La décision de la Cour supérieure du Québec de déclarer nulle la clause de suicide d’un contrat d’assurance-vie de la SSQ et de forcer Beneva à verser 1,5 M$ aux héritiers d’un assuré qui s’était enlevé la vie moins de 24 mois après avoir paraphé un nouveau contrat franchit une nouvelle étape. Leur avocat a récemment déposé son mémoire en Cour d’appel où il conteste un à un les arguments de l’assureur et demande le rejet de l’appel

La nouvelle police que le défunt avait signée en 2016 contenait une clause d’exclusion de garantie d’assurance en cas de suicide. Elle indiquait que « si pendant les deux années qui suivent la date d’entrée en vigueur d’une garantie, l’assuré meurt de sa propre main ou de son propre fait, qu’il soit sain d’esprit ou non, l’obligation de la compagnie était limitée au paiement d’une prestation de décès équivalente au remboursement des primes versées pour cette garantie, sans intérêt ». L’homme s’était enlevé la vie 16 mois plus tard. 

Une clause nulle et sans effet 

Les héritiers ont contesté devant la justice le refus de Beneva de leur verser l’indemnité de 1,5 M$ prévue au contrat et la Cour supérieure leur a donné raison. Se rangeant aux arguments de Me Emmanuel Préville-Ratelle, un avocat de Joliette, le juge de première instance avait conclu en février dernier que la clause intitulée « suicide » de la police émise par la SSQ était « nulle et sans effet », car elle n’était clairement pas indiquée sous un titre approprié, contrevenant ainsi à l’article 2404 du Code civil du Québec.

Cet article dispose que « l’assureur ne peut refuser de payer les sommes assurées en raison du suicide de l’assuré, à moins qu’il n’ait stipulé l’exclusion de garantie expresse pour ce cas […] En matière d’assurance de personnes, l’assureur ne peut invoquer que les exclusions ou les clauses de réduction de la garantie qui sont clairement indiquées ». 

Estimant que le libellé du contrat d’assurance-vie signé en 2016 par le disparu ne respectait pas l’article 2404, le juge Jean-Yves Lalonde avait donné raison aux héritiers et forçait l’assureur à remettre 1,5 M$ aux bénéficiaires. 

« Le juge de première instance n’a commis aucune erreur en arrivant à cette conclusion qui est supportée par les dispositions législatives, l’historique législatif, la doctrine et les précédents en cette matière », dit leur avocat. 

Beneva tente de faire casser ce jugement et a porté la cause devant la Cour d’appel. L’assureur a déjà déposé son mémoire dans lequel il a repris ses arguments exposés en Cour supérieure et en a ajouté deux autres. L’avocat des bénéficiaires a déposé le sien au début du mois d’octobre. 

L’architecture du contrat en cause 

Selon Me Préville-Ratelle, c’est l’architecture de l’ancien contrat d’assurance-vie de la SSQ qui est en cause dans cette affaire d’importance.

Dans son mémoire, obtenu par le Portail de l’assurance, il affirme que la clause suicide qui est enfouie dans les « dispositions générales » de la police que l’assuré avait contractée en octobre 2016 est une véritable exclusion au sens de l’article 2404, car elle soustrait le suicide de la couverture du risque assurable, et ce, bien que le vocable « limitée » soit utilisé.

« Comme il est inséré dans les dispositions générales de la police et non dans les dispositions stipulant la garantie principale, poursuit l’avocat, il n’indique pas clairement l’exclusion d’une façon à ce que l’assuré puisse les repérer facilement. En opposant le titre “Exclusions pour la prestation d’invalidité extrême” à celui intitulé “suicide”, force est de constater, au contraire, que ce dernier laisse plutôt croire à l’existence d’une couverture d’assurance en cas de décès de l’assuré provoqué par le suicide. » 

Autant en doctrine qu’en jurisprudence, dit toujours l’avocat des bénéficiaires, la conséquence d’une contravention à l’article 2404 du Code civil du Québec est la nullité de la cause, sans égard à sa clarté ou le fait qu’elle soit abusive ou non. 

Le respect de l’article 2404 

L’un des principaux arguments soulevés par Beneva est que le titre n’a pas besoin de respecter les exigences de cet article lorsque le texte de la clause d’exclusion est clair ou n’est pas ambigu.

« Cette affirmation est trompeuse, soutient Me Préville-Ratelle, puisqu’en fait, l’assureur est non seulement obligé de rédiger des clauses d’exclusion claires, mais également, en matière d’assurance de personne, de les indiquer sous un titre approprié (article 2404). Il s’agit donc de deux obligations distinctes. Par l’interprétation qu’elle propose, l’appelante rend totalement caduque l’obligation d’avoir un titre approprié […] Cela revient à dire que les assureurs peuvent contourner une règle d’ordre public de protection, ce qui est contraire à l’intention ou l’objectif législatif ». 

Il demande donc à la Cour d’appel de rejeter l’appel de l’assureur. Une audition est déjà prévue par cette même cour à l’été 2024. 

« En conclusion, dit l’avocat dans son mémoire, la présente affaire constitue une occasion en or pour que cette Cour encourage les assureurs qui pratiquent en matière d’assurance sur la vie à revoir les clauses qui ne respectent pas la disposition impérative du Code civil du Québec. »

Un jugement qui ferait jurisprudence 

Si ce jugement qui a fait jurisprudence au niveau de la Cour supérieure était confirmé par la Cour d’appel, il ferait aussi jurisprudence en deuxième instance et ouvrirait la porte à de nouvelles réclamations provenant d’héritiers d’assurés qui avaient signé un contrat libellé de la même façon. L’enjeu est donc de taille pour l’industrie de l’assurance. 

Toutefois, si la Cour d’appel parvenait à la même conclusion que le juge de la Cour supérieure et maintenait l’obligation pour Beneva de verser 1,5 M$ aux héritiers du défunt, sa décision ne toucherait pas tous les assureurs, car certaines compagnies ont des contrats qui respectent l’article 2404 du Code civil du Québec