Cédant aux pressions de son allié politique, le Nouveau Parti démocratique (NPD), le gouvernement minoritaire de Justin Trudeau a décidé d’aller de l’avant avec un régime fédéral d’assurance médicaments. C’est une décision qui pourrait avoir d’importants impacts négatifs chez les assureurs de personnes, craint l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP).
Un conseil consultatif avait recommandé en 2019 la création d’un régime public universel à payeur unique au Canada. Le Parti libéral du Canada avait ignoré cet avis ces cinq dernières années, mais craignant depuis la fin 2023 d’être renversé sur cet enjeu, il a décidé d’aller de l’avant en 2024. Il en a fait l’annonce à la fin février, à une semaine de la date butoir fixée par le NPD pour maintenir son soutien à l’actuel gouvernement.
La création d’un régime d’assurance médicaments n’était pourtant pas une préoccupation majeure pour les citoyens. Lors d’un sondage Léger à la fin de 2023, seulement 18 % des répondants en faisaient une priorité en matière de santé.
On connaît toutefois peu de détails à propos de ce futur programme et même le projet de loi C-64 déposé le 29 février fournit peu d’informations.
Des années pour créer une liste de médicaments complète
Au plus tard 30 jours après la date de la sanction de la Loi, un comité d’experts sera constitué et chargé de formuler des recommandations sur les options de fonctionnement et de financement, dont on sait très peu de choses pour l’instant.
En novembre 2023, le directeur parlementaire du budget à Ottawa, Yves Giroux, avait estimé le coût d’un régime universel à payeur unique calqué sur la liste de médicaments assurés de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) au Québec à 11,2 milliards de dollars en 2024-2025 et augmenterait à 13,4 milliards en 2027-2028.
Dans sa phase 1, le futur plan prévoit un accès universel aux médicaments pour le diabète et les moyens de contraception. Pourquoi ces deux domaines plutôt que la cardiologie et l’oncologie ? L’ACCAP se pose la question. Mais ce choix aura des répercussions : selon sa compréhension, les régimes privés ne pourront plus couvrir ces médicaments à travers les assurances collectives.
Ce n’est toutefois pas dans un avenir rapproché qu’une couverture complète devrait être en vigueur. Le projet de loi prévoit que l’Agence canadienne des médicaments devra élaborer au plus tard dans un an une liste de médicaments sur ordonnance qui servira de point à l’élaboration d’une liste entière. Le Conseil consultatif qui avait recommandé sa création avait prévu cinq ans pour l’élaboration de la liste complète des médicaments qui seront couverts.
Le Parti conservateur de Pierre Poilievre, qui est en avance dans les intentions de vote lors du prochain scrutin fédéral, ne s’est pas prononcé sur la création de ce régime national universel. On ne sait donc pas actuellement s’il le maintiendrait, le transformerait pour un système hybride semblable à celui du Québec ou y mettrait fin s’il prenait le pouvoir en 2025.
Coalition pour des soins de santé intelligents
Divers syndicats et groupes ont applaudi à l’annonce de la création de ce futur régime national. Mais dans l’industrie de l’assurance, les craintes sont vives.
La nouvelle Coalition pour des soins de santé intelligents le juge décevant. Elle se demande pourquoi le gouvernement fédéral devrait dépenser autant d’argent provenant des contribuables pour remplacer des médicaments déjà payés par les employeurs et les provinces, alors que l’accès aux soins primaires, aux services hospitaliers, aux médicaments coûteux est sous une telle pression.
Des régimes privés en péril
Le régime à payeur unique projeté par Ottawa n’accorde aucune place aux assureurs privés comme le fait le Québec où fonctionnent côte à côte un régime hybride public-privé. Le modèle fédéral retenu pourrait donc avoir de très sérieuses conséquences pour les assurés du privé, car la liste des médicaments couverts pourrait diminuer par rapport à ce qu’offrent les compagnies d’assurance avec tous les effets que cela pourrait avoir sur leur santé et sur les assureurs eux-mêmes s’ils perdent ce marché.
Selon un rapport du Conference Board paru l’an dernier, seulement 3 % des Canadiens n’ont pas d’accès à une assurance pour leurs médicaments. L’ACCAP soutient depuis plusieurs années que 100 % des gens doivent avoir accès à une couverture d’assurance médicaments.
Mais la solution selon sa présidente, section Québec, Lyne Duhaime, ne passe pas par un régime public national à payeur unique comme s’apprête à faire le gouvernement Trudeau. Elle préconise plutôt un système qui fournirait des protections ciblées au nombre relativement peu élevé de Canadiens qui actuellement ne sont ni couverts au public ni au privé.
« Pourquoi ne pas se concentrer sur ceux qui n’ont pas accès à une assurance et plutôt que dépenser de l’argent des contribuables pour quelque chose à laquelle la plupart des Canadiens ont déjà droit ? », soulève Lyne Duhaime.
Remplacer un système efficace
Stephen Frank, président et chef de la direction de l’ACCAP, s’inquiète du choix d’Ottawa. « Il remplacera un système efficace par un programme d’État qui deviendra plus lourd et plus coûteux au fil du temps. Et il mettra en péril les régimes de garanties au travail sur lesquels comptent 27 millions de Canadiens ».
Lyne Duhaime rappelle qu’au Québec, il existe un régime public-privé au Québec où 100 % des gens ont minimalement accès à 8 000 médicaments. Ceux qui sont couverts par un plan d’assurances collectives ont souvent accès à une gamme plus étendue, souvent 12 000 à 14 000 médicaments.
Des conséquences importantes
La présidente de l’ACCAP section Québec, craint les répercussions d’un régime public qui ne ferait pas de place aux assureurs privés.
« Quel serait l’impact sur les régimes d’assurance collective et quel serait l’intérêt pour les employeurs de maintenir ces plans ? Trouveraient-ils qu’il vaut la peine de maintenir un régime collectif ? Les conséquences sont importantes, mais on ne peut encore toutes les mesurer ».
Elle reconnaît qu’il y aurait un risque que des travailleurs couverts par un régime collectif décident de s’en retirer puisque les médicaments seraient désormais couverts par le régime fédéral. On n’est pas là encore, dit-elle, mais on viendrait jouer dans l’écosystème qui existe et qui fonctionne bien.
La création d’un régime national à payeur unique pourrait donc avoir de lourdes conséquences pour les assureurs dont le modèle d’assurance est beaucoup basé sur les assurances collectives.