Selon plusieurs agents généraux, les assureurs vie n’avaient pas le choix de mettre un terme aux concours incitatifs de vente fondés sur des voyages. C’est aussi avec soulagement qu’ils accueillent cette nouvelle.

Les distributeurs sondés par le Journal de l’assurance croient que les assureurs redistribueront désormais l’argent épargné dans des activités de formation plus localisées, organisées en collaboration avec les agents généraux. L’Association canadienne des compagnies d’assurance de personnes (ACCAP) avait recommandé à la mi-février à ses assureurs-membres d’y mettre fin. Great-West et sa filiale Canada-Vie ont été les premiers à le faire. Manuvie a suivi, puis RBC Assurances, Desjardins Assurances et BMO Vie.

« Que les assureurs ne suivent pas les recommandations de leur association aurait été fort étonnant, a dit James McMahon, PDG de Groupe financier Horizons – Québec, alors qu’il se trouvait à un concours de vente en Argentine. Les autres compagnies qui ne l’ont pas déjà fait vont suivre. Les congrès de vente n’existeront plus dans la forme qu’on leur connait. Ils suivront le modèle des fonds communs, soit des congrès de formation pour lesquels le conseiller paie ses déplacements et son hébergement »

Michel Kirouac, vice-président directeur général, du Groupe Cloutier, et aussi porte-parole pour le Québec de CAILBA, souligne que plusieurs assureurs lui demandaient depuis déjà quelques années quel impact aurait la fin des concours de ventes. Les assureurs disaient craindre de voir les conseillers placer leurs affaires ailleurs.

L’industrie ne pouvait ignorer que le secteur des valeurs mobilières et des fonds communs y avaient mis fin depuis belle lurette, ajoute M. Kirouac. « Les conseillers se montraient de moins en moins motivés à y participer. Les critères de qualification étaient devenus tellement hauts qu’il devenait quasiment impossible pour un conseiller indépendant de se classer auprès d’un seul assureur. »

Des voyages couteux

M. Kirouac croit aussi que le cout associé aux voyages a pesé lourd dans la décision. « Ils coutent énormément cher en temps et en argent aux compagnies. De plus, le conseiller doit se déplacer pour quatre ou cinq jours. Aussi, les dépenses que défraie pour lui la compagnie sont imposables. »

David Benamron, directeur des prestations du vivant de la Financière MSA, relate s’être qualifié pour deux de ces concours, mais il n’y a pas assisté. « Il n’est pas facile de tout lâcher et de se soumettre à des horaires où on ne peut pas contacter nos clients, en plus de subir le jet lag au retour », dit-il.

Récemment nommé secrétaire-trésorier de CAILBA, et président de Groupe AFL, Yan Charbonneau croit que la fin des concours répond à des impératifs de conformité. « Il devenait difficile de prétendre que de tels concours n’influencent pas le choix d’un produit plutôt qu’un autre », souligne-t-il.

M. Charbonneau dit croire que le réseau de distribution peut faire meilleure figure en matière de concours. « Les assureurs se retirent probablement dans l’objectif que les agents généraux continuent d’organiser leurs concours, lesquels prêtent moins le flanc à l’apparence de conflit d’intérêts. Le conseiller est bonifié de façon égale pour un produit équivalent, d’une compagnie à l’autre », dit-il.

James McMahon croit aussi que les assureurs dédieront les sommes épargnées vers les concours des agents généraux. « Les assureurs nous donnaient déjà des allocations pour nos congrès. Ils vont intensifier leur implication et seront invités à y participer dans un but de formation. Nos concours ont l’avantage de récompenser la performance globale du conseiller, selon son volume de production totale », soutient le PDG d’Horizons Québec.

Dominic Demers, PDG de Financière S_Entiel, reproche à ces concours de créer des situations dans lesquelles certains conseillers pourraient perdre leur objectivité, en plus d’être inutilement couteux. « Tant qu’à dépenser, pourquoi ne pas ratisser plus large, inviter les plus jeunes en abaissant les critères de production et faire des événements plus locaux ? C’est de l’argent mieux dépensé que d’aller dans des endroits exotiques avec un groupe limité. »

M. Demers croit aussi que les assureurs devraient en profiter pour investir dans des programmes qui permettent de stimuler la relève. « Ils pourraient créer des partenariats de mentorat, en offrant des modalités avantageuses de financement pour faciliter la transition », suggère-t-il.

