Les Canadiens et les Québécois n’épargnent pas assez pour leur retraite. Parmi ceux qui mettent de l’argent de côté, bon nombre choisissent des produits financiers qui offrent au mieux un rendement anémique. Les conseillers financiers doivent profiter de la conjoncture pour mieux informer leurs clients et les aider à ne pas laisser leur capital de retraite s’éroder avant leur décès.Lors du Congrès 2013 de l’assurance et de l’investissement, Caroline Laflamme, directrice de la vente des produits de gestion de patrimoine chez Placements mondiaux Sun Life au Québec, a insisté sur la nécessité de revoir la répartition de l’actif des particuliers. La très longue période de bas taux d’intérêt qui persiste rend moins performants les titres à revenus fixes et les produits offerts sur les marchés obligataires. Le taux offert sur les obligations du Trésor, tant aux États-Unis qu’au Canada, est sous la barre des 4 % depuis cinq ans.
50% de chances de réussir
Le portefeuille classique de l’investisseur moyen comporte généralement 60 % d’actions et le reste en obligations ou autres titres à revenus fixes. Mme Laflamme relate l’évaluation faite par Morningstar, en janvier 2013. « Si je procède à un retrait annuel de 4 % et que mon portefeuille doit subvenir à mes besoins pendant 30 ans, il y a 50 % de chances que cela se concrétise. »
Selon les rendements obtenus au début de la période de décaissement, la durée durant laquelle le capital sera disponible à la retraite variera de manière importante. Sur la même période de 10 ans, quatre années de rendements négatifs au début de la décennie réduiront le capital de manière bien plus importante que si ce marché baissier survient plus tard. « On ne peut rien faire pour se protéger contre le risque séquentiel », précise-t-elle. Depuis 1990, les principaux indices boursiers ont connu six replis importants. Chacun d’entre eux a incité les investisseurs à augmenter la pondération des produits à revenus fixes dans leur portefeuille. Cette tendance a fonctionné pendant longtemps, mais il faut, selon Mme Laflamme, revoir cette stratégie.
Perception du risque
Les épargnants ne peuvent pas compter sur les plus jeunes générations pour assurer la quiétude de leur vieillesse. « L’évolution démographique au pays fait en sorte qu’il y a de moins en moins de contribuables comparativement au nombre de retraités, et ce ratio n’ira pas en s’améliorant », dit-elle en citant le Conference Board. Dès mars 2006, l’organisme affirmait que le vieillissement démographique au pays menaçait la viabilité des régimes de retraite.
Les Canadiens comprennent le message, poursuit Mme Laflamme. Selon l’Indice canadien de report de la retraite de Sun Life, en cinq ans, la proportion de Canadiens qui pensent encore travailler à 66 ans est passée de 16 % à 26 %. Avec l’espérance de vie qui augmente, les épargnants doivent prolonger la durée de vie de leur capital de retraite, et ils n’y arriveront pas sans modifier leur perception du risque, dit-elle.
L’investisseur accorde bien plus de valeur aux années de rendement négatif, ajoute Mme Laflamme. « L’écart-type tel qu’on le connait de manière classique, où l’on distribue le rendement autour de la moyenne, ne suffit plus. Il faudrait désormais parler de l’écart-type à la baisse, qui reflète peut-être mieux la perception du risque qu’a le client, lequel accorde plus de valeur aux années négatives qu’aux années positives. »
Diversifier certains placements
En période de baisse, les placements tendent à évoluer de la même manière. Cette corrélation ne se vérifie pas pour tous les produits financiers, précise-t-elle en pointant l’immobilier, les marchés émergents et les actifs alternatifs liquides. En diversifiant les investissements dans ces classes de produits moins classiques, on peut même améliorer le rendement tout en diminuant le risque.
