Il est bien connu que l’assurance soins de longue durée tarde à gagner des adeptes. Une chaire de recherche universitaire vient de publier une étude qui dévoile que ce produit n’a le potentiel que de toucher 25 % de la population.

Pierre-Carl Michaud, professeur titulaire au département d’économie appliquée à HEC Montréal, est l’un des auteurs de ce cahier de recherche avec son collègue Martin Boyer, pour le compte de la Chaire de recherche Industrielle Alliance sur les enjeux économiques des changements démographiques. Il en a livré les grandes lignes au Journal de l’assurance, avant son dévoilement qui a eu lieu quelques semaines après l’entrevue.

Pour M. Michaud, le marché de l’assurance en soins de longue durée offre de nouvelles occasions d’affaires à l’industrie. Mais au Québec et en Ontario, la proportion de la clientèle qui pourrait être attirée par l’idée de détenir cette couverture n’est pas si élevée, dit-il. La Chaire estime que la demande pour des produits d’assurance en soins de longue durée touche environ 25 % de la population. S’il est vrai que le besoin à combler est préoccupant pour une large majorité, « il y a un gros travail d’éducation et de grandes implications pour les politiques publiques », dit-il.

L’antisélection

Le risque de finir sa vie dans un établissement spécialisé en ayant besoin de soins personnels est une probabilité trop lointaine pour la personne qui a encore de longues années sur le marché du travail. L’assurance en soins de longue durée n’est pas facile à vendre, mais le produit existe néanmoins.

Lorsque les clients font part de leur intérêt envers ce produit, généralement à l’approche de leur retraite, l’assureur peut présumer qu’il y a de bonnes chances que le client en sache un peu plus sur son état de santé. Ainsi, les probabilités que le risque se concrétise sont plus fortes.

« Quand on fait des analyses économétriques un peu plus poussées, pour déceler ce problème d’antisélection, on constate que ça fait bouger la demande d’équilibre d’environ trois points de pourcentage. Même si on règle ce problème, ça ne fait pas une si grande différence, contrairement ce à quoi certaines personnes s’attendaient », dit M. Michaud.

Le principal motif d’intérêt à souscrire une telle police est de laisser de l’argent à ses proches, ajoute-t-il. Le client potentiel ne veut pas laisser sa famille prise à régler des dépenses élevées en soins de santé.

La demande pour l’assurance en soins de longue durée est moins élevée pour les gens qui sont propriétaires de leur résidence. « C’est un peu normal. La maison devient en quelque sorte une forme d’assurance. S’ils ont besoin d’aller dans un établissement de soins de longue durée, ils peuvent vendre leur résidence » et utiliser le gain de capital pour financer leurs besoins nouveaux, dit-il.

Offre absente

Les auteurs de l’étude ont demandé aux participants quelle était la principale raison expliquant leur manque d’intérêt pour l’assurance en soins de longue durée. Parmi les gens qui ne montraient pas d’intérêt pour le produit, plus de la moitié d’entre eux ont indiqué : « On ne me l’a jamais offert. On ne m’en a jamais parlé. »

Selon le professeur Michaud, l’une des explications possibles vient du côté de l’offre. « Peut-être que l’industrie n’en offre pas parce que c’est un produit difficile à estimer. Ou encore parce qu’il n’est pas assez payant pour les conseillers et les courtiers », dit-il.

Il est possible aussi que le produit ne soit pas offert tout simplement parce que les conseillers savent que la demande des clients n’est pas là. Si le conseiller n’a que 30 minutes pour échanger avec son client, il est probable qu’il préfère lui offrir d’autres produits d’assurance et d’épargne, ajoute-t-il.

Pour une place dans un CHSLD, il en coute actuellement environ 2 100 $ par mois pour une chambre privée, soit un peu plus de 25 000 $ par année. Pour les gens qui n’ont pas de régime de retraite, les prestations versées par la Régie des rentes du Québec et la prestation fédérale de sécurité du revenu font en sorte que la somme à payer à partir des épargnes personnelles n’est pas si élevée.

« Bien sûr, si on n’a pas assez de moyens, la contribution qui est demandée à la personne diminue. Si les gens ont juste les sommes qui viennent des prestations de l’État, la tarification en CHSLD est ajustée en conséquence à la baisse », ajoute-t-il.

Pas d’intérêt pour les plus fortunés

Les personnes ayant de très faibles revenus, de même que les très riches, ne sont donc pas vraiment intéressées par l’assurance en soins de longue durée. Les travailleurs retraités qui bénéficient d’un régime de pension estiment qu’ils seront capables de payer l’hébergement à même leurs revenus de retraite, par l’entremise d’une rente par exemple.

