-Warin.
À titre de conférencier, Claude Montmarquette avait présenté l’ensemble des résultats de la recherche The Gamma Factors and The Value of Financial au Congrès de l’assurance de personnes de novembre 2018. M. Marquette et Mme Viennot-Briot avaient entrepris une série d’analyses économétriques sur la base d’un sondage canadien réalisé entre 2009 et 2010. Un deuxième sondage a été réalisé entre 2013 et 2014, puis un troisième entre 2017 et 2018 auquel ont été appliqués de nouveaux paramètres dans l’enquête de 2020.