La Cour supérieure du Québec donne raison à la demanderesse et condamne l’assureur à verser près de 200 000 $ à l’assurée dans un litige qui trouve son origine plus de trois décennies auparavant. 

Dans cette affaire, la demanderesse Diane Legendre poursuit la Compagnie d’assurance vie Manufacturers. Elle réclame la somme de 196 340,35 $ à titre de capital-échéance de la police ainsi qu’une somme de 20 000 $ à titre de dommages-intérêts pour troubles et inconvénients.

De son côté, l’assureur contestait la demande en prétendant que la police en cause a été annulée longtemps avant le dépôt de la présente poursuite. La défense proposée par l’assureur est qualifiée d’« ubuesque » par le tribunal. 

L’avocat Maurice Charbonneau, du cabinet Trivium, a attiré l’attention du Portail de l’assurance concernant ce jugement.

« Ce litige est celui d’une femme courageuse qui, avec l’aide d’un avocat pugnace, affronte la plus grande compagnie d’assurance au Canada. L’image de David contre Goliath n’est pas trop forte pour décrire les forces en présence », indique le tribunal au 3e paragraphe de la décision publiée le 28 mars dernier. 

Le juge Jacques Bouchard, du district de Québec, ne mâche pas ses mots en résumant l’affaire : « L’instruction de cette affaire révélera pourtant, au grand étonnement du tribunal, la mauvaise foi crasse de Manuvie qui plutôt que d’admettre ses torts, en impute la faute à son assurée en soutenant un raisonnement tordu, qu’on peut résumer ainsi : on a perdu cette police, mais l’assurée aurait dû s’en rendre compte à temps et son recours est maintenant prescrit! Ou encore : le fardeau de preuve repose sur l’assurée qui doit démontrer qu’elle n’a pas annulé la police! » 

Le contexte 

En 1978, la demanderesse souscrit une police d’assurance vie à capital différé de 42 ans, auprès de Standard Life, alors qu’elle avait 23 ans. Depuis la souscription de cette assurance, trois compagnies d’assurance ont tour à tour pris en charge la police litigieuse. Manufacturers (Manuvie) en est le dernier titulaire depuis 2015. 

Il est devenu difficile pour l’assurée de suivre les divers changements intervenus, d’autant plus qu’elle était titulaire de deux autres polices d’assurance vie distinctes avec le même assureur. Ces contrats ont été souscrits en 1981 et 1983 et ceux-ci doivent aussi venir à échéance en 2020. 

Lors de la prise en charge par Manuvie en 2015, des certificats sont émis pour ces deux polices souscrites plus récemment, mais pas pour celle conclue en 1978. 

Mme Legendre devient invalide en 2001 à la suite d’un diagnostic de dépression sévère et de stress post-traumatique. Son incapacité l’empêche de travailler et elle doit entamer prématurément les fonds nécessaires à sa retraite. 

Ce n’est qu’en mai 2018, soit deux ans avant l’échéance de ladite police, que la demanderesse apprend que l’assureur ne trouve pas de trace du contrat.

L’assureur prétend que la police a été annulée en 1987, mais n’a retrouvé aucun document attestant une quelconque demande ou acceptation de l’assurée à cet effet.

La prime mensuelle est de 51,50 $ et doit être payée jusqu’à l’échéance du 27 octobre 2020, pour un montant total de 25 956 $. En cas de survie de l’assurée, la police prévoit le paiement d’une somme de 196 340,35 $. Ce montant est admis par Manuvie. 

Microfiche 

En avril 2019, l’assurée dépose une plainte au bureau de l’Ombudsman des assurances de personnes et exige qu’une enquête soit effectuée. L’enquêtrice de Manuvie mène des recherches exhaustives et l’informe qu’une microfiche de deux pages, pratiquement illisible, a été retrouvée.

Annulée en mai 1987, la police aurait une valeur de rachat de 5 592,29 $. La fiche ne contient aucun motif justifiant l’annulation de la police. La demanderesse affirme n’avoir jamais demandé l’annulation du contrat et n’avoir pas reçu la valeur de rachat mentionnée. Manuvie ne présente aucune preuve à cet égard. 

Mme Legendre affirme n’avoir jamais été informée par la Standard Life ou par son courtier que la police serait annulée. La prime a été payée jusqu’au mois d’avril 1987. 

Par la suite, un débit mensuel de 90 $ a été prélevé par l’assureur jusqu’en décembre 1990. Comme elle n’avait reçu aucun avis expliquant la hausse de la prime, elle a cru qu’elle payait son contrat plus rapidement. 

La demande s’est par la suite désistée de la poursuite intentée contre le courtier lorsque l’instruction a permis de constater que le représentant n’avait pas été informé non plus de l’annulation de la police. 

L’assureur soutient que la demanderesse n’a pas payé la totalité des primes, la dernière mensualité ayant été payée en décembre 1990. Comme la police a été annulée en 1987, elle n’a pas droit au capital-échéance prévu au contrat. 