Les conseillers peuvent mieux informer leurs clients et les inciter à adopter pour leur portefeuille individuel les mêmes stratégies que les grands gestionnaires de fonds. Au 31 mars 2013, l’Office d’investissement du Régime de pensions du Canada consacrait déjà près de 17 % de ses actifs dans les infrastructures (6,1 %) et l’immobilier (10,8 %). C’est la même approche de diversification qui a inspiré Sun Life dans sa campagne « Mon argent pour la vie », où l’on ne se limite pas à la répartition de l’actif, mais à l’ensemble de la planification financière. Mme Laflamme suggère par exemple de combiner la rente viagère, qui fournira les besoins de base à la retraite, au portefeuille de croissance.
Parmi les clients qui changent de conseiller financier, la plus grande proportion (39 %) le fait de 60 à 70 ans, au moment où leur actif est le plus élevé, ou après 70 ans (22 %). Les conseillers qui ne se préparent pas au vieillissement de leur clientèle et ne font pas la transition vers cette approche d’une meilleure répartition de l’actif perdront des clients, assure-t-elle.
Épargne dormante
Alain Desbiens, vice-président, Québec et Atlantique à la Banque de Montréal et spécialiste de la division des fonds négociés en bourse (FNB) à la BMO, où il travaille depuis le printemps 2010, a rapporté, qu’à la fin de 2012, l’épargne au Canada totalisait 3 100 milliards de dollars (G$), dont 555 G$ étaient détenus par des Québécois. Plus de 1 000 G$ étaient des actifs liquides ou encaissables en tout temps au Canada et produisaient au mieux un rendement anémique, voire nul.
La majeure partie de l’épargne, soit 77 %, est détenue par 8 % des ménages qui détiennent au moins 500 000 $. Parmi la clientèle des clients plus fortunés, 28 % détiennent des FNB dans leur portefeuille. Cette proportion grimpe à 47 % parmi les ménages qui ont plus de 5 millions de dollars (M$) à investir. Quelque 75 % des ménages canadiens détiennent moins de 50 000 $ d’épargne à investir.
L’épargne concentrée dans les FNB au Canada ne représente que 2 % de l’industrie (60 G$), comparativement aux 95 G$ investis dans les fonds distincts et aux 905 G$ dans les fonds communs. « Mais la valeur des FNB a triplé depuis 2008 », précise-t-il. BMO a eu la chance de mettre la main sur l’équipe qui a structuré les FNB chez iShares lorsque la filiale de Barclays a été vendue à Blackrock.
« Je n’ai jamais connu une époque de croissance aussi spectaculaire que celle que nous vivons à la BMO depuis trois ans et demi. » À son arrivée chez FNB BMO, la division détenait environ 1 % du marché. Avec les 12 G$ d’actifs sous gestion, son groupe gère désormais 20 % du marché canadien et est 8e au monde dans son secteur. Il précise que d’autres institutions financières créent des produits similaires à ceux offerts aux conseillers par sa banque.
Combiner les approches
Même si la gestion de type indicielle comme celle associée aux FNB est considérée comme passive, M. Desbiens recommande de la combiner à une gestion active. « Dans les marchés dits efficaces, les chiffres le montrent, il n’est pas facile de battre le rendement des indices sur une période de cinq ans. » Toutefois, pour des produits moins connus ou moins populaires, comme les titres de sociétés à petite et moyenne capitalisation, la perception des marchés n’est pas toujours la meilleure.
Combiner la gestion indicielle et la gestion active permet de réduire les honoraires du gestionnaire de portefeuille, sans pour autant réduire la rémunération du conseiller. « Pour votre client, à long terme, sur ses 100 000 $, réduire les frais de 50 points de base permet d’économiser environ 75 000 $ après 30 ans. J’ai été conseiller et directeur de succursale, et les clients en parlent de plus en plus », dit-il.
Auparavant, les FNB n’étaient offerts que par les courtiers en valeurs mobilières. Depuis son arrivée à la BMO, l’équipe de M. Desbiens a travaillé à bâtir des fonds communs qui « répliquent » les grands indices. Le conseiller financier a l’occasion de se démarquer, car les FNB sont désormais offerts sous la forme de fonds communs ou de fonds distincts.