Guy Duhaime, président de Multi Courtage, dit dénoncer ces concours depuis longtemps. Il affirme les avoir désertés il y a plusieurs années.

Les assureurs doivent toutefois en faire plus s’ils désirent vraiment éliminer toute apparence de conflit d’intérêts. « Il n’y a pas que ces concours à éliminer, dit M. Duhaime. Les critères de volume de primes irréalistes imposés aux agents généraux par les assureurs doivent aussi cesser, ainsi que l’attribution de commissions plus élevées pour la vente de certains produits plutôt que d’autres. »

Selon Gino Savard, PDG de MICA Services financiers, ce geste aurait dû être posé plus tôt. « Le réseau de distribution fait preuve d’une plus grande transparence que les assureurs à cet égard depuis un bon moment. Nos conseillers faisaient signer à leurs clients un avis de divulgation qui mentionnait entre autres la possibilité que le conseiller puisse gagner auprès de l’assureur un voyage en fonction de sa performance. Ces annonces sont de la poudre aux yeux. Cela ne leur tentait plus de faire ces concours. Ils réalisent une économie », dit-il.

M. Savard trouve par ailleurs l’apparence de conflit d’intérêts tout aussi présente dans les concours des agences captives, plutôt ménagés dans les recommandations de l’ACCAP. « Le conseiller indépendant qui gagne un concours ne prête pas plus le flanc au conflit d’intérêts que l’agent captif. Celui-ci ne peut vendre les produits que d’une seule compagnie. Et dans les cas où il lui est permis de vendre le produit d’une autre compagnie, il sera rémunéré deux fois moins pour le faire », rappelle le PDG de MICA.

Pour Robert Frances, PDG de Groupe financier Peak, la fin des concours des ventes marque le début d’une ère nouvelle. « Si nous voulons montrer que nous sommes des gens sérieux dans l’industrie, il faut remettre l’éthique de l’avant. Les compagnies d’assurance en réalisent maintenant l’importance. Au sein de notre réseau de conseillers d’assurance, des producteurs importants y allaient. Ils avaient eux aussi commencé à réaliser l’apparence de conflit d’intérêts qui survient lorsque l’on participe à un voyage dont la compagnie assume les frais. »

Faire gagner le client

Lorsqu’un concours est bien fait, qu’il véhicule beaucoup de formation et d’informations, le plus grand gagnant est le client, car mieux le conseiller est formé, mieux il peut l’aider, précise toutefois M. Frances. « Que les assureurs redonnent ce budget aux agents généraux. Ils organiseront des événements locaux ou des mini-congrès régionaux qui assureront une formation plus fréquente des conseillers. Ainsi, l’économie ne reviendra pas seulement dans les coffres des assureurs et les poches des actionnaires », dit-il.

Propriétaire de l’agent général DCI Assurances, Louis Carrière était de retour du concours d’Empire Vie, en Arizona, lorsque le Journal de l’assurance lui a demandé ses impressions. Plus tôt en avril, Empire Vie avait d’ailleurs mentionné au Journal de l’assurance n’avoir aucune intention de cesser ses concours de vente pour le moment.

M. Carrière se dit peu impressionné par la fin annoncée de plusieurs concours. L’économie que réaliseront les assureurs paraitra très bien face aux consommateurs et aux actionnaires, dit-il. Elle n’éliminera toutefois pas la concentration de la production d’un conseiller auprès d’un seul assureur, ajoute-t-il. « Elle ne réduira certainement pas le cout des assurances pour le public », ironise-t-il.

M. Carrière affirme qu’il se passerait fort bien de ces concours. « Cela ne me fait rien de ne pas être reconnu pour ma production. Je recherche surtout des occasions de formation et de réseautage. »