Tout juste adopté en troisième lecture, le 3 juin, le projet de loi sur le système à payeur unique d’assurance médicaments qu’Ottawa veut mettre en place à l’échelle du pays a fait l’objet de nombreuses critiques lors de l’audition et des mémoires présentés au Comité permanent sur la santé en lien à propos du projet de loi C-64. Au cours des derniers jours du mois de mai, beaucoup d’organisations ont déploré que les assureurs ne puissent plus continuer à offrir leurs régimes complémentaires dans le futur et que les patients risquent de beaucoup y perdre.

Le régime fédéral d’assurance médicaments que le gouvernement Trudeau va mettre sur pied sous la pression du Nouveau Parti démocratique (NPD) permettra-t-il aux compagnies d’assurance de continuer à offrir leur couverture comme le permet le Québec avec son régime public-privé ?

Le texte initial du projet de loi C-64 n’interdit pas expressément aux gens de souscrire à des régimes complémentaires d’assurance médicaments, ni aux assureurs d’offrir de tels régimes. Mais il ne le prévoit pas non plus. Une forte ambivalence persiste donc au sein de l’industrie de l’assurance sur les intentions du gouvernement Trudeau même si l’étude du C-64 progresse. 

Demande de clarification au ministre 

Au cours du débat en deuxième lecture, le ministre de la Santé, Mark Holland, a déclaré que « les personnes qui ont un régime d’assurance médicaments existant continueront à bénéficier de l’accès à leurs médicaments ». 

Lors de son passage devant le Comité le 23 mai dernier, l’Association canadienne des compagnies d’assurance de personnes (ACCAP) a parlé « d’incohérence dans la terminologie » du projet de loi et a demandé au ministre de clarifier sa position 

« Il y a un manque important de transparence et de clarté concernant les intentions du gouvernement du Canada (…) a commenté son président, Stephen Frank. Cette déclaration est en contradiction avec certains aspects du projet de loi, dont une grande partie est ambiguë et appelle à un régime universel et unique au Canada, sans mentionner les régimes d’avantages sociaux sur le lieu de travail. » 

Selon l’ACCAP, le futur régime pourrait se traduire par des obstacles pratiques, voire juridiques, à la souscription par les patients ou les employeurs d’une assurance complémentaire pour les médicaments figurant sur la future liste nationale qui sera dressée après l’adoption du projet de loi. 

« Si le gouvernement a l’intention de maintenir les régimes d’assurance médicaments existants dans le cadre de son modèle, la rédaction actuelle du projet de loi ne va pas dans ce sens et doit être modifiée afin de clarifier ses intentions », a exigé M. Frank. 

Supprimer la référence au payeur unique 

Comme d’autres groupes, l’ACCAP a fait valoir que le programme fédéral à l’étude couvrira beaucoup moins de médicaments que les programmes offerts au privé. 

Au seul chapitre du diabète, plus de deux millions de Canadiens ont accès à des médicaments et dispositifs qui ne seraient pas assurés par le programme national. Ces assurés pourraient être obligés de changer de médicaments et/ou de trouver un autre moyen de couvrir ceux dont ils disposent actuellement. 

L’Association réclame donc que le projet de loi supprime la référence au payeur unique, ce qui équivaut à permettre un système à plusieurs payeurs. 

Ce que disent d’autres groupes 

De nombreux autres groupes se sont prononcés sur cet enjeu capital devant le Comité les 23 et 24 mai.

Selon Sun Life, le futur régime fédéral devrait mettre l’accent sur les personnes sans couverture et non pas sur celles qui en ont une dans leur régime. « Il y a une bonne façon de s’assurer que chacun bénéficie d’une couverture de médicaments sur ordonnance et le projet de loi C-64 s’y prend de la mauvaise façon, soutient Sun Life. Le gouvernement devrait “combler les trous” au moyen d’une liste assez détaillée pour ceux et celles qui n’ont pas de couverture, comme il l’a fait récemment pour les soins dentaires. » 

La Chambre de commerce du Canada rappelle que la plupart des Canadiens sont couverts par des régimes d’assurance offerts par leur employeur et que ces programmes leur permettent d’accéder plus rapidement à un plus large éventail de médicaments. Elle craint qu’un régime universel à payeur unique place la plupart des Canadiens en moins bonne posture et que la liste des médicaments couverts par Ottawa soit beaucoup moins étendue que celles des régimes privés. 

La Coalition pour de meilleurs médicaments juge qu’il est crucial de fournir un régime national d’assurance médicaments équitable à tous les Canadiens. Toutefois, insiste-t-elle, aucun patient ne doit perdre sa couverture actuelle fournie par une assurance maladie privée en raison des programmes liés au projet de loi C-64.

De son côté MS Canada, un organisme œuvrant en sclérose en plaques, recommande que toute personne au Canada continue d’avoir accès aux médicaments remboursés par les régimes d’assurance existants, y compris la majorité des personnes qui disposent de régimes d’assurance privés. « Tout changement apporté au remboursement des médicaments à la suite de la mise en œuvre du projet de loi C-64 ne doit pas laisser la population canadienne dans une situation pire qu’avant sa création », réclame l’organisme. 

Le président de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires, Benoit Morin, a déclaré devant le Comité que le système québécois répondait aux objectifs du ministre fédéral de la Santé et que l’ajout de la condition du payeur unique risquait de nuire au modèle des pharmaciens propriétaires au Québec au détriment des soins de première ligne. Concevoir un régime à payeur unique serait contre-productif et aurait un effet inverse à celui recherché, tout en fragilisant le modèle de pharmacies communautaires québécoises, a-t-il soutenu. 

Médicaments novateurs Canada Médicaments novateurs Canada craint pour sa part que l’instauration d’une couverture au premier dollar à payeur unique aurait pour effet de réduire la couverture existante et retarderait l’accès aux thérapies novatrices parce qu’il faut deux ans pour que les Canadiens aient accès aux nouveaux médicaments dans le cadre de régimes publics. L’organisme dit que le gouvernement doit s’appuyer sur la vaste couverture existante au Canada au lieu de la remplacer par des régimes publics limités. 

La Coalition canadienne des organismes de bienfaisance en santé plaide qu’un programme national d’assurance médicaments doit veiller à ce que les patients aient accès à tous les médicaments approuvés par Santé Canada, mais s’ils ne figurent pas dans le futur formulaire national, ils doivent pouvoir être obtenus par des régimes d’assurance privés ou des programmes d’accès distincts qui tiennent compte des particularités des patients. 

Visiblement, le message de l’ACCAP et d’un grand nombre d’organismes n’a pas encore été entendu par le gouvernement Trudeau. Même après les amendements dont il a fait l’objet à ce jour, il n’est toujours question que d’un système à payeur unique dans le texte du projet de loi C-64. 

Le projet de loi a été adopté en troisième lecture ce 3 juin 2024 par la Chambre des Communes.