Comme clients potentiels, il reste ceux qui ont accumulé de l’épargne ou des actifs, mais qui l’ont fait principalement pour le léguer à leurs proches. « Ça peut être des gens qui n’ont pas de régime d’employeur, mais ils ont des actifs importants. Ils se disent que le 25 000 $ par année, s’ils doivent payer ça pendant deux ou trois ans, ils préfèrent ne pas gruger leurs actifs et veulent en laisser plus à leurs enfants. » Le marché potentiel demeure donc assez ciblé, estime M. Michaud.

Maintien au domicile : la clé du succès

En matière de prestations de maintien au domicile, les produits offerts par les assureurs canadiens sont intéressants, parce qu’ils sont davantage basés sur une prestation versée à l’assuré. Celle-ci peut être utilisée autant pour des soins de longue durée en CHSLD, dans un établissement privé ou au domicile. Dans les polices que la Chaire a pu analyser, la couverture est simplement basée sur le diagnostic de limitation ou d’invalidité. Les prestataires peuvent même s’en servir pour compenser les enfants qui les aident au domicile. Des aménagements sont possibles, les produits sont déjà flexibles.

« Aux États-Unis, on y va plus par le remboursement des dépenses. Certaines sont admissibles et on se fait rembourser. Ce système n’est pas bien adapté à l’offre de soins à domicile », explique le professeur.

Néanmoins, les produits existants pourraient être combinés à de l’épargne ou de l’assurance vie. « Les gens se disent : pourquoi je mettrais de l’argent pour cela si je n’en ai pas besoin à la fin ? On peut penser à combiner de l’assurance vie avec l’assurance en soins de longue durée. C’est bien, vous allez me verser tel montant en prestations si j’ai besoin de soins de longue durée. Si je meurs plus tôt, avant d’en avoir besoin, vous payez un montant à mes bénéficiaires », cite-t-il en exemple.

Dans le cadre de l’étude de la Chaire, différentes combinaisons ont été analysées et soumises, mais cela « ne faisait pas augmenter la demande de manière si considérable, précise M. Michaud. Peut-être seulement parce qu’on parle encore d’un contexte hypothétique. Si on l’essayait pour vrai auprès de la clientèle existante, ça pourrait avoir des effets intéressants. Cela ne semble toutefois pas susciter un enthousiasme débordant quand on les combine ».

La composante publique d’assurance en soins de longue durée est quand même très présente dans l’esprit des consommateurs. Outre les prestations déjà mentionnées offertes aux personnes âgées et aux retraités, il existe un crédit d’impôt provincial pour l’aide à domicile, qui permet le remboursement de 34 % des dépenses admissibles. Le montant maximal admissible des dépenses est de 19 500 $. Le remboursement maximal est donc de 6 630 $. Ces montants sont pour une personne seule. On peut les doubler si les deux membres du couple ont plus de 70 ans.

Défi du financement

Il ne faut pas non plus négliger le fait que le bénéficiaire ne paie qu’une partie du cout réel, qui est de 5 000 à 6 000 $ par mois. On ne peut donc pas dire que les citoyens n’ont pas d’assurance en soins de longue durée, puisque les revenus fiscaux paient cet écart, ajoute M. Michaud.

Les chercheurs de la Chaire travaillent d’ailleurs à mesurer les impacts du vieillissement démographique et les besoins de financement, dans le contexte où le nombre de personnes âgées augmente, tout comme leur espérance de vie. Selon M. Michaud, ce groupe des 85 ans et plus est celui qui montre la croissance en nombre la plus rapide.

« Les couts, c’est une chose. La croissance des couts structurels reliés aux soins de santé, on ne la connait pas encore. Quand la demande va exploser, si on n’a pas construit assez d’établissements, on devra se tourner du public vers le privé. On ne sait pas ce qu’il va se passer avec les prix dans le secteur privé. Le cout de l’hébergement pourrait se mettre à croitre de manière effrénée », note le professeur Michaud.

Que les nouveaux établissements à construire soient gérés par le public ou le privé, on devine que cela coutera plus cher que d’offrir des services visant à maintenir les ainés dans leur domicile. « Les soins à domicile, c’est ce que tout le monde espère. Nous voulons tous que ça prenne de l’expansion et que l’on devienne très efficace à fournir cette aide à domicile. Ça coute moins cher à tout le monde, y compris les assureurs, les individus et au gouvernement. » Mais cette solution n’est pas simple non plus, ajoute-t-il.