La Cour supérieure donne raison à l’assureur Sun Life, compagnie d’assurance vie qui a refusé d’indemniser son client et a résilié la police d’assurance maladies graves.
L’assureur invoquait la nullité du contrat en raison des fausses déclarations faites par le demandeur lors du questionnaire auquel il a été soumis afin de souscrire à cette police d’assurance. Sun Life alléguait que si elle avait obtenu les renseignements exacts au moment d’étudier la proposition, elle ne l’aurait pas acceptée et n’aurait pas émis la police.
Le tribunal lui donne raison sur cet aspect et conclut que l’assureur était justifié de résilier le contrat ab initio en raison des fausses déclarations du demandeur. Les montants réclamés ne sont pas accordés.
Le contrat
En mars 2015, soit deux mois après l’ouverture d’un commerce, la société détenue par le demandeur souscrit une proposition d’assurance pour une police maladies graves. La personne à assurer, Daniel Paul-Hus, est le seul administrateur et actionnaire de la société. Celle-ci exploite une concession de véhicules automobiles usagés à Québec. La société paie les primes et est désignée bénéficiaire de la prestation.
Les preuves d’assurabilité requises pour l’émission de la police sont l’entrevue téléphonique de la personne à assurer, portant sur son état de santé, de même que l’obtention de ses signes vitaux, de son profil sanguin et d’une analyse d’urine.
Ces étapes franchies, la police est émise et prévoit une couverture d’assurance de 100 000 $ pour maladie grave jusqu’à 75 ans. Les maladies couvertes sont énumérées à la police.
La réclamation
En février 2018, le demandeur affirme qu’on lui a diagnostiqué une sclérose latérale amyotrophique (SLA). L’assuré soumet sa réclamation le 16 août 2018.
Dans la déclaration du médecin joint à la réclamation, un neurologue indique le diagnostic d’une atrophie musculaire progressive au bras gauche.
À la fin de décembre 2018, Sun Life avise le demandeur qu’elle refuse sa demande de règlement. L’évaluation du dossier révèle que ses antécédents médicaux ne correspondent pas aux renseignements sur l’état de santé qui ont été fournis lors de l’entrevue téléphonique du 17 mars 2015.
L’assureur reproche au demandeur de ne pas avoir répondu correctement à trois questions lors de l’entrevue. S’il l’avait fait, Sun Life n’aurait pas émis la police.
Une mise en demeure est signifiée à l’assureur en octobre 2020. L’avocat du demandeur soulève que la police est en vigueur depuis plus de deux ans et que les motifs invoqués dans la lettre du 28 décembre 2018 ne peuvent soutenir le refus de l’honorer.
Après révision du dossier, l’experte-conseil principale de l’assureur confirme que la décision demeure inchangée. Les dossiers médicaux reçus montrent que l’assuré a consulté pour une faiblesse à la main gauche avant l’émission du contrat.
La poursuite est intentée le 31 mai 2021. L’audience a eu lieu en mai 2023 et la preuve a été entendue par la juge Isabelle Germain. La décision a été rendue le 3 octobre dernier.
Le droit applicable
La première question tranchée par le tribunal vise à déterminer si le demandeur a répondu adéquatement à toutes les questions touchant sa santé. S’il détermine que le demandeur a fait de fausses déclarations ou des omissions, est-ce que celles-ci constituent une fraude au sens de l’article 2424 du Code civil du Québec ?
Les articles 2408 à 2410 du Code prévoient les règles touchant les responsabilités de l’assuré à propos de ses déclarations au moment de souscrire le contrat et sur les conditions qui peuvent entraîner la nullité du contrat.
S’il n’y a pas de fraude, le contrat qui a été en vigueur depuis deux ans ne peut être annulé et les indemnités ne peuvent être réduites, précise l’article 2424. Le fardeau de preuve repose sur les épaules de l’assureur qui désire annuler une police.
L’assureur doit pouvoir se reposer sur la bonne foi et la diligence du proposant. Le preneur a l’obligation de déclarer les renseignements pertinents au risque couvert. Après deux ans, même s’il y a eu de fausses déclarations, l’assureur doit aussi prouver qu’il y a eu fraude. Le proposant n’a même pas besoin d’avoir eu une intention malveillante.
Les réponses au questionnaire
L’enregistrement de l’entrevue tenue avec le demandeur a été produit par l’assureur, de même que la transcription et un résumé de celle-ci. La preuve révèle que M. Paul-Hus a consulté un neurologue de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus en février 2015, quelques semaines avant l’entrevue prévue à la proposition d’assurance. La consultation avait été demandée par le médecin d’un autre hôpital après plusieurs rendez-vous ayant eu lieu en janvier 2015.
Le neurologue pratique un électromyogramme (EMG) lors de cette consultation. Le spécialiste veut connaître les raisons de la faiblesse à la main gauche qui affecte DPH depuis au moins deux ans. D’autres examens de résonance magnétique ont été faits en avril 2015 et en septembre 2015, après l’entrée en vigueur de la police.
Dans sa demande introductive d’assurance, l’assuré affirme qu’au 17 mars 2015, il ne ressent ou ne soupçonne aucun symptôme de maladie. Il prétend même que selon les médecins, le développement de la maladie a été soudain. Or, la note de consultation du neurologue révèle que les symptômes de faiblesse au membre supérieur gauche sont apparus progressivement depuis août 2013.
