Il existe bel et bien deux mécanismes de recours pour les assureurs qui jugent abusifs les honoraires des pharmaciens associés aux médicaments biologiques, souligne le président sortant de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ). 

Lors d’un panel portant sur les biosimilaires tenu le 21 février dans le cadre du Congrès collectif 2023, organisé par les Éditions du journal de l’assurance, une pharmacienne travaillant pour le fournisseur de soins Green Shield, Chantal Faucher-Francoeur, a affirmé qu’il n’existait pas de mécanisme de plainte en cas d’honoraires abusifs de pharmaciens. 

Le représentant d’un assureur venait de raconter qu’il avait reçu quatre demandes de paiements de médicaments se situant entre 1 et 2 millions de dollars par assuré, par année.

Madame Faucher-Francoeur avait ajouté que pour des montants de cette ampleur, des pharmaciens pouvaient facturer 250 000 $ en honoraires et affirmé qu’il n’existait aucun recours en pareilles circonstances

« Je pense que c’est important que ce soit dit. Ces cas font mal et on ne peut pas intervenir. On ne peut même pas se plaindre de façon réglementaire », avait-elle soutenu. 

Bertrand Bolduc

Or, c’est inexact, selon Bertrand Bolduc, président de l’OPQ, lors d’une entrevue avec le Portail de l’assurance. « Il existe deux mécanismes de recours : soit une plainte disciplinaire ou une plainte à l’arbitrage des comptes. On a une dizaine de demandes d’enquêtes annuelles. Il y a quelques décisions rendues où ça n’avait clairement pas de bon sens. Mais les pharmacies au Québec sont en compétition et cela a inévitablement un impact sur le contrôle des coûts des honoraires », dit-il. 

À propos de ce montant de 250 000 $, il indique que c’est la seule nouvelle du genre qui ait été portée à son attention durant ses deux mandats et qu’elle provenait de cet événement. « Sur le coup, ça semble assez incroyable », note-t-il.

L’Ordre ne possède pas de statistiques indiquant quels sont les montants facturés par tel ou tel pharmacien. Il ne peut donc confirmer ou infirmer que des honoraires aussi élevés ont pu être facturés par des pharmacies à des assureurs.

M. Bolduc souligne toutefois que la manipulation de médicaments très dispendieux présente un grand risque au plan financier pour une pharmacie communautaire. « Si un pot d’antibiotiques de 10 $ tombe par terre, illustre-t-il, tu as perdu 10 $. Mais si tu as un produit d’une valeur de 1 million de dollars qui coûte 33 000 $ la fiole et que tu en échappes une, c’est autre chose. » 

Lui-même est propriétaire d’une pharmacie où on prépare des produits stériles. « Personnellement, si vous me donnez 500 $ d’honoraires pour manipuler un produit qui vaut 33 000 $, je ne le ferai pas parce que c’est trop risqué. Ce n’est pas une situation à laquelle j’ai été confronté comme pharmacien et j’en suis fort heureux », dit-il. 

Deux jugements rendus 

En mai 2020, le Conseil de discipline de l’OPQ avait entendu une plainte à l’égard d’une pharmacienne, Jessie Haggaï, à qui il était notamment reproché d’avoir à deux reprises réclamé un montant majoré à son assureur et d’avoir à de nombreuses occasions facturé un prix qui n’était pas juste et raisonnable pour ses services.

Les montants étaient parfois le double du prix moyen exigé dans d’autres pharmacies. Elle a été trouvée coupable des 14 chefs d’accusation portés contre elle et a été condamnée à plusieurs mois de radiation et de fortes amendes financières. Elle a fait une demande de pourvoi en Cour supérieure, qui est toujours en cours. 

Dans un autre dossier qui a été entendu par le Conseil de discipline en 2017, une autre pharmacienne, Mireille Kourdi, s’était fait reprocher 26 manquements disciplinaires, notamment à propos de réclamations illégales à l’assureur et pour ne pas s’en être tenu à un prix juste et raisonnable.

Ses honoraires professionnels sont parfois plus élevés que le produit. À titre d’exemples, elle demande 9 367,64 $ pour 6 boîtes d’un médicament anti-inflammatoire. Ce prix comprend le coût du médicament (4 258,02 $) additionné d’une majoration de 10 % (425,80 $) et des honoraires de 4 683,82 $, ce qui a pour effet de doubler le prix. Dans un autre cas, elle vend un médicament destiné à traiter la sclérose en plaques qui coûte 3 888 $ auquel elle ajoute 4 276 $ pour ses honoraires et 10 % de majoration, soit 388 $. 

Au moment des surfacturations, l’intimée donne préséance à ses intérêts commerciaux plutôt qu’à ceux de ses clients puisque les services pharmaceutiques rendus à ce moment ne justifient pas l’imposition de montants aussi élevés, lui reproche le Conseil de discipline.

Madame Kourdi a été jugée coupable de tous les chefs d’accusation portés contre elle et fait l’objet d’une radiation de 24 mois suivie d’une période de limitation l’empêchant d’être pharmacienne propriétaire durant cinq ans à la fin de sa radiation. 

Ces précisions de Bertrand Bolduc, qui quittera ses fonctions en mai prochain après neuf ans à la tête de l’OPQ, de même que ces deux jugements montrent que les assureurs qui estiment être victimes d’exagération ou fraude apparente dans les honoraires de pharmacies ont des recours devant l’Ordre des pharmaciens, même si les montants qu’ils jugent excessifs ne sont que de quelques centaines ou quelques milliers de dollars. 

Pas d’allocations professionnelles pour les biosimilaires 

Dans un autre dossier, Chantal Faucher-Francœur avait déclaré lors du même panel que les pharmaciens n’étaient pas empressés de convaincre leurs clients de passer aux biosimilaires, car ils ne reçoivent pas d’allocations professionnelles pour le faire comme ce fut le cas pour les médicaments génériques. C’est une information qu’a confirmée Bertrand Bolduc. 

« Les pharmaciens communautaires peuvent toujours recevoir des allocations professionnelles à hauteur de 15 % du coût des médicaments pour les produits génériques. Ça existe toujours. Mais c’est interdit pour les biosimilaires. Madame Faucher-Francœur a raison de dire que les pharmaciens n’ont pas d’avantages économiques à favoriser le passage d’un produit biologique d’origine à un biosimilaire », indique M. Bolduc. 

Pourquoi les allocations professionnelles existent-elles toujours pour les génériques et pourquoi ne peut-il pas y en avoir pour les biosimilaires?

« C’est une excellente question, rétorque-t-il. Vous devriez la poser à l’ancien ministre de la Santé, Gaétan Barrette… Ce n’est pas une problématique déontologique, c’est inscrit dans la Loi sur l’assurance médicaments. Les biosimilaires sont totalement exclus du programme d’allocations. C’est une directive de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). À ma connaissance, ce sont les fabricants qui n’ont pas voulu en donner. Ils ont peu d’avantages à verser un pourcentage de leurs produits aux pharmaciens. » 

Toutefois, ajoute-t-il, rien n’empêche les assureurs privés de discuter avec l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires du Québec (AQPP), afin de développer des programmes et de négocier des honoraires à cette fin.

« Nous, à l’Ordre des pharmaciens, on n’empêche pas les gens de se parler et de travailler ensemble quand ça fait du sens. La transition d’un produit biologique d’origine vers un biosimilaire est un acte permis, similaire à un générique, patient par patient, produit par produit », conclut-il.