Les quatre portefeuilles FNB de l’institution financière sont structurés sous la forme de catégories de société : sécurité, équilibre, croissance et croissance dynamique. Sous cette forme de fonds commun, les frais de gestion de 100 à 140 points de base sont « raisonnables », estime M. Desbiens.
4 nouveaux fonds
À la mi-décembre, BMO Assurance a lancé de nouveaux fonds distincts sous forme de fonds de placement garanti (FPG), qui jumèlent les expertises de ses divisions en matière de FNB et de gestion des actifs. « On combine ainsi ce qu’il y a de mieux dans l’indiciel avec la gestion active en fonction des particularités des investisseurs. » Selon le degré de tolérance au risque du client, la volatilité des marchés et l’évolution des taux d’intérêt, on proposera le fonds distinct qui offre la meilleure combinaison d’actions et d’obligations.
Au Québec, insiste-t-il, quelque 100 G$ d’épargne sont accumulés dans des comptes bancaires, dont le tiers est encaissable en tout temps. Mais les impacts de la crise financière de 2008 se font toujours sentir. « Je ne sens pas encore cet appétit supplémentaire pour le risque chez les investisseurs. Dans les derniers mois, les performances des marchés boursiers ont été bonnes. Il est encore temps pour les conseillers d’aller voir leurs clients qui ont accumulé beaucoup d’argent dans des CPG encaissables, des obligations d’épargne du Québec et du Canada, des fonds monétaires et des comptes bancaires. Je m’aperçois que dans l’industrie, on a peut-être arrêté de faire des séminaires avec nos clients. Si je n’ai qu’un conseil à vous donner pour les 12 à 18 prochains mois, c’est de retourner voir les fournisseurs de produits et de leur demander de l’aide, par exemple en organisant des séminaires avec vos clients », conclut-il.
Lors de la période d’échanges avec les congressistes, Mme Laflamme a repris son laïus sur la rente viagère. « Dans un environnement de taux d’intérêt plus faibles, cette rente apporte justement une source de revenus stable sur laquelle on pourra compter toute sa vie pour combler une partie de ses besoins primaires. Et rapidement, même dans le contexte de la remontée des taux, on obtient des rendements supérieurs à ce qui est offert par le marché obligataire ou les CPG. Ça enlève beaucoup de pression sur le reste du portefeuille si l’on sait que l’on peut compter sur cette source de revenus », dit-elle.
Marchés québécois et canadien très concurrentiels
Les marchés québécois et canadien sont très concurrentiels, ajoute M. Desbiens, et les clients plus fortunés ne sont pas les seuls à se préoccuper des honoraires du conseiller. « Même dans les pays où les frais de gestion sont devenus transparents, il a fallu repenser l’industrie pour les petits épargnants. Sinon, tout le monde ne vise que les clients les plus fortunés. L’important est que le conseille touche une rémunération juste pour servir tous les clients de l’industrie », dit-il.
Mme Laflamme suggère aux conseillers de s’entourer de spécialistes qui pourront aider leurs clients pour tous les aspects de la planification financière. C’est le principe qui guide l’assureur Sun Life, avec sa campagne « Mon argent pour la vie ». De son côté, M. Desbiens recommande aux conseillers d’adopter cette approche intégrée (« holistique »), même si cette tendance ressemble beaucoup à un buzzword.
« De moins en moins de conseillers travaillent seuls. Cette tendance ira en s’accentuant dans les cinq à dix prochaines années. Je le vois dans le courtage des valeurs mobilières, où le spécialiste du développement des affaires s’associe à un CFA expert dans la gestion de portefeuille. Il se passe la même chose en assurance vie, où le conseiller s’associe avec des spécialistes de la planification financière ou de la planification successorale. Aucun conseiller ne peut tout connaitre en assurance, dans les 9 000 fonds communs et les 300 FNB offerts au Canada seulement, les 2 000 fonds distincts, les rentes, etc. », dit-il