Lors d’une consultation tenue en janvier 2018, le même neurologue répète ce constat. Il émet le diagnostic d’une maladie dégénérative du type atrophie musculaire progressive. L’assureur a pourtant posé une question précise sur la paralysie, l’engourdissement ou la faiblesse à un bras ou une jambe, à laquelle l’assuré a répondu non.
On lui demande aussi s’il a subi des tests ou des examens dans les cinq dernières années, et là encore, l’assuré omet de mentionner l’EMG, les tests sanguins et l’imagerie cérébrale qui ont été menés par le neurologue quelques semaines plus tôt.
Le demandeur affirme aussi n’avoir jamais été traité pour des migraines alors que son dossier révèle qu’il a rapporté ce symptôme au neurologue. L’assureur lui demande s’il est en attente de résultats de tests ou si d’autres examens sont prévus. M. Paul-Hus répond encore non, ce qui est inexact.
Comme il a répondu non, l’assureur est alors justifié de ne pas entreprendre une enquête plus poussée avant d’émettre la police. Le tribunal conclut que les déclarations du demandeur sont susceptibles de mener à la nullité de la police.
La fraude
Comme le contrat est en vigueur depuis plus de deux ans, l’assureur doit prouver qu’il y a eu fraude. Le demandeur allègue qu’il ne ressent ou ne soupçonne aucun symptôme de maladie avant l’entrevue du 17 mars 2015, mais son dossier médical révèle tout le contraire. Il était alors en investigation en neurologie pour la faiblesse au bras gauche. Lors de l’instruction, il prétend qu’il l’ignorait, mais le tribunal ne le croit pas.
Dans sa demande soumise en février 2018, l’assuré allègue qu’un diagnostic de SLA a été émis, ce qui n’est pas le cas. Le rapport du neurologue ne le confirme pas et en contre-interrogatoire au procès, le demandeur reconnaît qu’un tel diagnostic n’a jamais été posé. Il plaide avoir répondu de bonne foi au questionnaire en mars 2015. « Or, il ne suffit pas de répéter que l’on a été de bonne foi pour justifier pareilles omissions », écrit la juge Germain.
« La preuve révèle qu’il n’a pas répondu en toute honnêteté au questionnaire auquel il a été soumis. Il n’a jamais manifesté le fait qu’il ne comprenait pas les questions posées. » Le tribunal est d’avis que son manque de sincérité montre qu’il n’a pas agi comme un assuré raisonnable. Il a sciemment induit l’assureur en erreur et la preuve administrée par Sun Life démontre son intention de tromper.
La résiliation
Afin d’obtenir l’annulation du contrat, l’assureur ne peut se limiter à établir la fausse déclaration. Il doit montrer l’impact sur sa décision de couvrir le risque. En novembre 2018, l’experte en tarification auprès de Sun Life revoit le dossier à la lumière des nouveaux renseignements découlant de la demande de règlement. Elle conclut que la police d’assurance aurait été refusée.
En février 2022, un autre témoin expert produit un rapport qui corrobore ce constat. Cette experte témoigne au procès et confirme que si le demandeur avait mentionné avoir des symptômes de faiblesse au bras gauche qui étaient toujours en investigation au moment de la demande de couverture d’assurance maladies graves, celle-ci aurait été refusée. Tout assureur raisonnable aurait refusé d’émettre la police, car le client connaissait bien sa condition médicale et il a omis d’en informer l’assureur.
Comme le tribunal conclut à la nullité, il n’y a pas lieu de faire droit à la réclamation du demandeur.
Pas prévue au contrat
Par ailleurs, le tribunal fait observer que la preuve de l’assureur suggère que la maladie diagnostiquée du demandeur ne se qualifie pas de maladie grave aux termes de la police. Le médecin-conseil de Sun Life a reçu le dossier médical en octobre 2018 et il affirme que le diagnostic exact est équivoque.
La maladie motoneurone présentée par M. Paul-Hus est limitée et ne satisfait pas les critères des conditions énumérées à la définition de la police. Au procès en 2023, les symptômes présentés par le demandeur se limitent au membre supérieur gauche et, plus spécifiquement, à son poignet, sa main et ses doigts. Même si le tribunal avait conclu que le contrat n’était pas nul, la maladie ne se qualifie pas aux termes de la police.
On rappelle que la police prévoit que toute prestation est versée au bénéficiaire de la prestation, en l’occurrence la société qui exploitait le commerce d’autos usagées. Or, la société a fait faillite le 12 décembre 2018, quelques semaines avant que l’assureur confirme son refus d’indemniser.
Le tribunal souligne que seule la société avait l’intérêt requis pour réclamer le paiement de la prestation et le recours aurait pu être rejeté pour cette seule raison. Aucune preuve n’a été soumise concernant le changement d’identité du bénéficiaire de la prestation.
Le même raisonnement s’applique pour les primes payées alors que le contrat a été annulé, car le demandeur n’a pas l’intérêt requis. La société aurait pu bénéficier du remboursement, mais elle n’est pas partie au litige et elle a été radiée du Registre des entreprises le 25 août 2021. L’ultime bénéficiaire de ce remboursement aurait été la masse des créanciers de la société insolvable, souligne le tribunal.
Enfin, le demandeur doit payer les frais de justice de l’assureur, ce qui inclut une facture de 6 062,05 $ pour l’experte-conseil qui a produit un rapport et est venue témoigner.