La défenderesse allègue aussi que l’assurée n’a pas cherché à vérifier l’état de sa police entre 1978 et 2018 et elle considère que la demanderesse aurait dû savoir que sa police avait été annulée. 

Les questions en litige 

Sur le délai de prescription, le juge Bouchard rappelle ceci au paragraphe 35 : « Lorsqu’il s’avère que le titulaire du droit d’action a agi de manière diligente et que son ignorance des éléments donnant ouverture à son droit est causée par son cocontractant, alors la prescription peut être suspendue pour cause d’impossibilité d’agir. » 

Tant par un moyen préliminaire que par sa défense au mérite, Manuvie invoque la prescription pour se protéger du recours intenté par Mme Legendre. Elle allègue n’avoir pas commis de faute et affirme que la demanderesse a été négligente. 

Le tribunal réfute les arguments de l’assureur. Ce n’est qu’en mai 2018 que le droit d’action de la demanderesse est né, lorsqu’elle a découvert l’annulation du contrat. Comme son recours a été introduit en février 2021, le délai de prescription de trois ans a été respecté. 

L’assureur a-t-il commis une faute? Le courtier a témoigné du fait que l’assurée devait apposer sa signature pour l’annulation d’une police et l’obtention de la valeur de rachat. Le courtier n’a lui-même jamais été prévenu avant 2018. 

De plus, le deuxième alinéa de l’article 2405 du Code civil du Québec prévoit que si l’assureur décide de réduire ses propres obligations, il doit obtenir le consentement de l’assurée par écrit. 

« Il est plutôt loufoque qu’un assureur qui ne possède aucune preuve de l’annulation d’une police reproche à son assurée de ne pas s’en être rendu compte! », souligne le juge Bouchard. En conséquence, la résiliation unilatérale de la police constitue sans contredit une faute. 

Validité du contrat 

La troisième question en litige concerne la validité de la police. Le tribunal énumère les règles pertinentes du Code civil en matière d’obligations contractuelles. Il cite notamment celle prévue à l’article 2803, où l’on indique que « celui qui prétend qu’un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée ». 

Le demandeur doit prouver les faits générateurs de son droit, et il appartient ensuite au défendeur de démontrer l’extinction ou la modification de ce droit. L’assurée a payé ses primes mensuelles, tandis que l’assureur n’a pas versé l’indemnité prévue. 

Ayant établi sa preuve, le fardeau de l’assureur est de prouver que le droit de l’assurée a été éteint dans les règles. Or, aucune preuve n’est soumise sur l’acceptation de la demanderesse de l’annulation du contrat. 

L’assureur soutient qu’il est légitime de détruire une police résiliée sans autorisation depuis plus de 15 ans. Sa preuve repose sur une microfiche illisible et le témoignage de l’employée de l’assureur. 

Le tribunal souligne que ce témoignage a été dicté par les questions très orientées du procureur de la défenderesse, ce qui lui enlève toute valeur probante. De plus, le témoignage a été l’objet d’un long exposé d’hypothèses impossibles à vérifier, ajoute le juge Bouchard. 

Il ne revenait pas à l’assurée de saisir les indices, comme l’absence de certificat de prise en charge du contrat, lui permettant de conclure que la police avait été annulée à son insu. Comme la demanderesse n’a pas autorisé l’annulation et n’a pas signé de document à cet effet, le tribunal conclut que la police a été annulée illégalement et que Manuvie doit assumer ses responsabilités. 

L’indemnité à payer 

La jurisprudence expose qu’il existe trois méthodes de calcul du préjudice moral en droit civil québécois. Les dommages accordés peuvent couvrir non seulement la perte pécuniaire, mais aussi le dommage moral, tels que le sentiment d’insécurité, la crainte de manquer d’argent, l’inquiétude, etc. 

Le tribunal n’a aucune raison de ne pas prêter foi au témoignage de la demanderesse, livré avec sobriété et sincérité. La somme réclamée lui est accordée, comme elle paraît raisonnable et justifiée dans les circonstances. 

Sur le montant du capital à échéance du contrat, le tribunal déduit la somme des primes que l’assurée n’a pas payée, soit 16 691,50 $. Il lui accorde donc une somme de 179 648,85 $, auquel il ajoute un montant supplémentaire de 20 000 $ pour les troubles, ennuis et inconvénients subis. 

S’ajoutent à cela les intérêts au taux légal à compter de l’assignation, et majorés de l’indemnité additionnelle prévue au Code civil. L’assureur devra payer les frais de justice. 

Contacté par le Portail de l’assurance, l’avocat de la demanderesse, Jean-François Côté, du cabinet d’avocats Labadie Carrier Guay, confirme que le délai d’appel est échu et que l’assureur ne poursuivra pas le litige.